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« Une culture de la nature nous reconnecte à notre envie de comprendre et de nous émerveiller. »

13/02/2024

De tout temps, l’homme s’est inspiré de la nature pour en reproduire certaines formes, propriétés ou process. Son efficacité, éprouvée par près de 4 milliards d’années d’expérience, permet de faire plus avec moins et de remédier à la rareté de certaines ressources. Synonymes de sobriété intelligente et joyeuse, les solutions du biomimétisme contribuent à rendre l’avenir désirable.

[Interview extraite du Mag Désirabilité]

 

Qu’est-ce que le biomimétisme ? Comment ses applications ont-elles évolué au fil du temps, notamment dans le transport et la logistique ?

Tarik Chekchak – Depuis toujours, les hommes appliquent la biomimétique et s’inspirent de systèmes non humains pour résoudre des problématiques très humaines. Le biomimétisme (biomimicry en anglais), qui vise à réduire l’empreinte environnementale négative et à mieux prendre en compte les aspects sociaux, en est un sous-ensemble. On y entre par trois voies : le design de forme, les matériaux et processus de fabrication, et les principes inspirés du vivant. Les deux premières trouvent de nombreuses applications dans la mobilité, notamment pour améliorer la pénétrabilité des véhicules dans l’air ou dans l’eau. Prendre modèle sur des os d’oiseaux permet d’alléger des véhicules sans perdre en robustesse ; reproduire les propriétés de la peau de requin facilite les écoulements laminaires, tout en empêchant les organismes marins de s’installer : deux propriétés précieuses pour un bateau. Cette multifonctionnalité est caractéristique du biomimétisme. En imitant les diatomées (des algues microscopiques qui se fabriquent un squelette en verre très fin à partir de la silice de l’eau, à température et pression ambiantes), on peut précipiter un dépôt de verre par exemple sur une surface de lin ou de chanvre et obtenir ainsi un matériau composite comprenant du verre mais beaucoup plus léger et possiblement à empreinte carbone positive. À la clé, des économies d’énergie et de CO2, et de forts impacts sur la logistique. Les algorithmes inspirés de la communication entre fourmis ou abeilles, ou la synchronisation des bancs de poissons sont également utilisés pour les GPS ou la circulation des véhicules autonomes.

 

En quoi le biomimétisme peut-il favoriser une nouvelle forme d’abondance ?

T. C. – L’efficacité des processus inspirés de la nature permet d’atteindre un même résultat en optimisant la dépense d’énergie ou de matière. Les principes du vivant contribuent à cette efficacité, qu’il s’agisse de l’utilisation de l’eau comme solvant, des déchets comme ressources, du recours en priorité aux atomes les plus abondants dans la nature, de la coopération entre organismes ou encore du fonctionnement à pression et température ambiantes.

Certaines applications permettraient même de remédier à une rareté que l’on commence à appréhender : celle du foncier. En reproduisant la photosynthèse par laquelle les plantes exploitent l’énergie solaire, l’hydrogel photosynthétique, translucide, offre une alternative aux panneaux solaires, consommateurs de silicium et d’énergie. D’un rendement aujourd’hui très inférieur, cet hydrogel est compatible avec une activité agricole, comme un arbre qui laisse passer la lumière, ce qui réduit fortement les conflits d’usages des sols entre alimentation et énergie.

La "Bay South Garden" de Singapour : véritable matérialisation du concept de biomimétisme, les arbres d'acier et de béton s'inspirent du vivant pour en tirer des solutions et innovations énergétiques au service de la ville.

Comment la façon dont la nature nous inspire, en termes d’innovation ou de beauté, peut-elle contribuer à rendre le futur désirable ?

T. C. – Il faut se garder d’une approche romantique selon laquelle tout ce qui est naturel serait forcément bon, car cela nuirait à notre esprit critique. Qu’on songe au poison du serpent corail ou au lion qui dévore la gazelle encore vivante !

Définir la désirabilité n’est pas simple. Nous peinons à abandonner les anciens schémas et les « réponses destructives » des XIXe et XXe siècles qui, bien qu’imaginées avec les meilleures intentions n’en constituent pas moins les problèmes du XXIe. Nous devons modifier fondamentalement notre évaluation de la performance, en expérimentant de nouvelles méthodes tenant mieux compte de notre inscription dans la « toile de vie ».

En tout cas, en proposant des solutions synonymes de sobriété intelligente, joyeuse et créatrice de valeur, le biomimétisme permet de sensibiliser des milieux qui le sont encore peu. Faire réapparaître une culture du vivant permet de nous reconnecter à notre envie de comprendre et de nous émerveiller.

 

 

Bio de Tarik Chekchak

Ingénieur écologue, Tarik Chekchak est directeur Biomimétisme à l’Institut des futurs souhaitables. 
Il développe l’approche du biomimétisme en France depuis dix ans et l’enseigne au sein de l’Institut, de grandes écoles, de collectivités et d’entreprises. 
Il est membre fondateur du Centre européen d’excellence en biomimétisme (Ceebios).

 

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