Méleyne Rabot, DG Too Good To Go : « Notre principal concurrent, c’est la poubelle »

11/06/2025

Too Good To Go poursuit sa croisade contre le gaspillage alimentaire. Entre campagnes de sensibilisation, dialogue avec les législateurs et innovations, sa directrice générale France, Méleyne Rabot, détaille comment Too Good To Go consolide son modèle d’entreprise à mission en dépit du « backlash » écologique et de l’inflation.

Too Good To Go a conquis 19 millions d’utilisateurs en France. Quel est, selon vous, le vrai moteur du modèle : l’impact écologique ou l’intérêt économique ?

Méleyne Rabot – Les deux ! Si le concept a tout de suite eu du succès, c’est parce que tout le monde y gagne. Ceux qui utilisent l’application y voient un moyen de lutter contre le gaspillage alimentaire et les effets de serre tout en économisant 50 à 70% sur un repas à « prix plein ». Les enseignes de distribution et de restauration partenaires ne se contentent pas de revaloriser les invendus : elles accueillent aussi de nouveaux clients, avec en prime, parfois, des achats croisés. Retraités, familles recomposées, actifs, étudiants… tout le monde y trouve son compte, que ce soit pour sauvegarder la planète, faire des économies, ou même simplement par goût du paquet « surprise » !

Vous multipliez les actions de sensibilisation sur les dates de péremption ou les pratiques en grande et moyenne surface. Votre mission est-elle aujourd’hui autant politique qu’opérationnelle ?

M. R. – Nous sommes une entreprise à mission*. Notre rôle est d’être au cœur du débat public et du quotidien des Français. C’est dans notre ADN depuis que Lucie Basch, cofondatrice de Too Good To Go, a ramené le concept du Danemark, il y a 9 ans. Nous voulons donner des clés à tous les acteurs de la chaîne, de la fourche à la fourchette, pour les aider à adopter des réflexes anti-gaspi. 40% du gaspillage a lieu dans les foyers, d’après Eurostat (données 2023). On ne peut pas se contenter de proposer des paniers anti-gaspi. Il est impératif de sensibiliser les consommateurs. Nos campagnes d’information sont notre premier levier d’action. Telle celle sur les dates limites de consommation, qui incite les jeunes à « Observer, Sentir, Goûter » avant de jeter des produits « hors date », ou celle sur le pain dont « il ne faut pas perdre une miette ! ». Pour avoir un impact durable sur les comportements, nous agissons aussi sur le plan législatif. En France, pour les dix ans de la loi Garot – qui a permis la multiplication des dons par les grandes surfaces –, comme en Europe. Nous suivons de très près la future réglementation européenne actuellement à l’étude. Cette mobilisation vers l’externe ne nous empêche pas d’innover ni d’élargir notre activité sur un axe plus opérationnel. Il y a deux ans, nous avons décidé de racheter directement à des industriels leurs invendus de produits secs (pâtes, sauces, nourriture pour animaux, par exemple). C’est un métier totalement nouveau pour nous, puisque nous constituons et expédions ensuite les colis à nos utilisateurs. Too Good To Go a également racheté une entreprise de la « Retail Tech » en 2022 (CodaBene), pour aider les distributeurs à mieux gérer leurs produits en fin de vie. L’innovation sert aussi à faire avancer la cause.

Face à l’inflation et à la baisse des marges, comment maintenez-vous l’équilibre entre engagement sociétal et viabilité économique ?

M. R. – L’application sauve environ 4 paniers par seconde dans le monde, parmi les quelque 80 000 paniers qui finissent à la poubelle. De toute évidence, il nous reste beaucoup de matière première, si je puis dire, à traiter. Et beaucoup de Français à convaincre ! Nous ne ressentons pas de pression sur les marges. Notre modèle économique repose sur une commission d’environ 1 euro par panier, pour des repas accessibles via notre application à 5 euros en moyenne, alors que leur valeur marchande atteint 15 à 20 euros avant rabais. Quant à l’inflation, elle joue plutôt en notre faveur. D’après l’étude réalisée en 2023 avec YouGov**, 8 Français sur 10 considèrent que les outils anti-gaspi sont un moyen de lutter contre l’inflation. En 2024, nous avons connu une croissance record : +34% du nombre d’utilisateurs et de partenaires.

Vous êtes désormais challengée par d’autres acteurs et par une baisse de la conscience environnementale. Quels risques identifiez-vous pour l’avenir du modèle Too Good To Go ?

M. R. – Notre principal concurrent, ce ne sont pas les nouveaux acteurs de l’anti-gaspi ou la grande distribution qui réduit ses frais et ses invendus. C’est la poubelle. Certes, il est beaucoup question du « backlash » écologique aux États-Unis, mais je ne vois pas poindre de phénomène similaire en France. L’écologie reste une valeur phare pour les jeunes générations. D’ailleurs, notre projet 2025 s’appelle TooGoodToGo « Next Generation ».
 

* Certifiée B Corp.
** Enquête réalisée sur 1020 personnes représentatives de la population nationale française âgée de 18 ans et plus, effectuée en ligne, sur le panel propriétaire YouGov France du 18 au 20 juillet 2023.

Biographie

Diplômée de Grenoble École de Management et de l’Insead, Méleyne Rabot commence sa carrière en 2005 comme consultante CRM chez Accenture. Elle évolue ensuite dans diverses industries, en occupant des postes liés à l’expérience et à la satisfaction client. En 2015, elle intègre Just Eat France, le service de livraison de repas à domicile, en qualité de directrice des opérations, puis de directrice de la stratégie, avant d’en prendre la direction générale France en 2020. Après une expérience chez Trainline, société britannique de vente en ligne de billets de train, en tant que directrice générale France, elle est nommée directrice générale France de Too Good To Go en septembre 2023. Engagée en faveur du mentorat, Méleyne Rabot est membre actif du programme « 1 jeune 1 solution ».;

Too Good To Go France en quelques chiffres

• Date de création : 2016

• Salariés : 150 personnes

• Utilisateurs : 19 millions

• Nombre de paniers « sauvés » depuis 2016 : 90 millions en France, soit 247 500 tonnes de CO₂ évitées

• Commerces partenaires : 45 000

• Pays d’implantation de l’application : 19 pays (2025)

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