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« Nos services de proximité créent de l’activité et de la fierté chez les postiers »

22/04/2024

L’avènement du numérique a bouleversé l’activité historique de La Poste. Confrontée à l’érosion du courrier postal, La Poste se réinvente en profondeur. Grâce à son incomparable puissance de proximité et à sa capacité à développer de nouveaux métiers, elle reste au plus près des besoins de la société, en particulier en matière de maintien du lien social auprès d’une population française vieillissante.

[Interview extraite du Mag Réinvention]

Comment définiriez-vous l’évolution du groupe La Poste ces dernières années ?

Philippe Wahl – Toutes les communautés humaines sont confrontées au défi d’évoluer tout en restant soi-même. Ce renouvellement permanent des formes d’organisation et d’action, cette métamorphose, est l’une des réponses aux nombreux défis (sociaux, environnementaux, démographique) auxquels sont aujourd’hui confrontées les entreprises. Nous devons nous adapter, pratiquer le dépassement permanent, et viser la conquête et la croissance pour assurer notre pérennité. La Poste est une entreprise qui, par son engagement, se réinvente et essaie d’agir sur la société. Cette réinvention, rendue nécessaire par la disparition progressive de ce qui a motivé sa création, c’est-à-dire la lettre, est la base même de notre projet stratégique. Malgré la baisse de notre activité courrier (-7 milliards d’euros sur cette période), notre chiffre d’affaires est passé de 22 Mds€ à 34 Mds€ entre 2013 et 2022, ce qui prouve que nous avons relevé le défi de la transformation. La part de notre chiffre d’affaires (+ de 40 %) réalisée à l’international, en particulier via ses activités colis et assurance, est un des marqueurs de notre développement. Ces performances sont le résultat d’un large programme d’investissement dans les secteurs d’avenir (le colis, le e-commerce, la bancassurance, la confiance numérique, le grand âge…), au service des besoins de la société, et notamment du maintien du lien social.

 

Qu’est-ce qui fait de La Poste un acteur du lien social ?  

P. W. – Dans notre modèle historique, lorsque nous distribuions 18 milliards de lettres par an, le facteur était un personnage clé de la vie quotidienne. Ce chiffre, qui a connu un décrochage brutal en 2008, s’établit aujourd’hui à 6 milliards par an et devrait être de 3 milliards en 2030. À l’heure du numérique, nous devons imaginer les services utiles pour accroître le lien social, et donc, procéder à une réinvention du groupe et de sa relation à la société. Nous devons aussi repenser notre présence dans les territoires et proposer de nouvelles formes qui répondent aux besoins actuels. C’est le cas par exemple de l’épicerie solidaire récemment inaugurée à Orliac-de-Bar, en Corrèze, conformément au vœu du maire. Nous y avons ouvert une agence postale communale. Cela permet à l’épicerie de bénéficier de la base de clientèle de La Poste (qui vient pour les colis, les timbres, la téléphonie…) et inversement. Il existe aujourd’hui 7 000 bureaux de poste et 10 000 points de contact qui prennent des formes différentes selon les besoins de la population (agences postales communales, relais poste commerçants...).

 

Votre transformation passe-t-elle par la réinvention des services aux personnes âgées ? 

P. W. – En effet, notre transformation s’inscrit dans un contexte de vieillissement démographique, qui se traduit par un éloignement d’une partie de la population, moins ancrée dans la vie sociale, synonyme de fragilisation et d’un risque de grande solitude. Or nous sommes encore aujourd’hui la seule entreprise française avec un réseau de 62 000 facteurs qui passent chaque jour chez des millions de personnes, ce qui nous confère une puissance de proximité inégalée. Notre ambition est de conserver la puissance de ce maillage de proximité au-delà de l’activité courrier. Par exemple, à travers la livraison de repas ou de médicaments et des visites de convivialité. Ces services créent à la fois de l’activité pour le groupe et de la fierté chez les postiers, auxquels ils donnent l’opportunité de prolonger leur pratique du lien social. En distribuant les repas à domicile aux personnes âgées, les facteurs apportent en quelque sorte le « pain quotidien » à cette population. Nous avons distribué 5 millions de repas l’année dernière. C’est avec cette même volonté d’accompagner le maintien à domicile et contribuer à la détection des fragilités que nous nous engageons auprès de l’IHU (Institut hospitalo-universitaire) HealthAge de Toulouse. Plus largement, nous souhaitons accompagner la transformation du système de santé en favorisant le maintien en bonne santé à domicile et la valorisation des données de santé. C’est le sens de la création en octobre dernier de La Poste Santé & Autonomie.

 

Quel rôle joue la formation dans la transformation du Groupe ?

P. W. – Un rôle majeur. Les facteurs qui se distinguent à la fois par le goût du contact et le besoin d’autonomie ont un profil qui les rend particulièrement aptes à s’acquitter de ces métiers de proximité. Mais au-delà de leurs aptitudes, cette capacité est renforcée par leur expérience et par une formation ad hoc. De façon générale, notre objectif est que 80 % des postiers bénéficie au moins d’une formation au cours de l’année. Par exemple, nous sommes l’entreprise française la plus formée au tutoriel « Objectif IA » de l’Institut Montaigne. Cela doit permettre aux 55 000 postiers qui ont suivi la formation d’être un jour prêts à accueillir un outil d’intelligence artificielle dans leur travail quotidien.

 

La Poste se présente comme un leader du développement durable, pouvez-vous nous en donner quelques illustrations ? 

P. W. – Ce positionnement de leader en matière de développement durable s’inscrit dans la continuité de notre tradition de service public. En effet, être une entreprise de service public, cela signifie veiller à l’égalité, à la péréquation et à l’accès égal de tous à nos services. Nous voulons être un modèle, y compris dans notre rapport à l’environnement. Nous sommes sans doute un exemple de réinvention d’une entreprise, à la fois dans notre relation à la société et à la nature. Plusieurs exemples sont particulièrement parlants. Ainsi, en tant que transporteur, nous sommes aujourd’hui un leader mondial de la décarbonation logistique. Avec une des premières flottes électriques au monde, nous contribuons à accélérer la décarbonation du transport et donc, de la société. En plus d’être des pionniers de la décarbonation logistique, nous intégrons aujourd’hui les préoccupations liées à la biodiversité, notamment pour l’implantation de nos plateformes de traitement des colis. Ainsi, en Corrèze, nous avons totalement revu le plan de masse et déplacé le bâtiment de plusieurs centaines de mètres pour préserver un système aquatique servant d’habitat au crapaud à ventre jaune. Enfin, La Banque Postale a été la première au monde à annoncer, dès février 2022, sa sortie du financement des énergies fossiles d’ici à 2030.

 

Cette avance en matière de RSE ne se limite pas aux sujets environnementaux…

P. W. – En effet. Sur le sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes, après dix ans de politique sociale, nos salariées femmes (la situation est différente chez les fonctionnaires) sont payées en moyenne 0,2 % de plus que les hommes. Cela envoie un message à nos propres salariées, mais aussi, plus largement, à l’ensemble du monde du travail, auquel nous montrons qu’il est possible à une entreprise de 250 000 personnes d’adopter une politique sociale qui neutralise le genre.

 

Bio de Philippe Wahl

Diplômé de Sciences Po Paris, de l’ENA, titulaire d’un DEA en sciences économiques, Philippe Wahl entre d’abord au Conseil d’État en tant qu’auditeur et maître des requêtes et devient, en 1986, chargé de mission auprès du président de la Commission des opérations de Bourse. Conseiller technique chargé des affaires économiques auprès du Premier ministre en 1989, il est, en 1997, responsable des services financiers spécialisés de Paribas. Il sera ensuite directeur général de la Caisse nationale des Caisses d’Épargne, puis du groupe Havas ; vice-président du groupe Bolloré et, en 2007, directeur France de la Royal Bank of Scotland. En janvier 2011, il devient président du directoire de La Banque Postale et directeur général adjoint du groupe La Poste. En 2013, Philippe Wahl prend les fonctions de président-directeur général du groupe La Poste et de président du conseil de surveillance de La Banque Postale.

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Crédits : © Mathilde de l'Ecotais

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