Symétrie des attentions : quand les collaborateurs deviennent des super-héros de l’expérience client

21/04/2022

Les marques préférées des consommateurs sont aussi celles qui se préoccupent le plus du bien-être de leurs salariés. « Les employés d’abord, les clients ensuite ! » est même devenu un étendard pour certaines entreprises. Quelles sont les bonnes pratiques des champions de l’expérience client pour réussir grâce à leurs collaborateurs ? Réponses avec MAIF, Cofidis, Europcar, Club Med, Nespresso, etc.

Connaissez-vous le titre du livre de Vineet Nayar qui est, depuis plus de 10 ans, sur la table de chevet de nombreux responsables expérience et relation client ? « Le client superstar » ? « Tout pour mes clients » ? Vous n’y êtes pas : l’ouvrage s’intitule… « Les employés d’abord, les clients ensuite ! ». Dès sa publication en 2010, ce livre écrit par le PDG à l’époque du groupe indien HCL Technologies a obtenu une reconnaissance internationale. La London Business School a qualifié son auteur de « leader de l’innovation organisationnelle » quand le magazine Fortune y a vu « le style de management le plus moderne du monde ». Vineet Nayar développe l’idée que les collaborateurs les plus proches des clients sont ceux qui créent le plus de valeur. Il explique comment il a encouragé l’esprit d’initiative, décentralisé les prises de décision au plus près du terrain, et appliqué la transparence à tous les niveaux de l’entreprise pour que chacun dispose des éléments nécessaires pour faire les bons choix.

Le management par la confiance de MAIF porte ses fruits

« Les champions de l’expérience client sont ceux qui ont intégré depuis longtemps la dimension de l’expérience collaborateur », souligne dans l’interview qu’il nous a accordée Laurent Garnier, cofondateur de KPAM, spécialiste de la réalisation d’études miroir collaborateurs-clients. L’expérience collaborateur ? « Elle peut se définir comme la somme des ressentis du salarié vis-à-vis de sa situation de travail, précise Thomas Chardin, fondateur de l’agence Parlons RH. Elle désigne l’ensemble des interactions et expériences vécues par un collaborateur au sein de l’entreprise, dans les moments clés de son parcours comme dans son quotidien professionnel, de son recrutement jusqu’à son départ. »

« Le meilleur levier pour améliorer l’expérience client est de loin d’améliorer l’expérience collaborateur, reprend Laurent Garnier. Cela commence par écouter les collaborateurs, comprendre ce qu’ils vivent, les situations de blocage ou d’impuissance dans lesquelles ils peuvent être, comprendre aussi ce qu’ils aiment faire. » À l’instar de MAIF, de nouveau lauréate du Podium de la Relation Client 2022 par Kantar et Bearing Point. « Les collaborateurs de MAIF ont un sens très clair de leur mission, pointe Laurent Garnier, qui compte l’assureur mutualiste parmi ses clients. Ils savent très bien ce qu’ils font là, où sont les priorités, les valeurs, comment travailler… Ils sont fondamentalement au service de leurs sociétaires. »

C’est le résultat d’un long travail d’écoute et de prise en compte du bien-être des collaborateurs. « Pour nous, aligner éthique et performance est un ticket gagnant, confirme Christine Mathé-Cathala, Directrice générale adjointe MAIF dans un webinar organisé par le Podium de la Relation Client. Cela prend du temps. Nous avons lancé un programme de management par la confiance en 2015. Nous commençons aujourd’hui à récolter tout ce que l’on a mis en place pour favoriser la prise d’initiatives au niveau le plus proche des sociétaires. » Deux chiffres expriment le chemin parcouru : entre 2015 et 2022, le taux d’absentéisme chez MAIF a baissé de 25 %, et aujourd’hui 98 % des sociétaires estiment que MAIF est exemplaire dans la manière de servir ses clients.

Christine Mathé-Cathala se réjouit notamment de l’engagement des collaborateurs au service des sociétaires. « Mais nous ne pouvons pas leur demander d’être engagés si nous ne mettons pas en place dans chaque interstice des logiques cohérentes avec cet objectif, insiste-t-elle. Un exemple : nos conseillers n’ont pas de prime individuelle, il n’y a que des primes collectives. L’intérêt, c’est que l’on n’essaie pas de vendre tel ou tel produit, mais que l’on raisonne dans l’intérêt du sociétaire. »

Les collaborateurs de Cofidis sont sortis du script

L’Académie du service a théorisé cette réciprocité entre expérience client et expérience collaborateur. C’est le concept de la Symétrie des attentions. « Nous posons comme principe que la qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est symétrique de la qualité de la relation de cette entreprise avec l’ensemble de ses collaborateurs, développe Stanislas Conseiller, Directeur associé de l’Académie du service. Autrement dit, le travail mené sur l’expérience collaborateur permet de mettre toute l’entreprise en mouvement au service du client. »

C’est par exemple ce qu’il s’est passé avec Cofidis. Accompagné par l’Académie du service, le spécialiste du crédit identifie en 2019 une problématique partagée par les clients et les conseillers : le manque d’autonomie. Les collaborateurs ne se trouvent pas assez autonomes, et les clients le perçoivent. « Schématiquement, les collaborateurs suivaient un script dans la relation client, relate Stanislas Conseiller. Ils n’étaient pas incités à en sortir, et leur tâche n’était pas très intéressante. De leur côté, les clients sentaient bien qu’ils étaient dans un script et n’avaient pas le sentiment d’être entendus. »

Cofidis a entamé une transformation en profondeur pour sortir de cette logique de script. « L’enjeu était de donner plus d’autonomie aux collaborateurs, souligne Thibault Deudon, Chef de Service Fidélisation Multicanal de Cofidis, qui a présenté son retour d’expérience lors du Salon Stratégie Client organisé fin mars à Paris Porte de Versailles. Cela signifiait notamment reconnaître le droit à l’erreur. Car si un collaborateur ne suit plus un script, il peut se tromper. » Le droit à l’erreur a donc été intégré dans le référentiel de management. Ce qui s’est traduit par une évolution du rôle des managers, qui accompagnent aujourd’hui les collaborateurs en leur apportant des feedbacks.

« Nous avons aussi mis en place un dispositif permettant aux collaborateurs de remonter leurs suggestions pour améliorer l’expérience client », ajoute Thibault Deudon. L’amélioration de l’expérience collaborateur s’est également traduite par une amélioration de la prise en charge du traitement des irritants qu’ils rencontrent, et par un dispositif dédié à la gestion des incivilités.

Deux ans après le lancement du plan d’actions, Cofidis observe une progression de 23 points sur la perception de leur autonomie par les collaborateurs, et de 18 points sur la perception du droit à l’erreur. « Le changement est aussi perçu du côté des clients : leur perception de l’autonomie des collaborateurs s’est déjà améliorée de 7 points », se réjouit Thibault Deudon. Cofidis a par ailleurs été la première entreprise à recevoir le label « Équipe heureuse, Clients heureux » attribué par l’Académie du service, traduisant l’alignement des valeurs entre satisfaction client et satisfaction collaborateur.

Europcar doit répondre à la dualité des attentes des clients

Toujours lors du Salon Stratégie Client de Paris Porte de Versailles, Christophe Carrère, Group Chief Customer Officer d’Europcar Mobility Group, a donné une autre illustration d’une transformation d’entreprise reposant sur l’expérience collaborateur. « Historiquement, comme l’ensemble des loueurs automobiles, nous ne sommes pas orientés client, mais orientés produit, a rappelé Christophe Carrère. Notre activité est fondée sur un bien, la voiture, qui a une valeur considérable de plusieurs milliers d’euros et qui est louée à un prix relativement dérisoire par rapport à cette valeur. Notre métier est donc plutôt au départ de gérer une flotte automobile (…). Depuis 4 ou 5 ans, nous insufflons une remise au centre du client. Cela peut sembler bateau, mais c’est essentiel pour nous et pour nos collaborateurs en donnant du sens à leur travail. »

Pour mettre l’entreprise en mouvement, Europcar s’est d’abord attachée à mesurer la satisfaction client, du côté des clients, mais aussi des collaborateurs. « Cela a été le vecteur d’une prise de conscience chez nos collaborateurs de l’écart entre ce qu’ils pensaient fournir et de la perception par les clients. » C’est une constante au sein des entreprises. D’après le baromètre de la Symétrie des attentions réalisé par l’Académie du service, tous secteurs confondus, 69 % des collaborateurs pensent que leurs clients sont satisfaits, mais seuls 52 % des clients déclarent l’être.

Combler cet écart n’est pas si simple. Les clients font notamment preuve d’une forme de « dualité » dans leurs attentes, selon l’expression de Christophe Carrère. Ils veulent à la fois être autonomes et ne plus passer par le comptoir pour récupérer leur voiture, mais ils veulent aussi avoir quelqu’un pour les aider. « Cela nous pousse à réinventer nos modèles pour apporter de la flexibilité, explique le Group Chief Customer Officer d’Europcar Mobility Group. Nous installons par exemple des boîtes à clés pour rendre le client autonome dans sa récupération du véhicule. Mais nous repensons aussi le service apporté par nos agents pour apporter plus d’accompagnement, et être moins dans un service administratif. Cela prend du temps, mais c’est très valorisé par nos collaborateurs. D’agents administratifs passant leur temps à vendre des assurances et à faire le tour des véhicules pour constater des dommages, ils arrivent à un rôle de conseil. Ils interagissent ainsi plus à distance avec les clients dans la phase de récupération du véhicule. » 

Les collaborateurs du Club Med peuvent télétravailler dans les resorts du groupe

Rapprocher expérience client et expérience collaborateur peut prendre plusieurs formes. Certaines entreprises proposent à leurs salariés de profiter de leurs produits et services à la manière d’un client. Jusqu’en juin 2022, les quelque 1 000 employés du Club Med travaillant habituellement dans des bureaux peuvent ainsi passer une semaine en télétravail dans un des resorts de la marque au trident. « Cette expérimentation inédite a été imaginée pour permettre aux salariés de vivre l’expérience client tout en profitant, en dehors des heures de travail, de l’ensemble des activités proposées en resorts et pour renforcer les liens avec les équipes travaillant sur place », explique le groupe. Les collaborateurs ont juste à payer le transport ainsi qu’une participation symbolique pour la pension complète, comme nous l’indiquions dans un article.

Dans un tout autre univers, Walmart vient de décider d’offrir à ses salariés l’adhésion à son programme Walmart+. Ce programme permet notamment de bénéficier de livraisons gratuites et illimitées. Pour les collaborateurs de l’enseigne, c’est un petit avantage en nature (l’adhésion coûte 98 dollars par an). Chris Cracchiolo, Senior Vice President de Walmart+, espère surtout que cela permettra aux salariés de promouvoir cette offre d’abonnement auprès des clients en se basant sur leur propre expérience. Un moyen de concurrencer le programme Amazon Prime. Le géant du e-commerce a pris de l’avance sur la commercialisation de son service d’abonnement, qui compte environ 150 millions d’adhérents aux États-Unis. Mais Amazon n’a quasiment pas de collaborateurs au contact de la clientèle, à la différence de Walmart : le groupe dispose de 1,6 million d’employés à temps plein et à temps partiel qui peuvent désormais parler aux clients des avantages de Walmart+.

« Nous consommerons de plus en plus une entreprise, avant de consommer une marque »

« Les entreprises ne peuvent plus séparer l’approche expérience client et l’approche expérience collaborateur, relève Thierry Spencer, expert de la relation client et auteur du blog Sens du client. Nespresso, par exemple, traite avec la même intensité les événements de la vie d’un client et de la vie d’un collaborateur. On le voit dans sa façon d’accueillir avec une attention aussi forte un nouveau membre de son Club ou un nouveau collaborateur. » Mais cette approche doit s’inscrire dans une vision plus large de l’entreprise, selon Thierry Spencer : « L’ancien directeur général de Nespresso en France, Arnaud Deschamps, aujourd’hui vice-président de Nestlé France, m’a fait part il y a déjà quelques années de sa forte conviction : l’avenir sera à la convergence entre la marque employeur et la marque client. Je suis en effet convaincu que nous consommerons de plus en plus une entreprise, avant de consommer une marque. »

Pour l’expert de la relation client, l’enjeu n’est donc pas uniquement de prendre soin des collaborateurs, mais de toutes les parties prenantes de l’entreprise. Fournisseurs, producteurs, environnement, etc. Ce qui répond d’ailleurs à une attente des collaborateurs : 78 % des salariés français souhaitent jouer un rôle actif dans leur entreprise afin qu’elle affronte les grands défis sociétaux, d’après une récente étude d’Havas Paris People

« On ne s’étonnera pas de voir le succès des entreprises à mission, pointe Thierry Spencer. Ce statut est une façon d’associer les différentes parties prenantes, de prendre des engagements, de communiquer dessus, de montrer que l’on en est comptable… Ce ne sont pas des promesses, nous sommes au cœur du ‘pourquoi’ de l’entreprise. » (Voir aussi notre dossier La société à mission, l’entreprise du 21e siècle ?). Devenir une entreprise à mission, c’est le choix qu’à fait par exemple La Banque Postale. Parmi les illustrations très concrètes des valeurs revendiquées, ses collaborateurs peuvent s’engager dans un programme de parrainage de jeunes, L’envol.

Si on en revient à la MAIF sur le Podium de la Relation Client 2022, elle a aussi été la première « grande » entreprise à adopter en 2020 ce statut d’entreprise à mission. Signe que les entreprises qui réussissent sont bien celles qui s’engagent avec des valeurs fortes, sans distinguer entre client, collaborateur et citoyen.

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