Marketing 4.0 : buzzword ou vraie évolution des pratiques ?

19/01/2017

Vous étiez passé à côté du marketing 3.0, et voici que Philip Kotler, l’un des papes du marketing, publie en décembre 2016 son nouvel ouvrage… Le marketing 4.0 ! Le Hub de La Poste fait le point sur ces différentes générations de marketing. Au-delà de la dimension « buzzword », cette modélisation apporte une grille de lecture des nouvelles pratiques, du marketing produit à l’exploitation des données et au marketing prédictif.

Le marketing 1.0, la base incontournable du marketing

Le marketing 1.0 ? C’est le marketing centré sur le produit. La proposition de valeur est d’abord fonctionnelle, le produit devant permettre de satisfaire un besoin du client. Cette approche trouve ses racines dans le marketing tel qu’il s’est inventé aux États-Unis dans les années 1960. De nombreux concepts émergent à cette époque, notamment les 4P du marketing mix, qui conservent une certaine actualité. « La logique générale est toujours la même. Les 4P, ce sont les moyens opérationnels dont dispose une entreprise pour s’exprimer sur le marché », nous explique Emmanuelle Le Nagard, professeur de marketing à l’Essec et ancienne présidente de l’Association Française de Marketing, dans l’interview qu’elle nous a accordée. Lire son interview.

Historiquement, les médias du marketing 1.0 sont la radio, la presse écrite et bien sûr la télévision. Ils sont aujourd’hui en déclin par rapport au digital, mais ils sont loin d’avoir disparu dans la panoplie des annonceurs. Certes, la télévision a perdu, en 2016, sa place de leader en France dans les budgets des annonceurs, d’après les estimations de ZenithOptimedia. Mais elle compte encore pour plus de 30 % des investissements publicitaires (32 % pour le numérique).

Et du côté du web, l’essentiel des budgets sert avant tout à exposer les produits et les services, dans une logique purement promotionnelle. « Ce marketing 1.0 s’exprime sous différentes pratiques : bannières, bannières vidéo, publicités natives, affiliation, emailing, référencement payant… Des pratiques qui ont fait leurs preuves et qui sont parfaitement intégrées dans les plans marketing des annonceurs. Abandonner les pratiques historiques du e-marketing serait une grave erreur, car ce sont celles qui délivrent le meilleur ROI à court terme », estime Frédéric Cavazza, blogueur, conférencier et consultant spécialiste des médias sociaux et du marketing digital. Il a publié fin 2016 un billet livrant sa propre vision des évolutions du marketing : Vers un marketing 10.0 ?

Les pratiques du marketing 1.0 n’ont pas vocation à disparaître. Néanmoins, la pression publicitaire qu’il engendre devient insupportable pour de nombreux consommateurs. Ainsi, 36 % des internautes français utiliseraient désormais un bloqueur de publicité, selon une étude Ipsos commandée par la branche française de l’Interactive Advertising Bureau (IAB) publiée fin 2016. Ce refus de la publicité constitue une menace réelle pour les annonceurs, et nécessite de trouver d’autres voies pour capter l’attention des consommateurs.

Le marketing 2.0, l’entrée dans une conversation avec les clients

Le marketing 2.0 est, lui, orienté client. Il émerge au début des années 2000 avec le web 2.0, un web interactif où chacun peut s’exprimer et partager. C’est la montée en puissance d’abord des blogs et des forums, puis des grandes plateformes « sociales » comme Facebook et YouTube (et Instagram, Pinterest, Twitter, etc.). Avec ces outils, les consommateurs commencent à reprendre du pouvoir sur les marques. Internet leur donne les moyens de comparer les prix, et de faire connaître leur avis sur les produits et services.

Le discours des marques ne peut plus être unilatéral, il doit s’inscrire dans un dialogue avec les clients. Le web 2.0 donne aux marques les moyens de créer cette conversation. L’objectif devient de générer de l’engagement chez les clients, et d’en faire des ambassadeurs qui relaient les messages. C’est l’émergence du « brand content » et du marketing viral. Des pratiques qui ne se substituent pas à celles du marketing 1.0, mais qui viennent en compléter les effets pour une relation plus interactive.

Le marketing 2.0 décrit aussi des pratiques qui dépassent le cadre du seul Internet. Il correspond notamment à une plus grande personnalisation des offres, les clients recherchant des produits et des services qui leur ressemblent, et dont ils puissent participer à la conception pour les rendre uniques. Des marques comme Converse ou Nike commencent par exemple à multiplier les options de personnalisation. Les constructeurs automobiles se lancent aussi dans la course et proposent à leurs clients de concevoir leur voiture à la carte. Fiat est souvent cité en référence sur ce sujet. En 2007, à l’occasion de la relance de la Fiat 500, la marque jouait les précurseurs en multipliant les possibilités de personnalisation : entre la couleur des rétroviseurs, des pare-chocs, de l’intérieur, etc., la marque annonçait un million de combinaisons possibles !

Le marketing 3.0, le partage de valeurs

Le terme a été popularisé par Philip Kotler dans son livre écrit en 2010, Le marketing 3.0. Auteur de plus de 50 ouvrages dédiés au marketing, il est l’un des papes de la discipline. Avec Le marketing 3.0, il défend la vision d’un marketing centré sur l’humain et les valeurs. D’une certaine façon, c’est un marketing post-crise de 2007-2009. Les attentes des consommateurs évoluent. Posséder n’est plus une priorité, notamment pour les plus jeunes générations qui privilégient l’usage et la jouissance. La consommation collaborative fait ses premiers pas, et des thématiques comme le made in France, le bio, les circuits courts ou encore le recyclage trouvent un écho chez les consommateurs. C’est l’idée aussi du « consom’acteur » : l’acte d’achat devient citoyen.

Le marketing 3.0 se présente comme une évolution du marketing 2.0 pour s’adresser, non plus uniquement à des consommateurs, mais à des êtres humains dans leur globalité. Pour se différencier, et éviter de se banaliser, les marques doivent réussir à partager des valeurs avec leurs clients. « Il faut toucher l’être humain dans sa globalité, son corps, son esprit, son cœur, son âme », avance Philip Kotler, qui écrit aussi : « le marketing 3.0 est collaboratif, culturel et en quête de sens. »

« L’important n’est plus de vendre ou d’engager, mais de satisfaire les clients avec des offres et des pratiques moins agressives, plus respectueuses, plus humaines, prolonge Frédéric Cavazza. Pour y parvenir, une marque doit définir une vision (quel avenir envisage-t-elle ?) et une mission (qu’est-ce qu’elle cherche à accomplir ?). En d’autres termes : une marque doit exposer un plan pour améliorer le quotidien de ses clients ou pour rendre le monde meilleur. »

Autour de ces notions, se trouve aussi l’idée de raisonner en termes d’expérience globale proposée au client. En utilisant par exemple des outils de communication peu intrusifs : c’est l’ère du « content marketing », ou marketing de contenu, proposant aux individus des contenus à valeur ajoutée permettant de créer une relation choisie, dépassant la simple transaction financière. Raisonner en termes d’expérience globale, c’est aussi avoir recours au « design thinking » pour fluidifier et simplifier les parcours clients.

Le marketing 4.0, l’ère de l’exploitation des données

Marketing 4.0… Le concept est neuf et n’a pas encore de définition bien établie. Philip Kotler le présente comme un approfondissement du marketing 3.0 dopé au digital, au mobile, à la connexion permanente… Frédéric Cavazza propose de le résumer en une idée : un marketing centré sur la donnée. Intelligence artificielle, algorithmes prédictifs, machine learning… L’exploitation de la data bouleverse les pratiques du marketing, permettant de toujours mieux prédire le comportement et les attentes de chaque consommateur.

« Le marketing 4.0 peut se définir comme les pratiques d’automatisation reposant sur une exploitation systématique de grandes quantités de données, écrit Frédéric Cavazza. Le but n’est donc plus de vendre l’offre (1.0), d’engager les clients (2.0) ou d’exposer des valeurs (3.0), mais d’optimiser les performances et de chercher à anticiper les besoins. »

Le marketing prédictif est ainsi en train de devenir la norme pour les sites de e-commerce, qui personnalisent leur offre en fonction des données dont ils disposent pour chaque internaute. 35 % des ventes sur Amazon viendraient par exemple des suggestions de produits en fonction de la navigation des clients.

L’exploitation des datas se traduit aussi par l’explosion des achats publicitaires en programmatique, c’est-à-dire l’achat d’espaces publicitaires en fonction non plus du site et de son positionnement, mais à partir du profil connu de l’internaute et selon un principe d’enchères. En France, le programmatique est devenu en 2016 le premier mode d’achat pour le digital en pesant 51 % des dépenses de ce média.

Mais ici encore, ce marketing basé sur les données client dépasse le seul cadre d’Internet. Les hôtels Hyatt fournissent par exemple à leurs réceptionnistes des idées de préconisations personnalisées pour chaque client : ces suggestions de services additionnels, comme une promotion pour profiter du spa, sont basées sur la collecte de données lors de la réservation en ligne. Autre exemple : Crédit Mutuel Arkéa communique à ses conseillers, en agences et en centres d’appels, des suggestions de produits susceptibles de répondre aux attentes de chaque client. Ces préconisations sont issues d’un algorithme prédictif auto-apprenant qui analyse deux années d’historique de données clients. Des exemples à retrouver dans notre dossier Quand algorithmes et humains coopèrent.

Demain, les objets connectés apporteront encore plus de données. Cet Internet des objets pourrait être à lui seul, dans le futur, le moteur d’un marketing 5.0 !

1.0 + 2.0 + 3.0 + 4.0 : le marketing 10.0 ?

Chaque nouvelle génération de marketing ne remplace pas l’ancienne. Les pratiques se complètent et se nourrissent les unes des autres. C’est l’idée défendue par Frédéric Cavazza, et résumée dans son tableau ci-dessus. Il avance même la notion d’un marketing 10.0 ! Lucide, il s’interroge : « Est-ce bien sérieux de parler de marketing 10.0 ? Oui je pense, car cela permet de bien faire comprendre l’intérêt de cumuler ces pratiques plutôt que de chercher à courir après une innovation miraculeuse qui va soi-disant vous permettre de compenser vos faiblesses et rattraper votre retard (notamment auprès de millennials). »

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