Retail media : 6 questions pour comprendre la troisième vague de la publicité digitale

17/11/2022

C’est la forme de publicité la plus dynamique en ce moment. Elle connaît en France une croissance de plus de 30 %. À l’échelle mondiale, elle représente désormais 11 % du marché publicitaire, tous médias confondus. Mais savez-vous vraiment ce qui se cache derrière le terme « retail media » ? Décryptage d’une tendance clé à la fois pour les distributeurs et les marques.

Le retail media, c’est quoi ?

Historiquement, ce terme recouvre l’ensemble des dispositifs de communication présents sur le parcours d’achat des consommateurs. Autrement dit, ce sont les publicités que les marques diffusent sur des espaces appartenant à des distributeurs. La pratique n’est pas nouvelle. La PLV, la publicité sur les lieux de vente, s’est développée en France dans les années 1950. Mais le retail media a trouvé un nouveau dynamisme avec l’essor du e-commerce. En 2022, ce pan du marché va dépasser les 100 milliards de dollars à travers le monde, d’après GroupM (WPP). Il faudrait en théorie parler d’« e-retail media ». Mais l’attention est aujourd’hui tellement focalisée sur le digital que le terme « retail media » a tendance à ne plus désigner que les pratiques numériques, à savoir la publicité proposée sur les sites de e-commerce et les marketplaces. La logique sur Internet est la même qu’en magasin. « Le retail media permet de créer des têtes de gondole sur un site marchand », résume dans l’interview qu’il nous a accordée Tanguy Le Falher, Head of Retail Partnerships chez CitrusAd, la plateforme retail media rachetée par Publicis.

Quelles formes de publicité permet le retail media sur les sites de vente en ligne ?

Sources : SRI, Udecam, entretiens réalisés sur la période de juin 2022 avec les acteurs du marché, informations publiques, analyse Oliver Wyman.

Le retail media revêt aujourd’hui deux formes principales. Tout d’abord, le « retail search ». Ce sont les liens sponsorisés dans les moteurs de recherche des sites de e-commerce et des marketplaces, permettant à des marques d’apparaître dans les premières réponses. Typiquement, vous tapez « ordinateur portable » dans la barre de recherche de Cdiscount ou d’Amazon, et vous voyez s’afficher en premier des produits sous l’intitulé « sponsorisé ». Ce format de publicité a le vent en poupe. Il représente désormais 67 % du marché du retail media d’après le dernier Observatoire de l’e-pub réalisé par le cabinet Oliver Wyman pour le SRI et l’Udecam. Entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022, sa croissance est remarquable : +38 %. Sur les six premiers mois de l’année, les sites de retail en ont tiré 256 millions d’euros de revenus. L’objectif pour les marques qui ont recours à ce type de publicité est clair : générer des ventes auprès d’internautes qui sont déjà dans une logique d’achat. On les qualifie d’« intentionnistes ». Il faut réussir à être le premier dans leur panier.

L’autre forme de publicité, ce sont les bannières qui s’affichent en haut et sur les côtés des pages des sites (le « display »). Elles représentent 33 % du marché, en progression de 19 % sur le premier semestre 2022. Avec ce format, les marques vont plutôt chercher à développer leur visibilité, pour proposer un produit plus innovant ou complémentaire à celui que recherche l’internaute. Elles peuvent ici compter sur les données comportementales dont dispose le distributeur pour cibler leurs publicités. Le site de vente en ligne connaît l’historique d’achat de l’internaute, ses dernières recherches, les pages qu’il a vues… « Un site comme la Fnac est capable, en fonction des typologies de jouets que vous achetez, de déterminer l’âge de vos enfants. Un autre comme Darty est, lui, capable d’identifier un moment de vie : l’arrivée d’un nouveau-né ou un déménagement, deux étapes marquées par la réalisation d’achats électroménagers bien spécifiques », illustre Le Journal du Net.

Pourquoi le retail media est-il en plein essor ?

Le marché profite naturellement de l’accélération des ventes en ligne depuis 2020. Les marques ont aujourd’hui besoin de mettre en avant leurs produits là où sont les consommateurs. Le retail media permet de toucher les internautes au plus proche de l’acte d’achat. Ils ont fait la démarche de se rendre sur un site de vente en ligne et ils sont réceptifs aux publicités en lien avec leur recherche.

« Vous pouvez aussi mesurer en temps réel l’efficacité de votre publicité et si elle a conduit à un acte d’achat. Ce qui est très apprécié par les services marketing des grands groupes où, avec la crise, ils doivent faire des arbitrages sur certains budgets publicitaires », souligne dans Les Échos Alban Schleuniger, Directeur général d’Infinity Advertising, la plateforme de retail media créée conjointement par Intermarché et le groupe Casino.

Pouvoir mesurer précisément le retour sur investissement est un atout clé du retail media, qui contribue à son succès dans tous les pays. En hausse de 15 %, il devrait représenter 11 % du marché publicitaire mondial en 2022, selon l’estimation de GroupM (WPP). En France, la croissance est encore plus forte : retail search et display confondus, la progression est de 31 % au premier semestre 2022.

« Avec le retail media, on assiste à la troisième vague de la publicité en ligne après celles du ‘search’ et du ‘social’ », analyse Nicolas Rieul, Vice-Président Europe de l’Ouest du groupe français Criteo, qui ne cesse de monter en puissance sur cette activité. Chaque vague a profité à un GAFA. La première, le search, a bénéficié à Google grâce à ses liens sponsorisés, les Google Ads. La seconde, le social, a fait la fortune de Facebook et d’Instagram. Et c’est Amazon qui est le premier à tirer profit de la vague du retail media. Il a capté en 2021 plus de 75 % du marché, d’après une étude réalisée aux États-Unis par eMarketer.

Mais si le retail media progresse fortement en France, c’est aussi parce que d’autres distributeurs ont développé leur offre pour commercialiser de la publicité sur leur site. Cdiscount a créé « Cdiscount Advertising », Carrefour « Carrefour Links », Fnac Darty « Retailink », les Galeries Lafayette « Tailored Insights », etc. « Une ruée qui s’explique d’autant plus que cette activité ne se traduit quasiment que par de la marge brute pour ces acteurs de la grande distribution », commente le journal Les Échos, qui cite un observateur du secteur : « C’est presque en train de devenir une drogue dure pour ces enseignes qui ne doivent pas oublier d’investir dans leurs activités historiques, qui sont certes beaucoup moins rentables mais sans lesquelles elles ne peuvent mettre en place l’activité sous-jacente de retail media ».

Cette structuration de l’offre contribue en tout cas à la croissance du retail media, tout comme la simplicité d’utilisation des plateformes des distributeurs. Les marques peuvent y accéder en toute autonomie, en self-service. Si bien qu’il est aujourd’hui aussi facile de lancer une campagne retail media qu’une campagne sur Facebook. « Sponsoriser des résultats de recherche sur un site de e-commerce ou une marketplace n’est plus réservé aux très grandes marques. Des PME peuvent se lancer », décrit Tanguy Le Falher.

Les plateformes de retail media des distributeurs ne servent-elles qu’à commercialiser de la publicité ?

La création de campagnes pour toucher les consommateurs est la facette la plus visible du retail media. Mais les plateformes que proposent les sites de vente en ligne permettent aussi aux marques de bénéficier de données sur les acheteurs de leurs produits. « C’est une connaissance consommateurs que les marques ont rarement, pointe Tanguy Le Falher. Avec le retail media, une marque de smartphone peut savoir combien de téléphones elle vend en temps réel, et en accédant aux données du retailer, elle peut aller jusqu’à connaître le profil des acheteurs. C’est une information déterminante. Une marque peut penser s’adresser à des hommes de moins de 35 ans alors que ses produits sont achetés par des clients plus âgés. Grâce aux données du distributeur, elle peut adapter son offre et sa communication, soit pour toucher sa cible marketing initiale, soit pour mieux répondre à sa cible commerciale effective, les consommateurs qui achètent vraiment son produit. »

La régie publicitaire Retailink by Fnac Darty a clairement intégré dans son offre le partage de données avec les marques. Elle a lancé une plateforme, MyRetailink, utilisable de manière autonome, qui comprend deux modules de services distincts et complémentaires : Activation, pour le ciblage des consommateurs, et Insights « pour le pilotage et l’analyse dynamique de données de vente, de stock, de distribution et de profiling client. Elle offre aux fournisseurs une vue exhaustive sur leurs activités et sur les tendances de leur catégorie pour favoriser le pilotage du business et la prise de décision ».

« Cette plateforme s’adresse à tous, du responsable commercial au trader media, insiste Alexandra Suire, Directrice de Retailink by Fnac Darty. Un fournisseur peut, par exemple, très facilement repérer une perte de vitesse sur ses ventes, un risque de rupture de stock avant de mettre en route une campagne. Un trader peut identifier ses cibles en naviguant facilement parmi plus de 200 segments d’audience préconstruits en amont de ses activations, optimiser ses achats en temps réel et en mesurer l’impact omnicanal. »

Le retail media permet-il de cibler les consommateurs au-delà du site du distributeur ?

Oui. Les marques ont la possibilité d’utiliser les données des distributeurs pour cibler les consommateurs sur d’autres sites. On parle d’« extension d’audience ». Tanguy Le Falher en donne une illustration : « Le distributeur fournit à une marque, de façon anonymisée, le profil des internautes qui ont acheté des yaourts ces 12 derniers mois, mais pas ceux de la marque. La marque va pouvoir les adresser avec des publicités digitales sur d’autres sites. Cette exploitation de la data pour les campagnes marketing est un enjeu fort pour les marques, et une vraie évolution du marché. »

« Tout l’intérêt pour les marques, c’est de pouvoir utiliser la data très riche des sites de e-commerce sur des sites qui proposent un bien meilleur cadre de diffusion, parce qu’il s’agit d’un media établi ou parce qu’il s’agit d’un site proposant des formats publicitaires avec une meilleure visibilité », confirme dans Le Journal du Net Erwan Lohezic, PDG de 3qtz, une structure qui accompagne les marques dans leurs projets en marketing digital.

Qu’en est-il de la confidentialité des données ?

Les campagnes très ciblées que permet le retail media présentent l’intérêt de fonctionner sans cookie tiers. Elles reposent uniquement sur les data « first party » dont dispose le distributeur. C’est un avantage pour les annonceurs car les cookies tiers sont amenés à disparaître. D’une part, Google Chrome a annoncé leur interdiction en 2024. D’autre part, le RGPD a d’ores et déjà complexifié la collecte de ces données. D’après une étude menée par 366-Kantar, 41 % des internautes refusent systématiquement ou partiellement le dépôt de cookies.

Les sites de vente en ligne ne peuvent toutefois pas utiliser sans garde-fou les données qu’ils collectent sur leurs clients. Ici aussi, le RGPD veille. Les données doivent être rendues anonymes, et l’internaute doit donner son accord pour leur utilisation.

Schématiquement, une marque qui veut utiliser les données d’un distributeur pour cibler ou mesurer une campagne aura accès à des segments d’audience : des groupes anonymisés de consommateurs, classés en fonction de leurs achats, de la fréquence de leurs commandes, de leur localisation, etc.

L’annonceur qui veut un ciblage plus fin que ces segments proposés par le distributeur peut passer par une « data clean room ». C’est un espace sécurisé où le retailer partage ses données anonymisées, pour lesquelles il a obtenu l’accord des internautes. Les marques vont pouvoir croiser ces data avec leurs propres données clients. Cela peut permettre de savoir, par exemple, si une campagne menée sur un site de vente en ligne a aussi eu un impact sur les ventes en magasin. Cela peut aussi permettre de mesurer le nombre optimal d’expositions à une publicité : à un moment, il ne sert plus à rien de montrer une publicité à un internaute. Ne pas répéter inutilement la campagne évite de créer un effet de « ras-le-bol » chez le consommateur, et évite aussi de dépenser à fonds perdu son budget marketing. Au final, même si l’utilisation des données des internautes est très encadrée, l’objectif reste bien d’arriver à les cibler le plus finement possible.

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