« Chaque jour je me lève heureuse d’aller porter mes sujets. » Anne-Laure Thomas n’aime pas les grands mots, elle préfère les preuves. Directrice Diversité, Équité et Inclusion chez L’Oréal, elle déroule le fil rouge qui traverse sa vie : bâtir un monde où chacun peut trouver sa place. Son premier poste la plonge au cœur de la réparation : indemniser les victimes du sang contaminé. Une mission idéale pour cette juriste de formation. Mais c’est la naissance de son fils qui change tout. « Il est né avec une maladie génétique, et j’ai été choquée par certaines réactions. On m’a dit : ‘Madame, il faut arrêter de travailler.’ Jamais on n’a proposé ça à son père ! » Tout au long de la scolarité de son fils, elle retrouve cette même violence symbolique dans les dossiers scolaires : « ‘La maman a décidé de continuer à travailler.’ Ce jour là, je me suis jurée qu’aucune autre femme ne lirait une telle phrase.» De cette révolte naît son combat pour l’égalité et, plus largement pour l’inclusion.

En 2006, elle intègre La Poste comme consultante, alors que le groupe se prépare à l’ouverture à la concurrence, et devient deux ans plus tard directrice Diversité et Engagement à la Banque postale. Elle y apprend à négocier avec les partenaires sociaux et à construire des compromis. « Les points de vue sont souvent très divergents, mais on finit par avancer ensemble, parce qu’au fond, tout le monde veut le bien des personnes. Ça m’a beaucoup servi par la suite. » En 2017, changement de décor : elle part chez L’Oréal. « Sur les sujets de diversité et de non-discrimination, le groupe L'Oréal est très engagé depuis des années, comme La Poste. Ce n’est donc pas un effet de mode. Chez L’Oréal, on travaille avec des entreprises qui nous ressemblent et on monte des collectifs d’entreprise pour faire avancer les causes et démultiplier leur impact. »

Parmi ses fiertés, la libération de la parole sur le handicap : « On imaginait seulement une personne en fauteuil roulant ou malvoyante. J’ai organisé des talks où des collaborateurs ont témoigné sur leur handicap, diabète, maladie de Crohn… devant 900 personnes, dont les membres du Comex et Sophie Cluzel, qui était ministre du handicap à l’époque ! Ces talks ont transformé les regards. » En 2018, elle crée l’initiative #StOpE au sexisme dit « ordinaire » qui fédère plus de trois cents entreprises aux côtés d’Accor et EY. Et elle accompagne les marques dans le développement de programmes engagés : Stand Up de L’Oréal Paris contre le harcèlement de rue, Aimer sans abuser d’Yves Saint Laurent Beauté pour dénoncer les relations abusives, ou encore le prix Forbes Over Fifty qui valorise les femmes de plus de 50 ans. « Ces campagnes, ce n’est pas de la com. C’est du concret, ça change la vie des gens. »

Aujourd’hui, son agenda mêle inclusion des personnes réfugiées, employabilité des seniors et relations intergénérationnelles. En juin dernier, elle obtient que L’Oréal soit cosignataire de la tribune Agir avec 32 autres grandes entreprises françaises, affirmant que « le racisme n’a pas sa place dans nos entreprises ». Et tout au long de l’année, elle mesure les progrès de ses campagnes : taux d’emploi des personnes en situation de handicap (6,8 %), équilibre femmes-hommes dans les comités de direction et les postes-clés, présence des seniors (30 % de plus de 50 ans) campagnes de testing sur les CV, participation à l’index diversité et inclusion de l’ancienne ministre Elisabeth Moreno sur la mesure des origines… « Les entreprises doivent aller au-delà des obligations légales, et surtout former, former, former, parce que nous avons tous des biais. » Et lorsqu’on lui demande ce qui la fait tenir : « Je crois en un monde où ce n’est pas un sujet d’être une femme, un homme, d’avoir un handicap ou une couleur de peau. Un monde respectueux est un monde plus heureux. »