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Le marketing responsable, oxymore ou nouveau défi ?

17/06/2021

Un vent nouveau soufflerait-il sur le marketing des marques ? Les enjeux environnementaux et sociétaux prennent peu à peu le pas sur les préoccupations de court terme. En intégrant les exigences de RSE, le marketing pourrait retrouver une place centrale dans les entreprises. Décryptage et illustrations.

Le sujet interpelle aujourd’hui les professionnels. « Le marketing sera responsable ou ne sera pas ! », lance ainsi Maurice N’Diaye, co-président de l’Adetem, l’association nationale des professionnels du marketing. Pourtant, accoler les deux termes, marketing et responsable, peut surprendre. « Le marketing est vu comme un domaine centré sur le court terme, qui a pour ‘obsession’ de vendre plus et de la façon la plus rentable possible. Ainsi, il a été accusé d’avoir favorisé la surconsommation et le gaspillage des ressources en se centrant sur les désirs éphémères des consommateurs. » Ce constat est dressé dans The Conversation par Sihem Dekhili. Maître de conférences en Marketing à l’Université de Strasbourg, elle est néanmoins convaincue qu’une autre vision du marketing est possible. Elle participe d’ailleurs cette année à deux ouvrages dédiés au marketing responsable, « Le marketing au service du développement durable, repenser les modèles de consommation » (Éditions ISTE-Wiley, mars 2021) et « Marketing durable » (Éditions Pearson, juillet 2021). Ce qui devrait changer la donne pour le marketing ? L’indispensable prise en compte des enjeux environnementaux et sociétaux.

Un marketing en 3 dimensions

Ces enjeux permettent d’esquisser une définition du marketing responsable. Directeur du tout nouveau Master Communication et Marketing Responsable de l’ISC Paris, qui ouvre ses portes en septembre 2021, David Garbous le voit comme « un marketing en trois dimensions ». Intervenant dans un podcast de J’ai un pote dans la com, il développe : « Quand j’étais à l’école, on m’a appris à faire un marketing en deux dimensions, qui concilie le savoir-faire d’une entreprise et les attentes d’une cible de consommateurs. C’est la réconciliation de ces deux aspirations qui fait, historiquement, la valeur ajoutée du marketing. Mais le marketing d’aujourd’hui doit être en trois dimensions. À ces deux dimensions, on doit ajouter une dimension sociétale. Chaque marketer, quand il crée un produit, quand il développe une offre, doit être capable de dire non seulement si cela répond à une attente de consommateurs mais aussi si cette offre va contribuer à résoudre les problèmes environnementaux qui sont devant nous. » Les enjeux environnementaux ne doivent pas non plus faire oublier qu’un marketing responsable se doit aussi d’être plus éthique, plus inclusif, plus transparent…

Retrouver une place centrale dans les entreprises

La prise de conscience semble unanime chez les marketers. D’après un sondage publié fin mars par l’Adetem en partenariat avec Stratégies, 93 % des décideurs marketing et communication se sentent personnellement concernés par le marketing responsable. 59 % des répondants estiment même évoluer dans une entreprise déjà engagée dans une démarche responsable.

Pour accompagner cette dynamique, l’Adetem en association avec le Cercle du marketing client a créé en son sein un collectif « Responsables ! by Adetem ». « L’objectif est de construire une vraie vision autour de cette approche, avec une idée principale : considérer l’intégralité de la chaîne de valeur au niveau de l’entreprise, du sourcing à la distribution, en passant par l’engagement des collaborateurs », indique Maurice N’Diaye à l’occasion d’un webinaire.

En se positionnant comme responsable, le marketing rappelle en effet qu’il peut être au cœur du fonctionnement des entreprises, de l’amont à l’aval, pour contribuer à l’écoconception de l’offre, orienter les produits et services vers une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux, inciter les clients à faire le choix d’une consommation durable, imaginer de nouveaux business models… « Le marketing est en première ligne pour changer l’offre, et donc en première ligne pour changer le monde, s’enthousiasme David Garbous. Avec les problématiques de RSE et de développement durable, c’est une fonction qui va reprendre une place centrale dans les entreprises et revenir au cœur des stratégies. »

Pour autant, « il est important de considérer l’attribut écologique comme un élément parmi d’autres de l’offre, complète Sihem Dekhili. Il est aberrant de penser que le consommateur serait attiré par le seul avantage écologique. Si l’on souhaite diffuser la consommation écologique le plus largement et impliquer aussi les personnes les moins sensibles à l’enjeu du développement durable, les marques ne devraient pas perdre de vue l’ensemble des bénéfices égocentrés (santé, praticité, confort, etc.) qui sont aussi importants pour la cible. »

« Les Français attendent des marques qu’elles les guident dans leurs choix pour consommer moins et mieux »

Revendiquer un marketing responsable permet de répondre à la quête de sens des collaborateurs. Il semble en effet désormais difficile de vouloir recruter et fidéliser les meilleurs marketers sans intégrer dans leur mission la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Mais c’est aussi une exigence qui monte en flèche chez les consommateurs. D’après le dernier Baromètre de la consommation responsable de GreenFlex et de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) publié fin mai, 72 % des Français disent aujourd’hui modifier leurs habitudes en faveur d’une consommation plus responsable. 61 % trouvent même de la satisfaction à réduire leur consommation. « Au lieu d’être incités à consommer davantage, les Français attendent des marques, entreprises et distributeurs qu’ils les guident dans leurs choix pour consommer moins et mieux », résume l’Ademe.

On peut aussi relever que seuls 31 % des Français font globalement confiance aux grandes entreprises. Et 80 % demandent des preuves pour croire aux engagements des marques. Sinon ? Les tentatives de greenwashing sont rapidement détectées et rejetées.

Allonger le cycle de vie des produits

Quel peut être l’apport concret du marketing ? « Il apparaît en mesure de lutter contre l’obsolescence programmée en aidant par exemple à concevoir des produits ayant un cycle de vie allongé, et de contribuer à construire un capital-marque durable », illustre Sihem Dekhili. C’est le pari dans lequel s’est engagé le groupe SEB, propriétaire des marques Calor, Krups, Moulinex ou encore Rowenta. Le leader mondial du petit électroménager a fait de la réparabilité un des piliers de la conception de ses produits. Le groupe s’engage notamment à avoir le stock nécessaire de pièces de rechange, imprimant en 3D celles qui sont les moins utilisées. « Notre objectif n’est pas que les consommateurs changent d’appareil pour un nouveau, mais qu’ils soient suffisamment satisfaits de nos produits pour avoir envie d’acheter un aspirateur ou un robot cuiseur chez nous quand ils en auront besoin », fait valoir dans Le Parisien Joël Tronchon, directeur développement durable du groupe. L’an dernier, SEB est allé plus loin encore en s’engageant sur des forfaits réparations tout compris. Le groupe assure ne pas gagner d’argent sur ses forfaits, donnant la priorité à une juste rémunération de son réseau de 220 réparateurs indépendants. Mais pour mettre en œuvre cette stratégie, « il lui a fallu lever des réticences en interne : si l’on répare nos produits, est-ce que l’on ne cannibalise pas nos propres ventes ? », analysait dans l’interview qu’elle nous a accordée Valentina Carbone, codirectrice de la Chaire Deloitte sur l’économie circulaire et les business models durables.

Accepter de vendre moins de produits neufs

Les mentalités évoluent et la prise de conscience des enjeux environnementaux entraîne de plus en plus d’entreprises sur le chemin de l’économie circulaire. Ce nouveau marketing responsable est ainsi au cœur du plan stratégique de Fnac Darty lancé en début d’année qui prévoit de vendre moins de produits neufs et de compenser cette baisse de revenus par la vente de services par abonnement (voir notre dossier Au revoir les produits, bonjour les services et les solutions !). « Nous avons décidé de devenir les champions de la réparabilité, explique Enrique Martinez, directeur général de Fnac Darty. C’est une démarche citoyenne que demande le consommateur. » Un « nouveau business model basé sur l’abonnement » se dessine pour couvrir la réparation de tous les appareils.

Signe des temps, Patagonia qui a forgé son image sur ses engagements en faveur de l’environnement et la durabilité de ses vêtements est aujourd’hui l’entreprise ayant la meilleure réputation aux États-Unis, d’après le classement Axios Harris Poll 100 réalisé ce printemps auprès de plus de 40 000 consommateurs. « Patagonia n’a jamais cédé aux sirènes du marketing agressif : des promotions plutôt rares, une politique de prix élevés (et justifiés), une absence remarquable sur le terrain publicitaire, tout en étant hyperactive sur ses propres médias », écrit Marc Drillech dans son livre « Brand Success », cité par e-marketing.fr.

Lutter contre le gaspillage et la surconsommation

Un marketing responsable, c’est aussi un marketing qui accompagne les consommateurs dans une juste utilisation des produits. Henkel en fournit une illustration avec sa campagne de sensibilisation aux écogestes, La Beauté du geste, menée ce printemps en magasin et sur le digital. Les équipes du groupe de cosmétiques ont identifié 10 gestes simples à adopter pour des rituels beauté plus responsables. Ce sont à la fois des conseils pour ne pas gaspiller l’eau ou éviter les accessoires jetables, mais aussi pour ne pas utiliser trop de produits cosmétiques (« Les bonnes choses, je les dose »), et même une invitation à ne pas trop en acheter (« N’encombrons pas nos placards »).

Qu’un industriel n’incite pas à la consommation, « c’est un parti pris fort mais nécessaire. Les consommateurs attendent ce genre d’engagement de la part des marques », explique dans LSA Charlotte Le Buhan, directrice marketing de l’activité beauty care retail d’Henkel en France. Elle voit dans cette opération portée par des marques phares du groupe (Le Chat, Diadermine, Fa, Schwarzkopf, etc.) « un marketing responsable pour faciliter l’essor d’une consommation responsable ».

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