Au revoir les produits, bonjour les services et les solutions !

15/04/2021

Decathlon devient « un vendeur de pratiques », Leroy Merlin « un vendeur de solutions », Fnac Darty place les services au centre de sa stratégie… Vendre des produits n’est plus une finalité pour les enseignes. Ils deviennent un élément du service proposé aux clients. Explications et illustrations de cette transformation servicielle.

Vendre moins de produits neufs et compenser cette baisse de revenus par la vente de services par abonnement. C’est ainsi que Fnac Darty se projette dans les 4 années à venir. Le groupe a formalisé cette vision dans un nouveau plan stratégique, Everyday, dévoilé fin février. « Nous voulons que le service devienne central, explique au journal Les Échos, Enrique Martinez, directeur général de Fnac Darty. Nous avons décidé de devenir les champions de la réparabilité. C’est une démarche citoyenne que demande le consommateur. » Le groupe a notamment développé, à partir de ses propres données de SAV, un indice de réparabilité qui oriente les conseils de vente. Il envisage aussi de déréférencer de sa marketplace les produits ne répondant pas aux critères de durabilité et de développer massivement l’offre de seconde vie dans une démarche d’économie circulaire.

« La conséquence est que nous vendrons demain moins de produits, même si nous en vendrons toujours, notamment des innovations », poursuit Enrique Martinez. En retour, le groupe imagine sa croissance dans la vente de services. Son ambition est même de devenir le leader des services d’assistance à la maison. « Pour cela, nous misons sur l’économie de l’abonnement, développe le directeur général. Nous avons lancé Darty Max en 2019. C’est un service qui, moyennant 9,90 euros par mois, couvre la réparation de tous les appareils de gros électroménager que vous possédez. Nous avons déjà 200 000 abonnés et visons 2 millions en 2025 grâce à l’extension du service à presque tous les produits techniques vendus par Darty. C’est le Contrat de confiance du XXIe siècle ! » Le groupe ne cache pas l’intérêt qu’il trouve dans ce « nouveau business model basé sur l’abonnement » : il permet non seulement de consolider la relation avec ses clients mais il procure aussi des revenus récurrents.

Le client comme point de départ de la réflexion stratégique

Le virage stratégique que prend Fnac Darty illustre bien un des défis majeurs auxquels marques et enseignes sont confrontées : continuer à créer de la valeur dans un contexte de croissance frugale, utilisant au mieux les ressources de la planète. C’est l’idée d’une transformation servicielle, défendue notamment par l’expert de la consommation Philippe Goetzmann dans l’interview qu’il nous a accordée. Les business models se cherchent encore. Abonnement, location, vente d’un usage et non plus d’un produit… Mais les initiatives fusent.

« Quand les entreprises mettent vraiment le client comme point de départ de leur réflexion stratégique, elles prennent conscience que le produit n’est qu’un intermédiaire, nous expliquait dans une interview Philippe Moati, cofondateur de l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo). Pour les gens, acheter un bien n’est pas une finalité. Ce qui compte pour eux, c’est d’obtenir une solution à un problème (…) Ils perçoivent que la propriété n’est qu’une des modalités possibles pour bénéficier des effets utiles de ces biens. »

Decathlon se transforme en « vendeur de pratiques »

Decathlon fait partie des enseignes en pointe de cette transformation servicielle. En Belgique, le groupe mène depuis la mi-novembre une expérience radicale : proposer à la location la quasi-totalité des références de ses magasins. Cette expérimentation baptisée « We play circular » concerne 6 des 37 magasins belges de l’enseigne autour d’un panel de 400 clients volontaires. Moyennant un abonnement de 5 € par mois, ils peuvent louer 40 000 références d’articles de sport, avec un prix dégressif en fonction de la durée. Decathlon y trouve une motivation pour produire des articles plus durables : plus un matériel à une durée de vie longue, plus il peut être loué longtemps et générer des revenus.

« D’un vendeur de produits, nous nous transformons en vendeur de pratiques », a récemment lancé Matthieu Robert, Operation manager de Decathlon. Il faisait allusion à une autre initiative de l’enseigne, la plateforme Decathlon Expérience. Ici aussi, Decathlon ne cherche pas à vendre du matériel : ce nouveau service permet de réserver un séjour complet pour des loisirs sportifs. Avant de devoir reporter le lancement du fait de la crise sanitaire, Decathlon avait choisi comme premier univers les sports d’hiver : les internautes pouvaient réserver transport, hébergement, forfait de ski, cours, activités, et aussi souscrire à une assurance et louer du matériel.

« Comme Booking dans l’hôtellerie, Decathlon sera un intermédiaire pour tous les professionnels de la montagne qui seront invités à s’inscrire sur la plateforme », souligne le site spécialisé dans le tourisme Tom.travel. « Nous ne créons rien, nous leur offrons la visibilité de Decathlon », précise Matthieu Robert. L’enseigne veillera toutefois à privilégier une offre de partenaires de qualité. C’est un écosystème que l’enseigne construit autour d’elle.

Leroy Merlin devient « un vendeur de solutions pour l’habitat »

Souvent, marques et enseignes ne peuvent avancer seules pour étoffer leur offre de services. « Pour un grand groupe, la transformation servicielle suppose de se lancer dans des activités qui ne sont pas son cœur de métier. Il faut être en capacité de créer un écosystème serviciel », pointe Philippe Goetzmann. C’est aussi ce chemin qu’emprunte Leroy Merlin. « Nous sommes en train de devenir non plus un simple distributeur de produits, mais un vendeur de solutions pour l’habitat, affirme dans Les Échos Thomas Bouret, directeur général de l’enseigne. Mais on ne le fait pas seul, on s’appuie sur d’autres. »

Pose et installation à domicile, dépannage, ateliers de bricolage, etc. Pour accompagner ses clients avant et après leur achat, Leroy Merlin a tissé un écosystème fort de 5 550 artisans à travers toute la France, contre 4 000 en 2017. Un réseau qui compte aussi des startups, pour la livraison du dernier kilomètre par exemple.

« L’enseigne pousse même le modèle un peu plus loin, en s’appuyant sur un écosystème local », pointe le journal Les Échos. Depuis un an, elle expérimente sur quinze sites un concept « Parlons maison » qui sera bientôt généralisé à toute la chaîne. À l’entrée du magasin, un podium de 40 à 80 mètres carrés, jusque-là réservé aux promotions, est mis à disposition de prestataires locaux : de l’agence immobilière au coach déco, en passant par le courtier en prêt, une société de nettoyage ou un aménageur de jardin. Le magasin de La Rochelle compte déjà 18 partenaires. L’objectif est de couvrir tous les besoins autour de la maison.

Mr Bricolage et Monoprix utilisent une marque blanche pour proposer des services après l’achat

La startup Mon Super Voisin veut s’inscrire dans cet écosystème serviciel des enseignes. Initialement, elle proposait un système d’entraide entre voisins pour de petits services du quotidien. Mais elle vient de lever un million d’euros pour se repositionner comme un facilitateur d’usage et d’installation de produits vendus par des enseignes. Elle compte déjà parmi ses clients Monoprix, Conforama, Casino ou encore Mr Bricolage.

« Nous avons réalisé qu’un tiers des demandes de services sur notre plateforme venait des clients de grandes enseignes. Ils avaient besoin d’aide suite à leur achat en magasin, pour le montage de meuble, la pose de peinture ou la fixation de TV au mur, raconte dans La Revue du Digital Mickaël Braconnier, cofondateur de Mon Super Voisin. La plupart des enseignes ne proposaient pas ces services en magasin ou sur leur site e-commerce car cela coûte cher et nécessite beaucoup de logistique : recrutement, développement d’une plateforme, gestion du turnover et de l’offre de services au niveau national, etc. »

La plateforme a revu son modèle pour proposer en marque blanche sa solution reposant sur une communauté d’experts. Chez Mr Bricolage, Mon Super Voisin a ainsi développé des services de pose et d’installation. Ces prestations sont proposées aux clients en magasin par les vendeurs. « Nous voulions uniformiser nos services de montage et d’installation pour nos clients depuis longtemps, explique Mickaël Bourlet, en charge de la plateforme de services Mr Bricolage. Nous testons la solution Mon Super Voisin dans plusieurs magasins car elle répond à notre besoin d’aller au-devant des attentes de nos clients. »

La lessive Le Chat ouvre un pressing et Dyson des salons de coiffure

Transformer son produit en service. Pour y arriver, la lessive Le Chat s’est elle aussi associée à une startup, Le Lavoir Moderne. Depuis septembre 2020, cette marque du groupe Henkel teste ainsi un service de lavage du linge dans un Intermarché d’Issy-les-Moulineaux. Le stand installé à la sortie des caisses est ouvert aux heures de forte affluence (de 17h à 20h en semaine, le samedi toute la journée…). Les clients y déposent leur linge et sont prévenus dans les trois jours par SMS du moment où ils peuvent venir le récupérer. « Il y a une attente extrêmement forte de services sur le point de vente. Les distributeurs les développent dans tous leurs nouveaux concepts, constate dans LSA Patricia Avezard, directrice New Business pour la division Laundry chez Henkel France. En Allemagne, Henkel propose déjà des services de nettoyage du linge implantés en entreprises et cela fonctionne très bien. Nous avons décidé de tester ce type de prestation en France en grande distribution. Intermarché a été séduit par le projet. » Et l’accueil des clients semble positif : plus d’un tiers de ceux qui ont testé le service en profitant d’une réduction reviennent apporter du linge.

Sur une logique assez proche, Dyson, la marque d’aspirateurs mais aussi de sèche-cheveux, a ouvert en début d’année des salons de coiffure dans ses magasins, à Paris, à Parly 2 et à la Part-Dieu à Lyon. Il ne s’agit pas d’une démonstration de ses produits, mais bien d’une prestation complète de coiffure réalisée avec des coiffeurs professionnels, comprenant diagnostic personnalisé du cheveu, shampoing et brushing. L’ensemble dure une heure environ et coûte 35 euros, indique Neomag.

Fin décembre, c’est Marionnaud associée à L’Oréal qui avait ouvert son premier salon de coiffure à Vincennes. Ici aussi, l’objectif est de transformer une expertise en un service pour les clients.

« Cyclon, la chaussure de sport qui ne sera jamais à toi ! »

Parmi les business models qui émergent dans l’économie servicielle : l’abonnement pour profiter en permanence de produits neufs dans de bonnes conditions environnementales. Avec son service L’Atelier Bocage lancé en 2018, Bocage fait partie des pionniers de cette pratique. Cette filiale du groupe Éram a conçu un abonnement (30 € environ par mois) permettant de disposer d’une nouvelle paire de chaussures neuves tous les deux mois. La marque revendique une consommation engagée, toutes les paires louées et rapportées en boutique étant reconditionnées et remises en état dans son usine de Montjean-sur-Loire, avant d’être proposées sur une plateforme de seconde main.

D’autres initiatives fleurissent autour de cette idée. La marque suisse On Running, dont le tennisman Roger Federer est actionnaire, proposera à partir de cet automne une paire de baskets de running écoresponsable et recyclable disponible uniquement sur abonnement. Ce service nommé Cyclon permet pour 29,95 € par mois de recevoir une paire de running puis de la renvoyer en fin de vie en échange de nouvelles versions, décrit L’Équipe. Les chaussures, fabriquées à partir de 50 % de graines de ricin, sont entièrement recyclées une fois retournées. La marque a imaginé un slogan qui s’amuse de ce concept d’abonnement : « Cyclon, la chaussure de sport qui ne sera jamais à toi ! » C’est peut-être le mot d’ordre qui s’appliquera de plus en plus à nos objets du quotidien.