Retail : les 5 révolutions du commerce "no canal"

25/01/2018

Abolir les frontières entre commerce online et offline pour une expérience sans couture : c’est le Graal de toutes les marques, aiguillonnées par leurs clients qui ne veulent plus choisir entre URL et IRL (In Real Life). Mais ce commerce « sans canal » implique de relever des défis d’envergure…

Quand on lui parle des réalités de l’expérience client en 2018, Jean-Marc Megnin, Directeur général de Altavia ShopperMind, l’observatoire de tendances du commerce du groupe Altavia, lance : « Nous entrons dans l’ère du commerce ‘no canal’ ! ». Autrement dit, un commerce qui ne se définit plus par rapport à un canal de vente, mais qui réconcilie online et offline pour répondre aux attentes des clients. Les consommateurs veulent en effet pouvoir passer d’un canal à l’autre en toute liberté.

2018 sera une année d’accélération

Des grandes manœuvres ont commencé dans l’univers du retail pour sceller cette tendance de fond. L’exemple le plus spectaculaire, jusqu’ici, est le rachat par Amazon du distributeur de produits bio Whole Foods Market pour 13,7 milliards de dollars en 2017. Ce type d’acquisition a le vent en poupe, dans tous les pays et les secteurs. En France, le site de vente en ligne Spartoo a racheté en janvier 2018 les 120 points de vente des chaussures André. Et ce même mois, Carrefour entrait au capital de Showroomprivé.

« 2018 sera une année d’accélération des rapprochements entre physical natives et digital natives », pronostique pour le site LSA Florent Haïk, fondateur de la banque d’affaires spécialisée dans le retail Raphaël Financial Advisory. D’un côté, « les distributeurs physical natives ont besoin du digital pour compléter leur dispositif de distribution physique et développer une approche réellement omnicanal » . Et de l’autre, « les digital natives ont besoin de réduire leur coût d’acquisition clients, de limiter leur dépendance à Google et d’améliorer leurs marges ». Nul doute pour ce banquier d’affaires : « Aucun secteur n’échappera à cette convergence : alimentaire, mode, maison, bijou, bricolage, électroménager, jouet… »

Pour autant, même si elle est attendue tant par les consommateurs que par les banquiers d’affaires, la mise en place d’une stratégie réellement « no canal » passe par de profondes révolutions dans les entreprises. Nous en avons listé cinq.

1La révolution de la data : reconnaître le client quel que soit le canal

Proposer une expérience sans couture, en abolissant les frontières entre online et offline, nécessite de pouvoir reconnaître le client quel que soit le canal. Avant, pendant et après l’achat. Mais pour de nombreuses enseignes, cela semble encore très loin d’être le cas… « Actuellement, au sein de nombreux acteurs, le fichier clients est un fichier mentionnant des clients rattachés à un magasin. En conséquence, ceux-ci ne sont pas connus du site Internet lorsqu’ils se rendent en ligne, car la plateforme est conçue comme un magasin à part », décrit dans une interview à Action Co Pierre Gressier, vice-président retail et services chez GFI Informatique.

Plusieurs enquêtes indiquent que la frontière entre digital et monde réel est toujours bien vivace pour le partage des datas. 85 % des directeurs marketing disent par exemple être dans l’incapacité de réconcilier les données online et offline, selon une étude publiée en novembre 2017 par Conversant, un acteur du marketing digital personnalisé.

Centré sur les distributeurs, le baromètre omnicanal mené par Capgemini Consulting, en partenariat avec LSA, affiche des résultats plus encourageants : selon cette étude de 2016, 43 % des magasins croisent les données du web et du magasin. « Les distributeurs ont commencé à unifier leurs bases clients. Les chantiers ne sont pas finis, mais les projets s’accélèrent », décrypte Olivier Trouvé, vice-président de Capgemini Consulting chargé du retail.

Une des pistes de la convergence online et offline repose sur des technologies dites « people based ». Il s'agit de réconcilier autour d’un identifiant unique, comme une adresse email ou un numéro de téléphone, les différentes données dont dispose l’entreprise mais qui sont souvent organisées en silos : les données du CRM, les informations en provenance des réseaux sociaux, les achats en magasins, les retours du support client, les données collectées via le site web, les clics obtenus sur une publicité en ligne, etc.

« On ne parle plus à des cookies déposés sur un ordinateur, mais bien à un individu, indépendamment du nombre de points de contact entre lui et votre marque », vante LiveRamp, qui fournit des solutions connectant les données CRM avec les outils de marketing digital.

Lacoste, qui a implanté en janvier 2017 une Data Management Platform en partenariat avec la société 1000mercis, a livré des premiers résultats au bout de 10 mois de fonctionnement. Selon e-marketing.fr, la marque a réussi à identifier 67 % des clients enregistrés dans sa base d’emails. Lacoste peut ainsi mieux cibler ses actions, ce qui contribue à tripler ses ventes sur les campagnes utilisant les données de la DMP.

« Nous atteignons ces résultats car nous excluons désormais les personnes qui viennent d’acheter chez nous, ou qui ont déjà été exposées aux publicités d’un partenaire, tout comme nous ciblons en priorité les internautes qui viennent de visiter notre site ou de regarder au moins 75 % d’une de nos vidéos », explique Sonia Tautou, directrice globale du CRM de Lacoste.

2La révolution de la force de vente : rendre le vendeur aussi digital que son client

L’autre enjeu clé des datas, c’est de les rendre accessibles à tous dans l’entreprise, notamment aux vendeurs en magasin qui se voient maintenant dotés de tablettes pour renseigner les clients. « Le vendeur doit désormais être aussi digital que son client, fait valoir dans Les Échos Frédérique Chemaly, DRH des Galeries Lafayette. Le numérique s’impose à toutes les étapes du parcours client. » Le groupe de grands magasins est ainsi en train de mener un projet pilote, au Mans, à Nantes, à Annecy et à Metz, pour équiper ses vendeurs de tablettes et introduire l’omnicanal à l’intérieur des magasins.

L’expérience devrait être déployée pendant la deuxième moitié de 2018 à l’échelle du groupe. À savoir, le navire amiral du boulevard Haussmann, mais aussi un réseau de 62 magasins souvent implantés dans des agglomérations de moins de 50 000 habitants. « Dans ces organisations très stables, les métiers n’ont pas été revus depuis longtemps et le turnover est très faible », souligne Frédérique Chemaly. Changer les habitudes et déployer des solutions numériques est donc un réel défi, qui passe par un dispositif d’accompagnement et de formation, mais aussi par une évolution du mode de rémunération. Pour inciter les vendeurs à orienter les clients vers le site de l’enseigne quand un produit n’est pas disponible en magasin, le groupe expérimente une rémunération variable intégrant le chiffre d’affaires omnicanal.

Confronté à la même problématique, le groupe Fnac Darty a aussi repensé la rémunération de sa force de vente. « Il ne faut pas tout donner au buteur, mais essayer d’avoir une vision plus complète du parcours client », explique Alexandre Viros, directeur marketing et e-commerce du groupe Fnac Darty, dans un entretien avec le blog Think with Google. En magasin, l’omnicanalité est insufflée grâce à un système d’incentives aux vendeurs pour qu’ils ne voient plus le canal web comme un concurrent. Exit l’attribution au dernier clic !

3La révolution de la qualité de service : harmoniser l’expérience client vers le haut

Pour donner aux clients toute latitude pour passer d’un canal à l’autre, ils doivent y trouver la même qualité de service. Or, historiquement, le e-commerce a misé sur des conditions de vente plus attractives qu’en magasin pour inciter les consommateurs à choisir l’achat en ligne. Un exemple parmi tant d’autres : quand le vendeur de matelas en ligne Casper se lance en 2014 à New York, il impose un nouveau standard sur le marché, en accordant à ses clients 100 nuits pour essayer leur matelas, et pouvoir le rendre, sans frais, s’ils ne sont pas satisfaits.

L’enjeu pour les distributeurs est bien sûr d’harmoniser vers le haut la qualité de service, pour rendre l’expérience d’achat aussi fluide que possible quel que soit le canal. Un des défis de Monoprix est par exemple de supprimer l’attente en caisse. L’enseigne a déployé en 2017 dans plusieurs de ses magasins un système d’encaissement mobile grâce à l’application Monop’easy : les clients font leurs courses en scannant les codes-barres à l’aide de leur smartphone, puis payent en un clic, sans passage en caisse. Un système qui repose sur la confiance, et qui pourrait se généraliser au premier semestre 2018.

Autre solution très omnicanal : le « lâcher de chariot », baptisé Shop and Go chez Monoprix qui l’a déjà déployé dans plus de 80 % de ses magasins, et que l’on trouve aussi chez Casino, Cora, Leclerc… Le principe est simple : les clients laissent leurs chariots en l’état avant de passer les caisses ! Leurs courses sont emballées et livrées à domicile, où peut s’effectuer le paiement.

4La révolution de la logistique : vers des magasins zéro stock ?

Le « lâcher de chariot » n’est qu’une des dernières nouveautés dans les modes de livraison proposés aux clients. Livraison en point relais, en casier automatique, en magasin (click and collect), à domicile par coursier en deux heures chrono… Toutefois, d’après le dernier baromètre LSA/Capgemini, la logistique reste « le maillon faible de l’omnicanal chez les distributeurs. Aujourd’hui, seule une enseigne sur sept propose la commande et la livraison de manière totalement omnicanal. » C’est-à-dire avec une vision globale des stocks, qu’ils soient en magasin ou dans un entrepôt, et pouvant être commandés de manière tout à fait fluide via l’ensemble des canaux.

La Fnac fait partie des distributeurs en pointe sur la question. « Fnac.com veut faire des délais de livraison sa marque de fabrique », titrait en décembre 2017 le Journal du Net. En Île-de-France, quatre entrepôts traitent désormais les commandes jusqu’à minuit et les livrent dès le lendemain matin, en magasin ou à domicile. C’est un record en France. L’entreprise croit dur comme fer à l’importance d’un tel service, écrit le Journal du Net, le groupe Fnac Darty réalisant déjà 16 % de ses ventes en ligne.

Demain, la fusion du online et du offline se traduira peut-être par le développement des magasins sans stock : les boutiques pourraient ne plus être que des showrooms au service de l’expérience client. C’est ce que propose déjà aux États-Unis la marque de prêt-à-porter Bonobo, qui a ouvert des dizaines de boutiques connectées avec zéro stock. Les clients peuvent prendre rendez-vous avec un vendeur pour une session d’essayage personnalisée d’une heure. Ensuite, pas de sac à transporter : si un vêtement séduit, il est livré à domicile dans les 24 heures.

En décembre 2017, Zalando a testé le même principe dans un magasin éphémère à Berlin, proposant à ses clients de prendre rendez-vous avec des stylistes de l’enseigne pour profiter de conseils sur mesure. Et se faire livrer à domicile en cas de coup de cœur. 

5La révolution de l’organisation : casser les silos

Dernier défi de l’omnicanal : celui de l’organisation et de la transformation en profondeur de l’entreprise. « On parle souvent de transformation technologique ou de transformation supply chain quand on parle d’omnicanal, observe pour Orange Business Julien Morel, Directeur commercial chez Nespresso. Or chez Nespresso, la transformation digitale est avant tout une transformation relationnelle. Aujourd’hui, nos collaborateurs font la chasse aux dysfonctionnements dans l’entreprise. Ils ne peuvent pas admettre que nos clients fassent des efforts pour vivre une expérience Nespresso. Cette chasse au dysfonctionnement implique une réorganisation transverse, de ‘dessiloter’ les départements de l’entreprise pour que les collaborateurs interagissent de mieux en mieux les uns avec les autres. »

Casser les silos… C’est le maître mot en termes d’organisation omnicanal. « Une révolution culturelle et structurelle » qui a été menée chez Fnac Darty, décrit le blog Think with Google : « Désormais, l’omnicanalité y est infusée à tous les niveaux de l’organisation. IT, commerce, supply chain, marketing, gouvernance exécutive, etc. : tout le monde a des fonctions omnicanal avec la data au cœur du dispositif pour irriguer chaque étage de la fusée. » 

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