Claire Biot, VP Santé de Dassault Systèmes : « Votre jumeau numérique pourrait bien vous sauver la vie ! »

23/02/2023

Le jumeau numérique est déjà une réalité dans le domaine de la santé. « Un médicament sur deux est désormais conçu avec nos solutions », illustre Claire Biot, Vice-Présidente en charge de l’Industrie des Sciences de la Vie et de la Santé chez Dassault Systèmes. Conception de nouvelles molécules, réalisation d’essais thérapeutiques, reproduction d’organes humains… La révolution touche l’ensemble du secteur, jusqu’à l’optimisation des usines de production.

Claire Biot

Comment Dassault Systèmes est-il devenu leader mondial du jumeau numérique dans la santé ?

Claire Biot : C’est très directement lié à notre raison d’être : « Proposer des univers virtuels afin d’imaginer des innovations durables, capables d’harmoniser les produits, la nature et la vie. » À l’intersection de ces trois composantes – produits, nature et vie –, on trouve naturellement la santé.

Si je remonte en arrière, Dassault Systèmes est une spin-off de Dassault Aviation, née en 1981. Grâce à la modélisation informatique, nous avons radicalement transformé la manière dont les avions sont conçus. D’abord en changeant leur ingénierie puis en s’étendant à l’ensemble de leur cycle de vie. Nous mettons aujourd’hui ce savoir-faire au service de l’innovation thérapeutique et de l’excellence des pratiques médicales. La santé représente déjà 20 % du chiffre d’affaires de Dassault Systèmes. C’est en forte croissance, avec plus d’un milliard d’euros de revenus en 2022 et 10 000 clients partout dans le monde, notamment des entreprises pharmaceutiques et biotech. Un médicament sur deux est désormais conçu avec nos solutions.

Que permettent aujourd’hui d’accomplir concrètement les jumeaux numériques dans le domaine de la santé ?

L’exemple le plus parlant est peut-être la modélisation d’organes humains. Nous sommes notamment capables de reproduire un cœur, pas uniquement dans sa géométrie mais aussi dans son comportement électromécanique, dans sa gestion des flux sanguins, etc. Comme nous pouvons aussi modéliser un stent ou une valve, cela permet, avant de tester un nouveau dispositif médical sur de vrais patients, de procéder à un « crash test » sur le jumeau numérique.

Ce double de cœur humain peut aussi aider un médecin à prédire la meilleure façon de réaliser une chirurgie sur un patient. Cela se pratique déjà à l’hôpital pédiatrique de Boston. Le chirurgien-ingénieur David Hoganson reçoit des enfants souffrant de malformations cardiaques congénitales. Avant de procéder à une opération, il réalise un jumeau numérique de leur cœur et teste différentes manières d’intervenir. Il peut ainsi déterminer la meilleure approche pour sauver ces enfants.

Quelles sont les autres applications des jumeaux numériques dans la santé ?

Elles sont vraiment très nombreuses, en termes thérapeutiques ainsi que d’optimisation de la production. Je vais vous donner quatre illustrations. Tout d’abord, nous pouvons non seulement réaliser le jumeau numérique d’un organe, mais aussi d’une molécule. Cela intéresse un très grand nombre de nos clients dans l’industrie pharmaceutique qui conçoivent des « candidats-médicaments », c’est-à-dire des nouvelles molécules qui vont interagir avec des cellules qui dysfonctionnent. C’est le même principe qu’un puzzle ou qu’un mécanisme clé-serrure : avec un jumeau numérique en 3D de la molécule, les chercheurs sont capables d’en optimiser la forme et de trouver le meilleur candidat médicament. Nous pouvons même intégrer des mécanismes d’intelligence artificielle pour optimiser la recherche de nouvelles molécules.

Deuxième exemple. Une fois que l’on dispose d’un candidat médicament, nous pouvons créer un jumeau numérique du procédé de production. Il capitalise toute les connaissances nécessaires à la fabrication du médicament. Cela permet de passer de la recherche en laboratoire à une production industrielle à grande échelle.

Troisième exemple. Nous faisons le jumeau numérique de l’usine. Sanofi veut par exemple dans ses usines pouvoir passer de la fabrication d’un vaccin A à un vaccin B. Avant, cela lui prenait un mois pour changer les paramètres et reconfigurer l’usine. Désormais, cela se fait en sept jours. Avec le jumeau numérique de l’usine, nous pouvons voir en temps réel comment orchestrer le changement des équipements pour passer de la fabrication d’un vaccin A à un vaccin B.

Et quelle est la quatrième illustration ?

La technologie du jumeau numérique permet de faire des essais cliniques in silico, c’est-à-dire selon un modèle informatique, en s’appuyant sur des données d’essais cliniques déjà existantes. Nous avons racheté il y a 4 ans le leader de la digitalisation des essais cliniques, Medidata. Aujourd’hui, nous réalisons un essai clinique sur deux dans le monde. Pour tester un nouveau traitement, nous pouvons utiliser les données d’essais cliniques précédents au sein d’une bibliothèque de patients virtuels. Cela permet de diviser par deux le nombre de « vrais » patients nécessaires pour l’essai clinique, et par deux le temps de l’essai clinique. Ce qui accélère très fortement l’accès au marché pour l’innovation thérapeutique. 

À l’échelle du système de santé, quels sont les apports du jumeau numérique ?

La collaboration tout d’abord. Nous l’avons déjà remarqué dans l’aéronautique, et c’est peut-être encore plus vrai dans le monde médical : l’innovation médicale et la capacité à bien prendre en charge un patient passent par la capacité à collaborer autour de la compréhension de sa pathologie et des différentes options thérapeutiques possibles. Pour cela, il faut faire travailler ensemble des disciplines parfois très éloignées et le jumeau numérique permet de partager une représentation commune : les différents spécialistes vont mettre des connaissances et des savoir-faire en commun, ce qui permet de casser les silos. Cela change radicalement la manière de collaborer.

Un autre apport clé est dans le partage et la diffusion des connaissances. Si je suis médecin et que j’invente demain une nouvelle manière de soigner le cœur de l’enfant, sa diffusion sera beaucoup plus rapide si la connaissance est capitalisée dans un jumeau numérique. Des professionnels de santé pourront se l’approprier immédiatement, même à l’autre bout du monde.

Au niveau des médecins traitants, si mon historique médical est partagé au travers de mon jumeau numérique, mon médecin généraliste aura une meilleure capacité à comprendre ce qui m’est arrivé, pourquoi j’ai vu un gastro-entérologue ou un oncologue, et donc à pouvoir prendre le relais en termes de traitement. Cela devrait permettre de décloisonner et de casser les silos dans le système de soin.  

Demain, j’aurai un double numérique qui prendra les médicaments avant moi, qui sera opéré avant moi, qui vieillira avant moi ?

Et votre jumeau numérique pourrait bien vous sauver la vie ! C’est notre vision. Ce jumeau numérique, c’est votre dossier patient du futur. Un dossier intelligent. Avant de réaliser une intervention au bloc opératoire, elle pourra en effet être testée sur votre jumeau numérique pour être sûr qu’elle est la plus pertinente. Cela vous permettra aussi de mieux comprendre votre santé. Nous avons beaucoup parlé d’innovations thérapeutiques et donc des industries de santé. Nous avons aussi parlé des médecins et des professionnels de santé. Mais le patient a aussi envie d’être acteur de sa propre santé. Et cela commence par la capacité à bien comprendre ce qui lui arrive. Le jumeau numérique aide à prendre des décisions informées.

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