Emmanuel Rivière • Œuvrer pour le sens commun
Progressivement les modes de consommation ont évolué en même temps que l’état des lieux d’un monde plus incertain. Comment la proximité est-elle perçue comme une providence pour rassembler les citoyens, tour à tour clients, consommateurs, usagers et administrés ? Emmanuel Rivière, directeur général Kantar France, nous répond.
Directeur général Kantar France
Emmanuel Rivière
Au début des années 2010 le concept d’économie circulaire s’installe peu à peu dans l’esprit des consommateurs. Pour répondre à ce nouveau mode de consommation vertueuse, la proximité s’est imposée comme une solution pour pallier l’éloignement et l’absence d’écoute, et mieux prendre en compte les situations de terrain vécues par les consommateurs. “La proximité trouve sa définition quelque part entre le discours et les actes”, résume Emmanuel Rivière, pour qui “les entreprises doivent désormais répondre à la double injonction d’authenticité et de responsabilité”, lancée par des citoyens de plus en plus soucieux de connaître les circuits des produits qu’ils achètent. Selon lui, c’est ce qui explique pourquoi les maires font partie des élus préférés des Français : “ils incarnent ces fameux circuits courts de la parole, sans surpromettre ou survaloriser.”
Des consommateurs éclairés pour orienter la feuille de route des entreprises
Dans une étude Kantar réalisée pour l’UDM (Union des marques) sur la confiance des Français dans leur rapport aux marques, 77 % souhaitent que leurs achats correspondent à la promesse de la marque. La proximité est intrinsèquement liée à la transparence et de nouveaux marqueurs de confiance viennent vérifier cette traçabilité. Des applications comme Yuka participent à l’éducation des consommateurs et deviennent en même temps de véritables arguments commerciaux pour les entreprises. “Pourtant ces outils ne sont pas à l’initiative des marques mais de plus en plus de produits sont conçus pour obtenir de bons scores.”
Consommateurs et entreprises : tous responsables, tous unis, tous humains
La hiérarchisation des préoccupations est en train de changer. “Dans tous nos baromètres, les inquiétudes liées à l’environnement sont montées de façon progressive et non pas par à-coups, ce qui montre que c’est un sujet qui capte l’attention dans la durée.” L’exigence vis-à-vis des entreprises privées comme publiques s’est accrue, le défi devient collectif et nous attendons qu’elles repensent leur cœur de métier pour nous donner la possibilité d’être des citoyens responsables. D’autant plus que l’engagement environnemental n’est plus antinomique avec la performance économique.
La proximité naît des valeurs communes et partagées. Il est donc indispensable pour les entreprises de communiquer sur leurs engagements car leur crédibilité se joue en grande partie sur cet aspect. “On demande aux marques d’être des personnes morales au sens philosophique du terme”, avance Emmanuel Rivière. Entre les marques et les consommateurs, le rapport de force s’est lissé au fur et à mesure que la communication se fait de plus en plus de personne à personne et la proximité prend également une dimension émotionnelle. “Finalement, nous sommes toujours dans ce rapport intimiste avec les marques sauf que nous y avons ajouté l’aspect éthique et responsable. Les engagements sociaux et environnementaux d’une entreprise sont le prolongement de ce rapport émotionnel.”
Réinstaurer le rapport de confiance dans l’action publique
Si, pour les entreprises privées, la véritable proximité se vérifie par l’exercice de la transparence, dans le secteur public, le rapport de confiance est primordial. “L’enjeu repose sur la faculté à convaincre les citoyens que les changements mis en place vont fonctionner parce qu’ils vont y contribuer.” Dans cette configuration, il faut engager la fierté des usagers. “Pour les collectivités, il y a un véritable effort de persuasion à fournir, d’où l’importance de raconter une histoire dans laquelle les consommateurs vont se reconnaître et vont consentir à coopérer.”
Un exercice d’équilibriste pour les marques comme pour le secteur public, qui ne peuvent inviter les citoyens à se sentir responsables si eux-mêmes ne mettent pas de moyens à leur disposition : “C’est très facile de réactiver les mécanismes du désengagement.” Pour guider tous les contributeurs d’une société vers des choix collectifs de plus en plus responsables, ce ne seront pas les excès de réglementation qui feront aboutir les changements mais la faculté à embarquer les citoyens en les responsabilisant sur les arbitrages, autrement dit la conduite de nouveaux paradigmes se fera à travers une meilleure répartition du pouvoir décisionnel : “il faut accepter de perdre le contrôle de la parole pour répondre aux défis que nous impose l’avenir.” Avant de bien s’entendre, ne faut-il pas s’écouter avec sincérité ? Un prérequis nécessaire à toute relation, que seule la proximité a le secret de faciliter.