Quels nouveaux rôles pour les vendeurs ?

26/02/2015

Malmenée par la crise, questionnée par des clients exigeants, la présence de vendeurs en magasin pourrait toutefois retrouver une nouvelle vigueur. Dans une version connectée, et avec un rôle qui évolue vers celui de coach ou d’ambassadeur. De nouveaux modes de rémunération pourraient même apparaître.

« Le premier magasin de Paris où l’on se sert soi-même. » L’affiche a été apposée le 6 juillet 1948. S’ouvre ce jour-là, dans le quartier de Montmartre, rue André Messager, le tout premier magasin d’alimentation en libre-service de France, sous l’enseigne Goulet-Turpin. Cela semble difficilement imaginable aujourd’hui, mais à l’époque, les clients ne prennent pas eux-mêmes les produits en rayon. Alors, ce commerce d’un nouveau genre intrigue. Libération titre même : « Innovation : un magasin sans vendeur ».

Près de 70 ans plus tard, où en sont les vendeurs dans la relation client ? La prédiction de voir disparaître les vendeurs ne s’est pas réalisée. Néanmoins, la tendance ces dernières années est à une remise en question de l’humain dans les points de vente. Comme le pointe le site e-marketing.fr (voir en bas de page les liens de nos sources), la crise a détruit des dizaines de milliers d’emplois dans le commerce et, notamment, dans les métiers de la vente, laissant trop souvent le client livré à lui-même.

Dans une démarche de rationalisation, les vendeurs ont aussi été amenés à plus de polyvalence : remplissage de rayons, réalisation de tâches administratives, nettoyage… « La polyvalence à outrance déresponsabilise les métiers de la vente, analyse Frank Rosenthal, expert et consultant en distribution. Qui ne s’est jamais entendu dire "ce n’est pas mon rayon", par exemple ? À trop vouloir imposer la polyvalence à leurs vendeurs, les magasins détruisent leur expertise. »

Autre phénomène : l’autonomisation du client. Ces dix dernières années, 10 000 caisses automatiques ont ainsi été installées dans l’Hexagone. Sophie Bernard, maîtresse de conférence en sociologie à l’Université Paris-Dauphine, voit là « une nouvelle répartition des taches entre salariés, clients et machines ». Elle explique dans La Tribune : « On aurait pu imaginer que cette recomposition des tâches permette une présence plus importante de salariés en vue de répondre ou d’assister les clients, en somme de développer les services fournis aux clients. À l’heure actuelle, ce n’est pas le choix opéré en France (mais plutôt dans les pays anglo-saxons), les distributeurs français y voyant plutôt l’occasion de réduire leurs coûts. »

Conséquence de ces différents phénomènes ? « L’expérience shopping devrait atteindre un paroxysme en magasin. Mais souvent il n’en est rien », constate Valérie Piotte, Directrice Générale de Publicis Shopper, dans l’interview qu’elle nous a accordée.

A lire aussi : Le clienteling décrypté par Valérie Piotte, DG de Publicis Shopper

Les vendeurs manquent d’expérience, selon 65 % des consommateurs

De leur côté, les consommateurs français ont une attitude assez ambivalente vis-à-vis des vendeurs. Certaines enquêtes les disent en attente de contact humain. 9 Français sur 10 placeraient même l’humain comme première raison de préférer les magasins physiques par rapport au e-commerce. Mais d’autres études montrent un phénomène inverse ! D’après une enquête Ipsos commandée par l’agence digitale Extrême Sensio et publiée début 2015, 83 % des Français préfèrent réaliser leurs achats sans l’aide d’un vendeur. Cette prise de distance est entre autres confirmée par un sondage réalisé par OpinionWay pour Miliboo.com. Pour en reprendre trois chiffres :

- 77 % des consommateurs déclarent que les vendeurs font trop souvent de la vente sous pression ; 
- 65 % regrettent leur manque d’expérience ; 
- 65 % estiment qu’ils ne savent pas donner de conseils personnalisés.

Par ailleurs, quand un client veut être en contact avec un interlocuteur humain, ce n’est pas nécessairement parce qu’il recherche une expérience plus conviviale. « Le client veut aussi pouvoir dialoguer avec un être humain pour marchander, suggère le site spécialisé dans l’innovation dans les services financiers, C’est pas mon idée. Obtenir un petit effort sur un taux d’intérêt ou une remise sur les frais de dossier, voilà qui est impossible devant l’écran d’un ordinateur. »

« Tout le monde aura du Web to store, l’important c’est le sourire de la vendeuse »

Plusieurs signes indiquent toutefois que l’humain devrait retrouver des couleurs en magasins. Dans le « Cahier de tendances du marketing point de vente », élaboré pour Popai, l’organisme qui regroupe les professionnels du secteur, Eric Stiévenard, gérant de l’agence Designer, indique : « le rôle du vendeur est en train d’évoluer et la perception qu’en ont les clients est en train de changer également. Faire de bons produits avec un bon design et un bon prix n’est pas suffisant… Il faut penser à la qualité de l’acte d’achat. Il y a aujourd’hui cette prise de conscience chez les marques. »

Alors que la relation entre les marques et les consommateurs se digitalise toujours plus, l’humain reste en effet un facteur clé de différenciation. « Tout le monde aura du Web to store, l’important c’est le sourire de la vendeuse ». C’est ainsi que la Revue du digital a résumé l’intervention, lors du colloque « Mobile 2014 », de David Horain, responsable du digital pour Etam, la marque de lingerie et de prêt-à-porter. Il explique : « Les technologies Web to store, toutes les marques vont y être, mais quand en France, on vous dira bonjour avec le sourire quand vous entrez dans un magasin comme aux Etats Unis, ce sera gagné. »

La qualité de la relation humaine comme élément de différenciation et de préférence de marque, cela se retrouve à toutes les étapes du parcours client. Intervenant lors d’un Atelier de la Performance Client organisé par La Poste, Jérôme Dalidet, directeur d’Auchandirect.fr, a insisté sur un aspect assez peu évoqué par les acteurs du secteur : la dimension humaine lors des livraisons. « En tant que spécialiste de la distribution, nous n’oublions jamais le contact avec le client. Le chauffeur qui livre un colis représente la marque et c’est lui qui doit faire en sorte que le contact final avec le client se passe le mieux possible ». Jérôme Dalidet fait de l’« humanisation » de la livraison une clé de succès. « La différence avec les concurrents se fait dans la relation. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas externalisé notre service de livraison et disposons de nos propres chauffeurs. »

Le concept gagnant : le « vendeur augmenté »

Mais pour faire la différence face à des consommateurs qui se sont souvent longuement renseignés sur internet avant de venir en magasin, le vendeur ne peut pas être livré à lui-même. « Le concept gagnant, c’est le 'vendeur augmenté', qui fait l’interface entre le digital et le client », relève le Cahier de tendances du marketing point de vente. En pratique, cela consiste, a minima, à équiper les conseillers en magasin de smartphone ou de phablettes. Ils peuvent ainsi avoir accès aux mêmes informations que les clients : sites web, fiches produits, comparateurs de prix… Ils peuvent aussi accéder à l’état du stock, évitant que les clients soient parfois mieux informés qu’eux sur ce qui se trouve dans leur magasin.

Sans oublier de permettre aux vendeurs de pouvoir consulter le dossier du client, son historique d’achat, ses commandes en cours, etc. C’est un chantier dans lequel s’engage Darty notamment. Une des enseignes les plus en pointe dans le déploiement du concept du « vendeur augmenté » n’est pas toutefois dans l’univers high-tech, mais de la beauté : il s’agit de Sephora, à retrouver dans la troisième partie de notre dossier.

Le rôle même du vendeur est aussi en train de se recomposer. « Le vendeur qui fait tout n’est plus possible. Même le mot ’’vendeur’’ est rejeté par les clients, ils veulent un facilitateur, un accompagnateur objectif », explique Jean-Marc Megnin, Directeur général du laboratoire d’études et de prospective ShopperMind, du groupe Altavia. Certaines marques se mettent ainsi à imaginer leurs vendeurs comme des ambassadeurs ou comme des coachs. Avec l’objectif d’accompagner les clients dans leur usage des produits, voire de les former. Spécialisée dans la distribution d’objets connectés, la nouvelle enseigne Lick a ainsi baptisé ses vendeurs des « Community Helpers » pour souligner leur rôle de conseil et d’animation de la communauté des utilisateurs.

A lire aussi : 7 nouvelles façons de vendre

Des réflexions s’engagent sur les modes de rémunération des vendeurs

Pour que ce discours trouve tout son sens, il faut naturellement que les vendeurs soient formés en permanence, et que leur rémunération prenne en compte leur rôle dans un dispositif multicanal. La Tribune, qui a enquêté sur cette question, note que certains vendeurs se sentent parfois concurrencés par les nouveaux canaux de distribution. « Il y a souvent une mauvaise perception du site chez les vendeurs car ils ne touchent aucune commission sur les ventes conclues en ligne », reconnaît Henri Danzin, coprésident de l’agence Oyez, qui développe des solutions pour connecter les vendeurs en magasin.

Une des pistes de réflexion en cours est de réussir à intégrer une part variable dans la rémunération des vendeurs pour prendre en compte les transactions sur internet. Au niveau des magasins, il existe déjà des clés de répartition du chiffre d’affaires généré en ligne. L’objectif serait d’aller au niveau des vendeurs pour les intéresser aux ventes sur internet. Jean-Marie Culpin, directeur marketing chez Orange, en donne une illustration : « Dans certaines boutiques en Europe, nous testons des moyens d’inciter les vendeurs à compléter leurs achats en ligne. L’idée consiste à donner au client un code d’activation qu’il inscrira sur le site. Le nom d’un vendeur est associé à ce code. En cas d’achat en ligne, le vendeur sera récompensé. Une promotion pourra être associée à l’activation de ce code, afin d’inciter les clients à l’inscrire. »

Avec l’évolution du rôle des vendeurs, de nouvelles questions apparaissent. La valeur ajoutée du vendeur doit-elle, par exemple, être mesurée par une commission directement sur les ventes ? S’il aide un client à mieux utiliser un produit, ou s’il passe du temps pour lui permettre de trouver l’article le mieux adapté, bref s’il fidélise un client, le vendeur peut-il n’avoir comme motivation que des ventes réalisées à court terme ? Apple a trouvé une réponse radicale : ses vendeurs dans les Apple Store ne sont pas commissionnés sur les ventes qu’ils réalisent. Avec l’objectif qu’ils puissent passer le temps nécessaire avec un client, et lui apporter le meilleur conseil en fonction de ses besoins. Cette pratique reste encore une exception. Mais elle illustre bien les réflexions en cours sur le rôle des vendeurs dans le parcours d’achat des consommateurs.

Plus d’infos : 
Les « magasins sans vendeurs » ont cinquante ans (Histoire d’entreprise) 
Vendeur à l’ère digitale : un métier en voie de disparition ? (La Tribune) 
La distribution doit remettre des vendeurs dans ses rayons (e-marketing.fr) 
Les clients veulent plus de « conseils connectés » (Fashion United) 
Le Cahier de Tendances du marketing point de vente 
Les Français sont connectés, qu’attendent les magasins ? (e-marketing.fr) 
La banque en ligne pas assez séduisante ? (C’est pas mon idée)

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