Comment le Club Med a transformé ses vendeurs en « designers d’expériences »
07/07/2022« Une vraie mutation dans la posture que nous avons avec nos clients. » Charlotte Bernin, Directrice du Marché France, nous dévoile le plan de transformation commerciale et relationnelle du Club Med. Clé de voute de la démarche : les vendeurs sont devenus des Travel Experience Designers. « Nos resorts sont désormais tous premium, il faut que le parcours d’achat le soit tout autant. » Interview.
Comment se porte le Club Med sur la clientèle française ?
Charlotte Bernin : Nous sommes en croissance par rapport à 2019, l’année de référence avant-Covid. Après les confinements, nous avons connu le phénomène du « Revenge travel », de gros pics de réservations où nous avions même du mal à prendre les appels tant les Français avaient envie de partir ! Depuis, nous conservons de belles tendances de vente.
Pour cet été, nous observons un très fort attrait de nos clients pour l’Europe : Grèce, Portugal, Italie… Mais aussi la France, et notamment la montagne, désormais très demandée en période estivale. Cette destination a fait son retour du fait du Covid. Les Français ont redécouvert leur pays et le grand air !
Quels autres changements ont été provoqués par la crise sanitaire ?
Il y a un besoin plus marqué en réassurance et en flexibilité. Les clients attendent des conditions de remboursement ou de report plus souples. Nous avons ainsi dû adapter rapidement nos conditions générales de vente.
Le timing des réservations évolue également, avec beaucoup plus de réservations de dernière minute. En 2020 et 2021, par la force des choses, la majorité de nos clients ont réservé au dernier moment. Nous revenons à une certaine stabilité mais avec 10 points de plus sur les réservations de dernière minute. Nous avons aussi un peu moins de réservations très en amont. Réserver au dernier moment devient la norme.
Que change cette tendance pour vous ?
Cela a des impacts très forts sur notre organisation. Ne serait-ce que sur la planification des congés de nos Travel Experience Designers [voir plus loin]. Les mois creux ne sont plus les mêmes. Nous avons dû revoir l’organisation du travail.
Nous avons aussi repensé nos investissements média. Nous n’adressons plus les mêmes messages au même moment. Autrefois, nous avions une présence marketing très forte sur certains mois, sur les périodes où nos clients planifiaient leurs vacances. Aujourd’hui, nous avons une stratégie « always on », avec des investissements tous les mois.
Quel est le parcours type d’un client avant de partir en vacances avec le Club Med ?
Entre la phase « Je rêve » et la phase « Je réserve », le parcours dure environ deux mois et demi en moyenne. Durant cette période, un client va avoir 11 points de contact avec nous. Le premier est mobile, sur notre site Internet. Dans 80 % des cas, un autre de ces points de contact sera humain, par téléphone ou en agence.
C’est vraiment un choix de la part de nos clients que d’entrer en relation avec un Designer d’expériences. Ils n’appellent pas pour obtenir ce qu’ils pourraient trouver seuls sur Internet. Le digital recentre le rôle de l’humain. Il doit être un vecteur d’émotion, et surtout pas une interface du digital.
Cela a changé le rôle des vendeurs du Club Med ?
La prise en compte de cette dimension omnicanale a été une des motivations de notre transformation commerciale et relationnelle. Nos vendeurs ne doivent surtout plus être des preneurs de commande. Ils sont devenus des Travel Experience Designers (TED), pour co-construire le plus beau projet de voyage avec notre clientèle.
Globalement, cette transformation est partie des attentes de nos clients, à partir d’un constat fait juste avant le Covid. Nos clients ne cherchent plus seulement des vacances, ils veulent une expérience unique, qui leur permettra de revenir avec plus que des souvenirs. Ils attendent de pouvoir se retrouver, se reconnecter, vivre leur passion… Pour cela, ils sont en quête de conseils très personnalisés pour trouver le séjour le mieux adapté. Nos Travel Experience Designers doivent comprendre ce qui va rendre le client heureux en vacances, ce que ne peut pas faire le site Internet.
Il nous fallait aussi être en phase avec la montée en gamme qu’a connue le Club Med les années précédentes. Nos resorts sont premium, il faut que le parcours d’achat le soit tout autant.
Comment s’est concrétisé le nouveau rôle des Travel Experience Designers ?
Il a d’abord fallu changer nos outils de travail : l’outil de réservation et le système de téléphonie. Avant le projet TED, un vendeur avait face à lui un écran noir avec des codes inscrits en vert. « PCAC » pour « Vente Punta Cana »… Il fallait rénover cette interface. Cela s’inscrit dans la symétrie des attentions : pour que l’expérience client soit réussie, celle des collaborateurs doit l’être tout autant. Il fallait aussi pouvoir nourrir nos TED et leur donner toutes les informations disponibles pour personnaliser la relation.
Nous avons donc investi pour créer un nouvel outil, CXO, Commercial eXperience Optimisation, dans lequel nous avons intégré le CRM. Quand vous appelez et que votre numéro est reconnu, la personne qui vous répond voit apparaître votre profil à l’écran, sait exactement où vous en êtes de votre projet, ce que vous avez pensé de votre dernier séjour, ce que vous avez reçu comme communication, etc.
Le numérique est aussi plus immersif. Il donne une plus grande place aux photos, aux vidéos… Dans les boutiques, il permet la vente en côte à côte, en orientant l’écran vers le client. Nous sommes en train de préparer la prochaine étape qui sera la vente en visio.
Et sur la relation en elle-même ?
Nous avons développé une méthode commerciale unique, D.E.S.I.G.N., chaque lettre représentant une étape de la co-construction de l’expérience avec nos clients. D pour Drive : le conseiller « drive » le client pour comprendre ses besoins. E pour Explore, il questionne le client et prend le temps de découvrir ses envies et ses besoins pour ses prochaines vacances. S pour Shape, il lui fait découvrir les resorts qui répondent à ses attentes et il façonne avec lui le séjour qui lui correspond le mieux. I pour Involve, il implique le client et le rend acteur de ses vacances. G pour Guarantee, il s’engage et garantit les prestations du Club Med. Et N pour Nourish : le TED nourrit la relation. L’idée est de ne pas avoir que des interactions commerciales. Après un séjour, nous voulons rester en contact avec le client pour savoir comment se sont passées ses vacances ou pour l’inviter à un événement.
Cette nouvelle méthode a aussi été l’occasion de revoir le rôle du manager, pour qu’il devienne un coach. Il a été outillé pour faire des écoutes en parallèle, par exemple, et permettre une amélioration continue de nos équipes.
Quels sont les leviers de personnalisation d’un séjour au Club Med ?
Il y a le choix du resort, bien sûr. Les TED les connaissent bien car ils les ont visités et y ont même passé des vacances. Quand on vit le produit, c’est plus facile de faire du storytelling, de transmettre une émotion réelle. Et bien sûr de conseiller un client selon ses attentes.
Mais un même resort peut se vivre de différentes façons. Tout dépend du niveau d’expérience attendu. À Valmorel dans les Alpes par exemple, nous avons des chalets privatifs, complètement à part, avec un maître de chalet qui vient le matin proposer le petit déjeuner. Les clients peuvent rester « chez eux » et en même temps profiter des activités du resort, comme celles destinées aux enfants. Les G.O. viennent alors les chercher directement dans le chalet.
Toujours à Valmorel, cette fois dans l’enceinte même du resort, nous avons aussi un espace Exclusive Collection, composé de suites, avec terrasse, service en chambre, conciergerie, etc. Et il y a le resort plus classique. Selon les attentes d’un client, la composition de sa famille, son budget, nous pouvons l’orienter vers des séjours vraiment différents, dans le même resort.
Les clients veulent aussi profiter d’une destination, pas uniquement d’un resort…
Exactement. Notre transformation s’est appuyée sur le développement de la culture du voyage. Nous voulons d’abord parler à nos clients d’une destination, et ensuite du resort qui s’y trouve. Comme nos Travel Experience Designers connaissent nos resorts sur le bout des doigts, il est possible de tomber dans le travers de commencer à parler de Da Balaïa, en partant du principe que tout le monde connaît. Aujourd’hui, nous mettons d’abord l’accent sur la région où se trouve le resort, l’Algarve au sud du Portugal, et sur le Portugal, ce qui peut être l’occasion de proposer une escale à Lisbonne.
Nous avons inclus cette culture du voyage dans le plan de formation. Lorsque nos TED se déplacent en resort pour découvrir et vivre le produit, un office du tourisme intervient pour parler de la destination, de la culture de la région, des points d’intérêts, etc.
Vous mesurez la satisfaction des clients après un échange avec les TED ?
C’est une nouveauté pour nous. Depuis 1950, nous mesurons la satisfaction de nos clients en resort. Désormais, nous mesurons aussi l’expérience d’achat du client en lui envoyant un formulaire de satisfaction. Tout le monde le fait aujourd’hui, mais nous ne le pratiquions pas. Cela nous permet de nous améliorer, et cela nous a aussi fait changer le mécanisme de rémunération variable des conseillers. Avec le projet TED, nous sommes passés à trois piliers de rémunération variable : une partie liée aux enquêtes de satisfaction, une autre liée à la performance individuelle et une troisième partie liée à la performance omnicanale, la dimension collective. Un client peut être en relation avec plusieurs TED avant de réserver, et il est important de valoriser le collectif.
Le Club Med a lancé des appartements-boutiques. De quoi s’agit-il ?
Nous voulons proposer des lieux d’expériences pour créer une relation durable. Les clients ne viennent pas dans les appartements-boutiques uniquement pour réserver, mais pour réfléchir à leur prochain projet, pour participer à un cours de yoga, pour assister à une exposition photo, etc. La plupart de ces espaces disposent aussi de salles de réunion que nous prêtons à des partenaires ou à des entrepreneurs locaux qui souhaitent réunir leurs équipes dans un cadre différent.
Six appartements-boutiques ont été ouverts pour l’instant, à Lille, Paris, dans le quartier de Passy et sur les Champs Élysées, Nice (photo ci-dessus), Montpellier et Lyon. Là où nous avons installé ces agences d’un nouveau genre, nous avons développé des croissances à deux chiffres sur la zone de chalandise. À Nice par exemple, alors que nous avions déjà une agence dans cette ville, nous avons connu une croissance de 30 % du nombre de clients sur la zone de chalandise dans les 9 mois qui ont suivi l’ouverture de l’appartement-boutique. Nous n’avons toutefois pas vocation à en avoir partout. Dans certaines agglomérations, nous resterons avec des agences classiques sur rue car cette visibilité est importante.
Le succès des appartements-boutiques influence le design de nos agences classiques. À Vincennes, nous venons d’ouvrir une agence sur rue, mais avec plus de mètres carrés et nous l’avons imaginé comme un appartement, pour organiser des événements et qu’il y ait cette empreinte « comme à la maison » pour une relation plus proche.
Vous avez déjà pu mesurer l’impact de cette transformation commerciale et relationnelle ?
Le chiffre d’affaires par TED a augmenté. Nous voyons aussi s’améliorer la qualité de la relation perçue par les clients. Depuis que nous la mesurons, elle progresse, le pourcentage de « 5 étoiles » ayant quasiment doublé. Notre NPS est aujourd’hui à 70. [Retrouvez la définition du NPS dans notre article dédié aux indicateurs de satisfaction client].
Le panier moyen a également augmenté. C’est encore plus vrai dans les appartements-boutiques. Il y a un lien direct entre le budget que consacre un client à son séjour et l’attention que nous lui consacrons pour construire son projet. Certains clients viennent avec une idée arrêtée du resort où ils veulent aller, mais en creusant, le TED peut s’apercevoir qu’ils seraient mieux ailleurs. Et cela influe positivement sur le panier d’achat.
Connaissez-vous le Club Med ?
• « Le Club Med est la seule marque mondiale de vacances tout compris haut de gamme, avec un savoir-faire français, destinée aux familles et aux couples actifs », résume Charlotte Bernin.
• L’entreprise a été créée en 1950, avec une raison d’être qui n’a pas changé : libérer l’individu de ses contraintes pour lui permettre de se retrouver, de se ressourcer et de revenir aux bonheurs originels. On retrouve cette idée dans la dernière campagne de la marque : « Club Med, l’esprit libre ».
• En 1967, le Club Med invente le Mini Club pour accueillir les enfants.
• Le Club Med compte aujourd’hui près de 70 resorts dans le monde. Il est implanté dans plus de 40 pays, avec 25 000 collaborateurs de 109 nationalités différentes.
• Les Français représentent 29 % des 1,5 million de clients de la marque.
• 85 % des resorts sont considérés comme premium (4 Tridents ou « Exclusive Collection »).
• Le réseau de distribution en France du Club Med se compose de 6 appartements-boutiques, 30 agences classiques, 22 agences franchisées, et 1 100 agences partenaires.