« Avoir 60 ans aujourd’hui, c’est comme en avoir 45 il y a cinquante ans ! »

14/06/2024

Face à l’allongement de l’espérance de vie, et à des seniors plus jeunes, plus modernes et plus efficaces en entreprise, le regard sur l’âge doit évoluer. Serge Guérin, sociologue, spécialiste de la transition démographique et des enjeux de la longévité, dresse un constat et propose des pistes pour parvenir à imaginer ensemble une société plus inclusive et solidaire. 

[Interview extraite du Mag Longévité]

 

Quelles sont les évolutions nécessaires pour faire advenir une société solidaire et inclusive des seniors ?

Serge Guérin – Les seniors de 2024 ne sont pas les mêmes que ceux de 2004, encore moins de 1954. Depuis 2008, l’espérance de vie en bonne santé physique et mentale a augmenté plus vite que l’espérance de vie stricto sensu, qui est passée de 68 ans en 1950 à plus de 83 ans aujourd’hui. Les seniors ont rajeuni. Face aux nouvelles technologies, ils font preuve d’une intelligence particulière, plus attentive aux usages, en particulier en matière de lien social. Mais le regard que la société porte sur eux a vieilli. La vision de nombreux décideurs est décalée.

 

Qu’en est-il dans le monde du travail ?

S. G. – Certaines entreprises ont bien compris la valeur des seniors, celles pour lesquelles ils constituent un marché : 56 % des consommateurs ont plus de 50 ans, un jouet sur trois est acheté par un retraité… Mais de façon générale, on est catalogué senior et déconsidéré comme tel plus vite encore dans l’entreprise que dans la société globalement. En revanche, sur un marché du recrutement en tension, où les jeunes ont un rapport au travail plus distancié, les entreprises sont contraintes de faire appel aux seniors et redécouvrent leurs qualités : plus d’écoute, plus perfectionnistes, plus fidèles que les jeunes. Et surtout, cela permet aux entreprises d’avoir une pyramide des âges qui colle mieux à celle de leur marché. Malgré cela, il y a un besoin important de pédagogie à mener auprès des managers pour que leur vision évolue plus rapidement.

Où en est la société quant à la prise en compte de cette transition démographique ? Comment l’accélérer ?

S. G. – Le vieillissement de la population, renforcé par la baisse récente du taux de fécondité, est inéluctable. Depuis 2015, les plus de 60 ans sont plus nombreux que les moins de 20 ans, et cela s’accélère. En 2050, il y aura 35 % de plus de 60 ans et seulement 20 % de moins de 20 ans. Devant ces chiffres, la prise de conscience reste trop lente et les représentations trop datées. Il faut poursuivre la pédagogie. Avoir 60 ans aujourd’hui, c’est comme en avoir 45 il y a cinquante ans. On a l’expérience d’en avoir 60, mais des capacités physiques d’en avoir 45. Plutôt que de compter le nombre d’années écoulées depuis la naissance, comptons en termes d’années restant à vivre ! Comparés aux pays nordiques, les pays du Sud ont un rapport plus compliqué avec l’âge, ils sont en retard sur la représentation, mais aussi sur la prévention, notamment physique. En Scandinavie par exemple, une femme de 75 ans en short qui joue au basket, ça ne gêne personne. Leur vision des seniors dans le monde du travail valorise l’expérience. Sur le plan pratique, des mesures pour favoriser l’adaptation des villes et des logements sont nécessaires. Pour permettre aux seniors de rester chez eux le plus longtemps possible, comme ils le souhaitent, il faut non seulement améliorer les conditions salariales et le quotidien des professionnels du soin, pas assez nombreux, mais aussi valoriser ces métiers auprès des enseignants et des jeunes.

Peut-on imaginer une adaptation conjointe entre transitions démographique et écologique ?

S. G. – Ces deux transitions sont inéluctables, et face au retard que nous affichons dans la prise de décisions, il faut absolument que tous s’impliquent. C’est le thème du livre que je viens de publier : Et si les vieux aussi sauvaient la planète ? D’ailleurs, les seniors sont au moins aussi conscients des enjeux écologiques et aussi prêts à agir. Ils ont toujours recyclé, sont plus adeptes de la marche que des trottinettes électriques, etc. De nombreuses solutions présentent des synergies face à ces défis. Par exemple, mutualiser les démarches de MaPrimeAdapt(1) et MaPrimeRenov(2) ; profiter des leçons de conduite pour transporter des personnes âgées ; multiplier les jardins partagés bénéfiques à l’environnement, la santé, au lien social et au pouvoir d’achat ; aménager plus d’habitats partagés, une solution qui permet de lutter contre l’isolement tout en réduisant l’empreinte carbone des logements, etc.

 

(1) Aide mise en place depuis le 1er janvier 2024 pour financer la réalisation des travaux d’adaptation du logement pour les personnes âgées et celles en situation de handicap.

(2) Aide de l’État à destination des propriétaires qui souhaitent réaliser des travaux de rénovation énergétique au sein de leur logement, qu’ils habitent ce dernier ou qu’ils le proposent à la location.

Bio de Serge Guérin

Serge Guérin est professeur à l’Inseec GE, sociologue, spécialiste de la transition démographique, des enjeux de la longévité et de l’innovation sociale. Auteur d’une quarantaine d’ouvrages sur les problématiques sociales du vieillissement et de l’intergénération, la sociologie des seniors, l’innovation sociale, la santé, notamment : Silver génération, 10 idées reçues à combattre à propos des seniors (éditions Michalon), La guerre des générations aura-t-elle lieu ? (éditions Calmann-Lévy), Et si les vieux aussi sauvaient la planète ? (éditions Michalon).

 

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