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Les nouveaux business models de la conso responsable

22/09/2022

Face à l’urgence environnementale, de nouveaux business models s’inventent. Objectif : sortir du modèle linéaire consistant à produire et à vendre toujours plus de produits neufs. Mais la transformation vers une croissance plus responsable nécessite bien des expérimentations. Certaines marques se lancent seules, d’autres s’appuient sur des startups. État des lieux.

Le chiffre d’affaires durable, l’outil de pilotage de Decathlon vers de nouveaux business models

Faire de la croissance en vendant toujours plus de produits neufs et en épuisant les ressources de la planète… Decathlon en est convaincu : ce business model linéaire n’est plus tenable. Pour piloter sa transformation vers des modèles plus vertueux, l’enseigne s’est dotée d’un nouvel indicateur : le « chiffre d’affaires durable ». « Il repose sur les ventes issues de l’atelier de réparation, de la location de matériel, des biens d’occasion, des produits neufs mais utiles à la réparation comme des pièces détachées ou des rustines par exemple, explique à Novethic Sébastien Usher, Chef de projet développement durable chez Decathlon. Tous les magasins suivent ainsi cette donnée et ils sont primés en conséquence. »

Aujourd’hui, le chiffre d’affaires durable représente 5 % des ventes de l’enseigne. Le groupe vise les 15 % d’ici 2026. Parmi les initiatives qui peuvent faire bouger les lignes, Decathlon expérimente en Belgique le principe d’un abonnement à la Netflix, permettant d’utiliser tous les produits ou presque d’un magasin sans avoir à les acheter. Nous avons interviewé Luc Teerlinck à l’initiative de ce projet. « Les données captées lors d’un premier test nous montrent que ce modèle d’abonnement peut être rentable et profitable pour toutes les parties prenantes », explique-t-il. Decathlon va procéder à une expérimentation de plus grande ampleur au printemps prochain, impliquant notamment un magasin en France. « Nous sommes encore à un stade exploratoire, nous avançons à la lumière des phares, insiste Luc Teerlinck. Ce qui est en jeu, c’est un changement complet de paradigme. Pour généraliser ce modèle d’abonnement, il faut mettre toute la chaîne en mouvement, de la conception au retail à la logistique. »

Des startups ouvrent de nouvelles pistes

« Il est très difficile pour une entreprise qui est née avec un business model fondé sur la propriété de passer à autre chose, développe Philippe Moati, cofondateur de l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), dans une interview qu’il nous a accordée. C’est un classique de la sociologie des organisations, et c’est aggravé par le fait que les business models alternatifs ne sont pas encore écrits. Il faut les découvrir, les expérimenter, sans être assuré de réussir. Ce sont d’ailleurs souvent des startups qui révèlent qu’il existe une possibilité alternative à la propriété. »

Lib&Lou en fournit un bon exemple. La startup propose un système d’abonnement pour des jouets ludoéducatifs. Mais ce modèle ne s’est pas imposé de lui-même. Au départ, Lib&Lou s’est lancée avec l’idée de louer des jouets à l’unité, avant de mettre au point des formules d’abonnement mensuel répondant mieux aux contraintes logistiques et aux attentes des clients. « Avant de le généraliser, nous avons testé le principe d’un abonnement durant un an dans notre concept store, nous explique Julie Mélet, cofondatrice de Lib&Lou. Quand on se lance dans l’économie d’usage, on est forcément dans un business model innovant. Et pour qu’une innovation fonctionne, il faut être dans la proximité client. Connaître leurs attentes, leurs besoins… Nous progressons en fonction de leurs retours. » (Lire « Lib&Lou imagine le premier abonnement pour des jouets »).

Louer plutôt qu’acheter… Les innovations fusent pour imaginer la consommation responsable de demain. Une startup, TULU, veut ainsi permettre de louer les objets du quotidien depuis un local installé dans le hall des immeubles. Ce n’est pas une lubie : la startup a déjà déployé sa solution dans 130 bâtiments de 15 villes, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas et en Israël. Grâce à une appli, les habitants de ces immeubles accèdent à un « magasin » autonome situé au rez-de-chaussée où ils peuvent louer aspirateurs, machines à coudre, chaises pliantes, imprimantes, consoles de jeu… La sélection d’objets s’adapte au profil des résidents. TULU vient de lever 20 millions de dollars, avec l’objectif d’équiper 1 000 immeubles d’ici 2 ans.

Leroy Merlin expérimente avec une startup un nouveau service de location pour les bricoleurs occasionnels

L’association entre une grande enseigne et une startup spécialisée est souvent une formule gagnante pour expérimenter un nouveau business model. C’est le choix de Leroy Merlin qui a noué un partenariat avec Lizee, une startup spécialisée dans l’économie circulaire, pour développer une nouvelle offre de location de matériel de bricolage. « Leroy Merlin accompagne les habitants vers de nouveaux modes de consommation pour passer d’un modèle linéaire, gourmand en ressources, à un modèle circulaire, sans déchet, présente Florent Quelquejay, Leader Marché Leroy Merlin. Aujourd’hui, avec Lizee, nous faisons une avancée de plus dans cette direction. L’idée est simple : faciliter la location d’outils pour les petits travaux de bricolage. »

Le service qu’expérimente l’enseigne est 100 % digital. Les clients sélectionnent sur une plateforme dédiée le kit de bricolage dont ils ont besoin pour poser du parquet flottant, du carrelage, un joint, etc. Tout est fait pour faciliter la vie du bricoleur amateur, avec l’assurance de ne manquer d’aucun outil. Ainsi, le kit pour la pose de parquet flottant contient une scie à onglet, une scie sauteuse, un niveau, un mètre déroulant, un maillet de carreleur, une paire de genouillères de protection, etc. Le client peut adapter le kit selon ses besoins, et il choisit la durée de location. Livraison et retour sont gratuits, assurés par Chronopost. Lizee apporte la dimension logistique et servicielle avec la gestion des retours et de remise en état des produits, détaille Ecommercemag.fr.

Fnac Darty se transforme pour devenir « le champion de la réparabilité »

Nouveaux modes de consommation, développement du marché de la seconde main, plus grande sobriété… Fnac Darty se prépare à vendre moins de produits neufs dans les années à venir. L’enseigne veut en faire une opportunité et « devenir le champion de la réparabilité ». Cette ambition est au cœur du projet stratégique du groupe, « Everyday », lancé en 2021. Pour compenser la baisse des ventes, Fnac Darty veut développer un « nouveau business model basé sur l’abonnement ». Au cœur du projet : le service Darty Max qui couvre à partir de 9,99 euros par mois la réparation de tous les appareils que possède un client, achetés ou non chez Darty. L’enseigne vise les 2 millions d’abonnés en 2025 et en comptait déjà 500 000 début 2022.

« Les distributeurs sont habitués à vendre des produits et non des services, c’est un autre métier, souligne toutefois dans LSA Vincent Gufflet, Directeur des opérations et des services pour le groupe Fnac Darty. Nous avons dû apprendre à créer une offre d’abonnement, à la gérer car ces clients sont plus exigeants, et à développer des compétences en interne pour tenir notre promesse et éviter le churn (la désinscription, NDLR). » L’enseigne a ajouté en mai dernier la visio à sa formule Darty Max. Non seulement pour assister ses clients à distance, mais aussi pour faire un point avec eux de manière préventive une fois par an et anticiper certaines interventions.

Signe de l’intérêt des consommateurs pour ce type d’offre : cet abonnement est désormais également proposé aux clients de la Fnac, sous le nom de « Service Réparation by Darty ». Boulanger a emboîté le pas et commercialise depuis le mois de juin son propre service d’abonnement à la réparation, « Boulanger Infinity ». 

La seconde main, un levier pour fidéliser avant d’être un centre de profit

Une tendance de fond vient bouleverser les business models traditionnels : l’inexorable montée en puissance de la seconde main, quel que soit le secteur. Selon une étude réalisée par l’entreprise de fintech Tripartie, le marché de la seconde main en France est estimé à 7 milliards d’euros. Smartphones, meubles, vêtements… D’après l’Ifop, 90 % des 18-25 ans ont déjà acheté un produit d’occasion.

Pour ne pas voir leurs clients se tourner vers Vinted ou Leboncoin, toutes les marques ou presque intègrent désormais la vente d’articles de seconde main. Une enseigne comme Kiabi, numéro 3 de l’habillement en France derrière Intersport et Leclerc, veut avoir installer d’ici la fin 2023 un corner de vêtements d’occasion dans l’ensemble de ses 332 magasins français. « Ce service ne cannibalise pas les ventes, au contraire, indique au journal Les Échos François Hild, Responsable des corners seconde main chez Kiabi. Les clientes viennent compléter leurs achats avec de la seconde main. ». Il souligne « l’hybridation des modes de consommation. Nous avons même recruté de nouvelles clientes qui ont découvert Kiabi grâce à la seconde main. À cette occasion, la plupart ont aussi acheté des produits neufs. »

Pour alimenter ce circuit, l’enseigne rachète à ses clients leurs vêtements d’occasion, réglés soit en espèces sonnantes et trébuchantes, soit en bons d’achat avec un abondement de 20 %. « Parmi les distributeurs de textile, nous sommes les plus avancés », affirme François Hild. La vente de produits d’occasion pèse toutefois encore peu dans les comptes de Kiabi. L’enseigne en attend 3 millions d’euros en 2022, à comparer au 1,99 milliard d’euros de chiffre d’affaires réalisé en 2021 par le groupe. Mais c’est une activité amenée à se développer, et Kiabi s’y prépare activement. « L’enseigne d’habillement industrialise la seconde main », résume le journal Les Échos. Un site dédié a même été lancé, Secondemain.kiabi.com.

La rentabilité des sites de vente en ligne d’articles d’occasion n’est toutefois pas assurée. La logistique est notamment très complexe à gérer. Même Vinted n’est pas rentable aujourd’hui. « Nous investissons dans de nouveaux services et dans de nouveaux pays. C’est pour cela que nous ne sommes pas encore profitables, justifie son PDG Thomas Plantenga dans Le Figaro. Mais les vêtements d’occasion ne représentent encore qu’une faible part de la mode. Le potentiel est important. »

La Redoute a aussi lancé une plateforme dédiée à la seconde main entre particuliers, La Reboucle, mais sans non plus viser la rentabilité à court terme. C’est d’abord un outil pour accompagner les clients. Ils peuvent y revendre leurs meubles et leurs vêtements quand les enfants grandissent, par exemple. Pour fidéliser, l’enseigne abonde les prix de 25 % pour ceux qui acceptent un paiement en bons d’achat. « La Reboucle est un service à valeur ajoutée pour nos clients. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’objectifs de rentabilité économique », explique dans La Croix Jean-Philippe Sloves, Directeur de la communication « corporate » et de la RSE de La Redoute.

Les vertus de la précommande

Ne fabriquer que les objets réellement souhaités par les clients. C’est le principe de la précommande. Un business model à la fois responsable (il n’y a pas de surproduction) et intéressant pour les entreprises : le besoin en fonds de roulement est bien moins important car les articles sont achetés avant même d’être fabriqués.

Basée à Bordeaux, la marque de vêtements Asphalte est un des pionniers de ce modèle. « Le concept même de notre marque est construit sur l’interaction avec les clients. Nous leur demandons quels seraient les vêtements idéals qu’ils aimeraient porter, nous explique dans une interview Rodolphe Gardies, Chief Marketing Officer d’Asphalte. Cela nous permet de minimiser les coûts et l’impact environnemental. Nous ne créons rien qui ne soit pas nécessaire et qui n’ait pas été demandé par nos clients. »

Le premier modèle créé par la marque s’appelait « le pull parfait ». « Sur les réseaux sociaux, nous avons demandé quel pull les gens auraient envie de porter tous les jours, pendant des années. Ils nous ont dit qu’ils ne voulaient pas que leur pull bouloche, qu’il gratte, qu’il rétrécisse au lavage… Avec des précisions sur la coupe, sur le col, etc. », détaille Rodolphe Gardies. Depuis, Asphalte a développé une gamme resserrée de vêtements, des basiques élégants et durables. Proposer des coupes indémodables dans des matériaux de qualité contribue en effet à une consommation responsable, les clients n’ayant pas envie d’en changer chaque année.

Autre marque française de vêtements, 1083 a aussi débuté grâce à la précommande. Son créneau de départ : le jean fabriqué en France. Aujourd’hui, la marque fonctionne sans précommande, mais reste attachée à réduire l’impact environnemental de ses produits. Elle a développé un concept innovant : le jean « Infini », écoresponsable et… consigné ! 1083 a en effet réussi à mettre au point un jean 100 % recyclable. « Il fallait donner une réalité à ce principe et encourager les clients au recyclage, nous explique le cofondateur de la marque Thomas Huriez. C’est pourquoi nous avons choisi de ‘consigner’ ce jean. Une consigne de 20 euros que versent les acheteurs et qui s’ajoute au prix du jean, autour de 120 euros. Grâce à un partenariat avec La Poste et au système de Libre Réponse, les clients peuvent nous renvoyer leur jean une fois usé sans payer de frais de port, et nous leur remboursons les 20 euros. » La consommation responsable suscite bien des innovations !

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