Atelier

E.Leclerc : « Seuls les services vocaux qui s’intégreront à l’ensemble du parcours client réussiront »

De g. à d., Maud Funaro, Maryse Mougin, Karine Del Medico, Yann Aubriet et Michaël Boumendil.
Publié le 18/04/2019

L’ère des assistants vocaux se profile. Comment les marques doivent-elles appréhender cette nouvelle forme d’interaction avec le consommateur ? Comment garder un lien direct et privilégié avec son client et rester « visible » dans la conversation ? Les réponses de Maud Funaro d’E.Leclerc, qui a partagé sa vision lors d’un Atelier du Hub de La Poste animé par Maryse Mougin, Directeur Marketing Expérience Client. Retrouvez aussi les interventions d’EDF, de Fnac Darty et de Sixième Son.

E.Leclerc a choisi de se lancer tôt dans le commerce vocal car le distributeur lui attribue quatre bénéfices client distincts. Le premier, selon Maud Funaro, Directrice de la Stratégie et de l’Innovation, est le langage naturel : « Ce n’est plus le consommateur qui doit rentrer dans la logique de segmentation et le parcours utilisateur proposés par la marque, c’est la marque qui doit s’adapter à la manière dont le consommateur formule sa requête, ce qui est bien plus confortable pour lui ! » Deuxième bénéfice : la contextualisation offerte par les algorithmes d’intelligence artificielle permet d’aller plus vite sans être obligé de se répéter. Troisième avantage, l’interface « mains libres » autorise de faire deux choses à la fois, ce qui peut s’inscrire à différentes étapes du parcours consommateur. Quatrième atout, un parcours délinéarisé : alors qu’une interface visuelle oblige à formuler plusieurs requêtes successives, la voix permet de tout dire d’un coup ! « Pour prendre un exemple dans l’alimentaire, si vous désirez commander un yaourt aux fraises à travers une interface visuelle, vous devez suivre les étapes ‘rayons’, puis ‘frais’, puis ‘crèmerie’, puis ‘yaourt’, et enfin ‘fruits’ ! Avec une interface vocale, il suffit de dire : ‘Je veux un yaourt aux fraises’. »

Mais trois limites spécifiques à l’interface vocale tempèrent cependant son enthousiasme pour l’instant : la complexité de certaines requêtes, un impératif de concision des réponses « sans lequel on perd l’utilisateur qui retourne devant son écran », et une réassurance nécessaire du consommateur quant à l’acte de paiement.

Maud Funaro

Une liste de courses vocale et omnicanale

Pour le développement de sa stratégie de commerce vocal, E.Leclerc a procédé en deux étapes. L’enseigne a tout d’abord créé le « mémo courses » E.Leclerc Drive, disponible depuis août 2018. « Il s’agit d’une liste générique sur laquelle vous ajoutez des denrées sans les traduire en références produits, précise Maud Funaro. La particularité du service est que la liste de courses alimentée par la voix est déjà intégrée dans nos autres interfaces, le site E.Leclerc Drive et l’assistant de courses ChezMoi : nous l’avons conçu d’emblée en omnicanal. » Ensuite, E.Leclerc s’apprête à lancer cet automne une interface vocale pour le Panier Drive qui inclut les références produits. « L’objectif est de converger le plus rapidement possible vers la bonne référence en se trompant le moins possible ! ». La création de ce nouveau service vocal est guidée par trois principes : primo, s’appuyer sur l’historique d’achats du client s’il existe. « Si vous commandez toujours des yaourts à la fraise de Danone par quatre, l’IA ajoutera ceux-là. » Secundo, si le client n’a pas d’historique et qu’il faut chercher dans le catalogue de produits, « nous avons conçu un algorithme de modélisation des préférences pour parvenir à converger vers les bonnes références rapidement ». Tertio, si la liste finale est trop longue à prononcer, il est possible de finir le parcours sur une interface visuelle.

Quatre défis à relever, en impliquant les équipes métiers

Des objectifs à priori simples mais qui imposent de relever plusieurs défis. Tout d’abord, la sémantique : « Si je demande du lait, il faut que le bot comprenne tout de suite que je ne parle pas de lait démaquillant ! Il faut qu’il soit entraîné à cela. » Second défi, le nombre élevé de caractéristiques : type de produit, goût, marque, origine, conditionnement, prix, etc. Troisième défi, les évolutions permanentes du catalogue produit. Et quatrième défi, les prix et promotions : « Certains mécanismes de promotion, surtout ceux liés à l’achat de produits complémentaires, se comprennent très bien visuellement alors que c’est très complexe oralement. »

Maud Funaro insiste également sur un point essentiel au succès d’une interface vocale : l’intégration des différents métiers au projet dès sa genèse. « Les assistants vocaux sont évolutifs, il ne suffit donc pas d’en développer un et de le laisser fonctionner, il faut le faire évoluer, le nourrir en continu. Et il s’agit d’un service cross-canal : l’utilisateur doit pouvoir passer du bot vocal à l’interface visuelle sans friction, ce qui signifie que les équipes métiers qui gèrent les autres canaux soient impliquées dans ce nouveau parcours. »

« Le smart display libérera tout le potentiel du commerce vocal »

En conclusion, Maud Funaro partage trois convictions sur le commerce vocal. « D’abord, nous sommes convaincus de la valeur de ce nouveau canal pour le commerce, raison pour laquelle nous y sommes entrés tôt. Mais ce n’est pas forcément un canal qui a vocation à couvrir l’intégralité du parcours d’achat. Les services vocaux qui réussiront à percer sont ceux qui s’intégreront parfaitement dans un parcours d’ensemble, l’imbrication est essentielle. Enfin, tant qu’il n’y aura pas de ‘smart display’ associé aux enceintes connectées, il sera difficile de libérer tout le potentiel du commerce vocal. Certains choix ou produits demandent à être visualisés, car trop longs pour être énoncés ou trop chers pour s’engager sans les voir. »

E.Leclerc en bref

Depuis 1949 et l’ouverture en Bretagne du premier magasin par Edouard Leclerc, la coopérative de commerçants E.Leclerc revendique aujourd’hui la place de premier distributeur en France avec 21,6 % de parts de marché. Le groupement compte près de 700 magasins en France et emploie plus de 120 000 salariés pour un chiffre d’affaires proche de 45 milliards d’euros.

Interview de Maud Funaro

 

Interview réalisée lors de l’Atelier organisé par Le Hub de La Poste le 4 avril 2019.

Bio express

Après des études d’économie et de statistiques (HEC, SciencesPo Paris, ENSAE), jusqu'à obtenir son PhD (London School of Economics et École des hautes études en sciences sociales), Maud Funaro rejoint la direction du Trésor en 2005 (ministère de l’Économie et des Finances), puis l’Autorité de la concurrence en 2007. En 2010, elle se dirige vers le conseil en stratégie au Boston Consulting Group, où elle travaille sur des projets retail, consumer et luxe. Après cinq ans passés au BCG, elle se lance dans une expérience entrepreneuriale dans la mode et devient directrice générale d’une marque de lingerie, Madame Aime. C’est en 2016 qu’elle rejoint le groupe E.Leclerc en tant que Directrice de la Stratégie et de l’Innovation.