Retail : la nouvelle donne phygitale
28/05/2020Fluidifier l’expérience client en magasin grâce au digital. L’approche phygitale trouve de nouveaux usages en cette période de déconfinement : gestion de la file d’attente, prise de rendez-vous, services personnalisés, click and collect… Plusieurs de ces innovations devraient perdurer car elles apportent de nouvelles opportunités relationnelles. Et permettent de récupérer des données. Voici le deuxième volet de notre série consacrée aux tendances gagnantes post-confinement.
Du système D au comptage automatique pour faire respecter la jauge
Ne croyez surtout pas que la capacité d’accueil d’un magasin en période de Covid-19 se calcule au doigt mouillé. Cette jauge est définie par une équation contenue dans le protocole national de déconfinement publié par le ministère du Travail : « Surface de vente en mètres carrés X 60 % X 0,80 (coefficient réducteur), divisée par 4 ». En pratique, cela « correspond à 1 personne pour 8 mètres carrés de surface de vente », convient le protocole. Pour simplifier encore les calculs, de nombreux magasins adoptent comme principe 1 client pour 10 mètres carrés.
Mais comment faire appliquer cette jauge ? Le système D est souvent de rigueur. Dans le magasin Hema, situé dans la gare Montparnasse à Paris, l’astuce est liée aux paniers. Comme l’illustre le magazine LSA, « avec une capacité de 35 personnes en simultané dans la boutique, chaque client doit impérativement prendre un panier. Quand les 35 paniers ont été distribués, plus aucun nouveau client ne peut y pénétrer ». Castorama et Brico Dépôt utilisent un système équivalent : « Le nombre de chariots a été limité à 100. Une aide visuelle pour les vigiles qui se chargent de compter ».
Le protocole de déconfinement enjoint toutefois les enseignes à aller plus loin. Pour prévenir la création de files d’attente sur le trottoir, il stipule qu’« il faut à la fois gérer les périodes d’affluence mais aussi les anticiper pour les éviter ou les réduire (…). L’information du public en amont par tout moyen, et de préférence avant le déplacement, est essentielle ». Le protocole donne des exemples d’actions à mettre en œuvre, comme fournir « sur les sites web l’historique des périodes d’affluence » ou « afficher le taux d’occupation en temps réel à l’entrée des établissements recevant du public ».
Du pain béni pour les fournisseurs de solutions technologiques, proposant caméras et capteurs spécialement conçus pour le comptage des entrées et sorties. La solution Go’IA du français Pryntec commence même à détecter les véhicules et leur nombre d’occupants dès leur arrivée sur le parking pour anticiper l’affluence en surfaces de vente. Quand la capacité d’accueil est sur le point d’être dépassée, ces dispositifs peuvent envoyer des alertes par notification sur smartphone ou par affichage à l’entrée du point de vente.
LSA donne l’exemple du E.Leclerc Wattrelos qui vient d’installer un système de comptage automatique avec caméras au plafond. Ici, les infos sur les flux de clients sont fournies au vigile via une tablette. En Suisse, l’enseigne Migros, ainsi que Lidl dans l’ensemble de ses 142 magasins, a choisi de s’équiper d’un système de feu de signalisation (photo ci-dessus) : vert, les clients peuvent entrer ; rouge, ils doivent attendre que des personnes sortent.
De nouvelles solutions pour digitaliser la file d’attente
Le digital permet d’autres formes de régulation, plus « positives », donnant au consommateur les clés pour s’organiser. Aux États-Unis, le plus grand marché alimentaire de Washington, sur Dupont Circle, offre depuis la fin avril à ses clients la possibilité de réserver, grâce à leur smartphone, un créneau pour accéder aux étals. Auparavant, du fait de la restriction des capacités d’accueil et de la mise en œuvre de mesures sanitaires, il fallait jusqu’à 45 minutes d’attente pour commencer à faire ses courses. Le système de réservation a permis de réduire considérablement la file d’attente, constate le magazine Washingtonian, et devrait être étendu à d’autres marchés de la ville.
L’entrée au marché de Dupont Circle se réserve de la même façon qu’une table au restaurant. Le service est en effet assuré par OpenTable, une application spécialisée dans la réservation de restaurants. Pour rebondir suite à leur fermeture, cette plateforme s’est cherché de nouveaux débouchés, et a construit une offre de réservation de créneaux horaires pour entrer dans les magasins.
Remplacer la file d’attente physique par une file d’attente virtuelle. L’idée n’est pas nouvelle, mais elle connaît un sursaut d’intérêt au moment du déconfinement. À Paris, le Monoprix Courcelles met de nouveau en avant une solution testée il y a quelques années avec la startup Lineberty. Le principe reste le même : depuis son mobile, via l’appli ou le site de Lineberty, le client choisit un créneau horaire pour accéder au magasin et reçoit un ticket virtuel, à présenter à l’entrée le moment venu.
En Belgique, l’application ShopSafe a, elle, choisi de s’inspirer du modèle de Waze, l’application de navigation alimentée par les données envoyées par les automobilistes. Ici, les utilisateurs qui se rendent dans un supermarché fournissent une estimation de la densité des clients présent. Objectif : partager en temps réel le niveau de fréquentation d’un magasin, « calme », « normal », « agité » ou « fort fréquenté », explique le journal Le Soir. Pour encore plus de fiabilité, ShopSafe s’appuie aussi sur les données d’un opérateur télécom belge. « Toutes les cinq minutes, cet opérateur nous donne le nombre de téléphones actifs près du supermarché. Nous pouvons donc déjà estimer si la situation est normale ou pas, même sans les mises à jour des utilisateurs », explique Bart Muskala, le CEO d’Accurat, l’entreprise à l’initiative du projet.
L’essor des rendez-vous, permettant même de privatiser une boutique
En période de déconfinement, une mesure a le vent en poupe : proposer aux clients de prendre rendez-vous. En Espagne, les petits commerces, de moins de 400 mètres carrés, ont été les premiers à pouvoir rouvrir mi-mai. Mais parmi les conditions à respecter, ils ne pouvaient recevoir leurs clients que sur rendez-vous, décrivent Les Échos.
Outre-Atlantique, l’enseigne d’électronique Best Buy mise aussi uniquement sur les rendez-vous pour la réouverture au public de 200 magasins. Pour bénéficier des conseils d’un de ses vendeurs, les clients doivent réserver un créneau en ligne ou par téléphone. Peu avant leur visite, un employé de l’enseigne les appelle, à la fois pour leur expliquer les mesures sanitaires en œuvre, et pour en savoir plus sur le motif de leur visite et le type de produit qu’ils recherchent. Ce qui permet au vendeur de mieux préparer le rendez-vous.
En France, le recours aux rendez-vous est également en plein boom depuis la mi-mai. Même les petits commerçants indépendants s’y mettent. « Le magasin est petit, seulement 50 mètres carrés. Impossible de gérer les flux ou de créer des zones d’attente aux caisses, par exemple, comme le font les grandes enseignes », explique dans Le Parisien le gérant d’un magasin de chaussures pour enfants près de Rennes. Son commerce n’a rouvert que sur rendez-vous, les clients fidèles ayant été informés par SMS du nouveau système.
De grandes enseignes comme Orange ou Mobalpa incitent aussi leurs clients à prendre rendez-vous en ligne avant de se déplacer en magasin. L’enseigne de prêt-à-porter Kaporal a elle également lancé le 20 mai un service en ligne de prise de rendez-vous en boutique, selon 3 options : « Instant VIP Shopping » pour privatiser tout ou partie d’un magasin sur un créneau donné, « Instant VIP Solo » pour un service de coaching personnalisé et « Instant VIP Mes Achats » pour venir retirer un colis ou procéder à un retour ou un échange.
La pratique des rendez-vous pourrait se poursuivre au-delà de la période de déconfinement, estime Yves Puget, directeur de la rédaction du magazine LSA. Il en vante les mérites dans un édito : « Il s’agit de mettre le client au cœur de sa stratégie relationnelle, développer une parfaite connaissance de celui-ci, lui proposer des produits et services qu’il veut et au bon moment. Donc de créer une véritable proximité entre un client et son enseigne. Il faut en être convaincu : la prise de rendez-vous, bien après la pandémie, sera un des éléments du marketing relationnel des enseignes ».
Des services personnalisés en magasin comme en ligne grâce aux vendeurs
Marionnaud a accompagné la réouverture de ses magasins d’un nouveau bouquet de services, intitulé Allo Boutique. Ce dispositif s’articule autour d’un numéro gratuit, permettant de commander des produits en click and collect ou en livraison express, pour soi ou pour faire un cadeau à un proche. Une attention bienvenue en période de déconfinement. Mais Allo Boutique, c’est aussi la possibilité de prendre rendez-vous en magasin pour une session de shopping privé. Et pour les clientes qui ne veulent pas se déplacer, Marionnaud offre les conseils personnalisés d’une experte beauté par téléphone ou appel vidéo.
Proposer aux clients d’être accompagnés par un vendeur en magasin comme à distance. C’est aussi ce qu’a imaginé la marque italienne de prêt-à-porter féminin Pinko (plus de 250 magasins dans le monde), qui vient de lancer le programme Concierge, autour d’« une série de services ultra-personnalisés », relate Fashion Network. La plus étonnante de ces propositions, pour l’instant réservée à certaines boutiques de Milan : la possibilité pour une cliente d’appeler le point de vente qui lui envoie voiture et chauffeur pour l’accompagner jusqu’à la boutique, où elle pourra s’entretenir avec une personal shopper dans un espace dédié et repartir avec un petit cadeau offert par le label. Mais ici aussi, pour la cliente qui préfère rester chez elle, Pinko propose les services d’une personal shopper en ligne qui « pourra lui présenter en direct via Internet une sélection de produits, tout en lui donnant des conseils de style et diverses informations ».
Ces démarches sont loin d’être isolées. Les mesures de distanciation sociale ont en effet amené les enseignes à proposer en ligne les services de leurs vendeurs en magasin. Ikea Belgique offre des rendez-vous par visioconférence avec ses conseillers ; les grands magasins britanniques John Lewis font de même ; Auchan Espagne met les clients en relation avec les vendeurs grâce à WhatsApp… Ces exemples sont à retrouver dans le premier volet de notre série consacrée aux tendances gagnantes post-confinement : Comment la relation client se réinvente sur de nouveaux canaux.
Le drive gagne tous les secteurs
Le drive aura été le mode d’achat qui a explosé lors du confinement. D’après Data Solutions, citée par Le Figaro, les drives des supermarchés ont connu une augmentation de 75 % de leur activité. Mais surtout, le drive a conquis de nouveaux secteurs. Kiabi, Decathlon et Intersport l’ont notamment expérimenté dès le mois d’avril. À l’instar des supermarchés, ces enseignes déposent les commandes passées en ligne directement dans le coffre des voitures de leurs clients. Une procédure rassurante pour les clients et un moyen pour les magasins d’écouler de la marchandise même au plus fort du confinement. Sur la première journée de mise en place dans trois magasins de la région lilloise, Kiabi a enregistré plus de 200 commandes.
D’autres enseignes ont rejoint le mouvement : But, qui propose le drive dans 60 magasins volontaires ; Ikea, qui facture ce service 5 euros contre 14 habituellement ; Gémo, qui compte l’étendre à tout son réseau en France ; Sephora, qui a dédié une table au retrait des commandes au seuil de ses boutiques, etc.
Et demain ? Ce service devrait perdurer, estime Fashion Network : Decathlon précise déjà que le retrait sans contact à l’extérieur des magasins se poursuivra après la réouverture de ses magasins ; Intersport annonce accélérer le mouvement pour atteindre 300 adresses converties ; tandis que Kiabi estime que cette expérimentation « dessine peu à peu ce que pourra être le commerce de demain ». Une nouvelle étape vers l’omnicanal, où commerce physique et e-commerce ne font plus qu’un.
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Lidl se lance dans les services cloud
La diversification qu’entreprend Schwarz Group, la maison mère de Lidl, peut surprendre au premier abord : le groupe vient d’annoncer son intention de devenir… un fournisseur de services cloud ! Très concrètement, il vient ainsi de racheter une société spécialisée, Camao IDC. Cette annonce est l’occasion de rappeler le poids que le digital occupe déjà au sein de la maison mère de Lidl : sa branche informatique emploie 3 000 personnes, gérant 20 000 serveurs pour le groupe. « Faire de ses services informatiques une source de revenus est une tendance qui s’accélère dans le retail », commente le magazine LSA. Le leader actuel des services sur le cloud est d’ailleurs Amazon avec sa filiale AWS (Amazon Web Services). Cette activité est née en 2006 quand le géant du e-commerce a voulu rentabiliser ses investissements en louant sa technologie à des clients externes. Une stratégie que nous décryptons dans notre Tendance : L’après Amazon se dessine-t-il ?
Les livraisons de médicaments à domicile décollent
Plusieurs startups proposent des services de livraison de médicaments à domicile. Sous l’impact du Covid-19, leur activité qui était jusqu’ici confidentielle est en plein boom. Auparavant, ce marché était confronté à plusieurs freins. 97 % de la population française vit à moins de 10 minutes d’une pharmacie, chiffre par exemple Business Insider. Ce qui limite les besoins de livraison. Le secteur est aussi très réglementé. Pour délivrer des médicaments sur ordonnance, le pharmacien doit normalement être en possession du document original. Enfin, « les pharmaciens ne sont pas des geeks », résume Alexandre Deniau, cofondateur de la startup Phacil. « Nous évoluons dans un secteur très peu digitalisé, il existe 23 000 pharmacies en France, et seulement 661 officines sont agréées par l’État pour vendre des médicaments en ligne ! », complète dans Les Échos Yves Bottin Putnikovic, qui vient juste de créer la startup Izyflex, proposant à la fois du drive en pharmacie et des livraisons de médicaments à domicile.
Et si l’assurance était le produit le plus innovant de Tesla ?
Tesla, le constructeur de véhicules électriques, fascine par ses innovations technologiques, mais son produit le plus révolutionnaire est peut-être l’assurance qu’il propose à ses clients. C’est la thèse que défend le site Fast Company. Cette assurance se distingue en premier lieu par ses tarifs, de 20 à 30 % moins élevés que chez les assureurs classiques. Ces derniers ont en effet tendance à surévaluer les primes des véhicules électriques car ils connaissent encore mal ce secteur. Ils ont peu d’historique et peu de visibilité notamment sur le coût des réparations. À la différence de Tesla, qui maîtrise le prix de ces réparations et qui a toutes les données sur la façon dont ses clients conduisent. Les Tesla sont en effet hyperconnectées, envoyant de très nombreuses données en temps réel grâce à leurs capteurs. Le constructeur est ainsi capable d’estimer au plus juste les risques d’accident. Fast Company relève toutefois que Tesla ne propose pas son assurance à tous ses clients. Il semble que le constructeur se concentre sur les profils les moins à risque…