Que reste-t-il des 4P du marketing mix ?

19/01/2017

Nous avons posé la question à Emmanuelle Le Nagard, professeur de marketing à l’Essec, ancienne présidente de l’Association Française de Marketing et corédactrice en chef de la revue Décisions Marketing. Pour elle, la logique qui préside aux 4P reste d’actualité, mais aujourd’hui l’expérience a pris le pas sur le produit. « L’objectif n’est plus uniquement de vendre mais d’établir des relations de long terme. » Entretien.

Emmanuelle Le Nagard

La règle des 4 P est née dans les années 1960. Quel a été l’apport de cette démarche ?

Emmanuelle Le Nagard : Il y a, avant tout, une utilité très pédagogique. C’est facile à mémoriser, c’est facile à comprendre. En plus, ce n’est pas de la théorie : c’est une façon efficace de présenter des pratiques réellement mises en œuvre sur le terrain. C’est la vertu des check-lists un peu simples, mais c’est aussi leur limite : ce que l’on en retient est parfois également assez simpliste.

Aujourd’hui, près de 60 ans après leur formulation, cette approche reste-t-elle toujours d’actualité ?

La logique générale est toujours la même. Les 4P, ce sont les moyens opérationnels dont dispose une entreprise pour s’exprimer sur le marché. C’est ce que perçoit le client : une offre de produits et de services, dans un échange avec une contrepartie qui est un prix à payer, dont le consommateur doit avoir connaissance, et avec un produit qui doit être mis à disposition. Mais chacun des P s’est complètement éclaté et diversifié depuis l’invention de ce moyen mnémotechnique.

Le produit. Aujourd’hui, les entreprises ne proposent plus simplement un produit, mais une combinaison de produit et de service. La démarche des 4P est née dans les années 1960, plutôt chez les lessiviers, autour de l’idée d’un produit physique. Mais désormais, la plupart des offres commerciales sont des combinaisons de produits et de services. C’est donc réducteur sur le premier P.

Le prix. L’approche est aussi réductrice sur ce point. Le prix est devenu bien plus complexe. Il fluctue dans le temps. Des travaux récents ont aussi montré que le prix ne se résumait pas, dans l’esprit des clients, à la dimension monétaire. Le prix, c’est aussi le temps que l’on consacre à la recherche d’information, ce sont les efforts pour obtenir le produit… Plus qu’un prix, on peut parler de « sacrifice » pour le consommateur.

La « promotion » en anglais, la communication en français. Même s’il y a toujours l’idée de faire prendre connaissance et d’informer, les moyens de communication sont, bien évidemment, nettement plus étendus aujourd’hui qu’en 1960, notamment grâce au digital.

La « place », autrement dit la distribution. Ici aussi, le digital a apporté une très grande diversification, et une plus grande complexité entre l’offre disponible en magasin et celle en ligne. La frontière entre communication et distribution est également devenue plus floue.

La règle des 4P est-elle toujours enseignée aux étudiants en marketing ?

Je ne peux pas parler au nom de l’ensemble de mes collègues. Moi, en tout cas, je présente toujours cette approche à mes étudiants dans mes cours à l’Essec, avec les réserves que je viens d’exprimer. Les 4P s’inscrivent dans une perspective historique du marketing. Et la méthode est tellement connue que, si on ne l’enseigne pas, les étudiants ont l’impression de ne pas avoir appris toutes les règles de base !

Sur le fond, avec toutes les précautions d’usage, cette approche est encore utile et elle reste un outil pédagogique pour comprendre l’activité marketing. Elle permet aussi de faire comprendre l’importance de la cohérence de ces 4 moyens opérationnels entre eux pour traduire le positionnement d’une offre sur un marché.

D’autres approches du mix marketing ont vu le jour, comme les 4C ou encore les 5P…

Je me méfie un peu des fausses révolutions conceptuelles. On retombe souvent sur les mêmes rubriques mais sous une dénomination différente, ou avec des ajouts qui sont sur un autre plan. Je préfère m’appuyer sur la méthode la plus populaire, qui propose aussi une cohérence globale. Les ouvrages de marketing se structurent d’ailleurs la plupart du temps autour de la conception de l’offre, de la fixation du prix, de la communication et de la distribution. Cela traduit également une logique dans le processus d’achat.

Quelles évolutions la règle des 4P peine-t-elle à traduire ?

La logique client et l’importance d’établir une relation sur la durée avec le consommateur. Une marque ne raisonne plus uniquement en parts de marché sur une catégorie de produits, mais aussi en parts de client : quel chiffre d’affaires réalise-t-elle chez un client donné ? L’enjeu du marketing n’est plus simplement de vouloir réaliser une vente, mais de s’inscrire dans une relation de long terme avec le client. Il faut donc compléter l’approche 4P, très produit, par une approche plus centrée sur le client et la fidélisation de ce client.

Dans les années 1960, le marketing se concentrait sur la satisfaction d’un besoin par un produit. Aujourd’hui, on est dans l’établissement de relations de long terme fructueuses, non plus sur une transaction unique, mais sur un ensemble de transactions, et non plus sur une offre de produit, mais sur un portefeuille de produits et de services. Le mot d’ordre, ce n’est plus le produit, mais l’expérience, et même une multiplication d’expériences dans le temps. Ce que ne décrivent pas les 4P.

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