Christophe Cadic, Ikea France : « Les data sont une manière scientifique de répondre à la demande client »

11/06/2025

Pour Ikea France, l’intelligence artificielle générative est un véritable levier de transformation. L’enseigne veut doter ses collaborateurs de « superpouvoirs » pour les aider à mieux servir les clients. Entre éthique, innovation et immersion, Christophe Cadic, directeur digital, trace une stratégie digitale ambitieuse.

La data est partout dans votre stratégie digitale. À quels niveaux structure-t-elle aujourd’hui l’expérience client chez Ikea France ?

Christophe Cadic – La data est un capital essentiel pour Ikea, car elle nous aide à remplir notre mission, celle que décrivait le fondateur de la marque. Notre objectif ? Améliorer la vie des consommateurs, à leur domicile, grâce à notre savoir-faire en design d’intérieur. En raison même de son activité, l’enseigne collecte des volumes gigantesques de données. Sur les produits, les visites en magasin ou en ligne, les services, les préférences des Français selon qu’ils habitent en centre-ville ou en zone rurale, etc. Cette manne nous sert à deux niveaux : pour enrichir l’expérience de nos clients et aider nos collaborateurs. Nous nous sommes fixé un cadre strictement éthique, conforme au RGPD* et durable, pour exploiter ces données. Quel que soit votre projet, changer votre cuisine ou trouver un fauteuil pour votre salon, nous comprenons mieux ce que vous cherchez, à chaque étape de votre parcours client. Vis-à-vis de nos collaborateurs, nous cherchons à les rendre encore plus experts dans leur métier, quel qu’il soit (logistique, finance, vente, RH). Pour ne pas submerger les équipes d’informations inutiles, nous appliquons le principe du « Last Mile Data », en filtrant la pertinence des données jusqu’au « dernier kilomètre ». 

Vous avez déployé Copilot et d’autres outils d’IA générative auprès des équipes. Qu’est-ce que ces technologies changent concrètement dans les usages métier ?

C. C. – Pour Ikea, l’IA générative (IAG) est un « game changer ». Parce qu’elle comprend avec précision les questions posées, même si elles sont complexes. Parce qu’elle est capable d’ingérer et d’indexer d’énormes volumes de données, tels l’historique des ventes ou les verbatims clients. Autrement dit, c’est un puissant levier pour résoudre toute sorte de problèmes. Et c’est bien ce qui constitue le cœur de notre métier ! Nous voulons donner des « superpouvoir » à nos collaborateurs, grâce à l’expertise de cet « assistant ». Ce deuxième cerveau ne sera jamais à la place du pilote. Et en aucun cas, il ne peut remplacer l’humain. En 2024, nous avons lancé une vaste campagne interne sur les opportunités et les risques (biais, hallucinations, règles de sécurité et de RGPD) qu’impliquent ces systèmes. Aujourd’hui, les 12 000 salariés d’Ikea France ont accès à Copilot, l’IA générative de Microsoft**. Outre des prompts génériques (résumé de texte, traduction…), nous proposons des IA spécifiques, entraînées à partir de nos données. Comme My Sales Assistant que nous sommes actuellement en train de tester à petite échelle. « Qu’est-ce que le client achète le plus souvent avec une couette bleue ? » : il fournit des réponses, à partir de l’historique de vente, pour optimiser le merchandising et la prévision des ventes.

Avec 27 % de vos ventes réalisées en ligne, comment la data vous aide-t-elle à fluidifier les parcours entre digital et magasin ? Et comment concilier ambition digitale et responsabilité (RSE, sobriété numérique, circularité) ?

C. C. – Prenons l’exemple de quelqu’un qui cherche à aménager son salon, un processus qui prend du temps, des investissements. Le futur client aura plusieurs points d’interaction avec l’enseigne : sur le web (mais est-ce pour repérer les meubles ou pour finaliser l’achat ?), en magasin, ou en prenant un rendez-vous de planification et d’aide à la conception, sur le site ikea.fr. Ces données omnicanales nous aident à définir les différentes phases du processus (inspiration, exploration, décision, ou recherche de services). Nous savons de cette manière s’il est préférable de donner des conseils sur l’application, en magasin ou via le centre d’appel, par exemple. Les data sont pour nous une manière plus scientifique de répondre à la demande client. Sur la RSE et le développement durable, Ikea est engagée de longue date. En témoigne la seconde vie que nous donnons à certains de nos meubles ou à l’attention que nous portons à la sobriété numérique. Notre enseigne choisit des partenaires qui minimisent l’empreinte carbone dans l’IAG, et encourage l’usage responsable de la data et de l’IAG en interne.

Sur quoi misez-vous pour réinventer l’expérience Ikea à horizon 2030 ? Quels sont vos grands paris digitaux pour les cinq prochaines années ?

C. C. – Nous utilisons déjà la réalité augmentée mais nous irons plus loin avec les technologies les plus pointues d’immersion, de création visuelle et d’IAG. Actuellement, avec l’application Ikea Kreativ utilisée par une part significative de nos clients, les consommateurs ont le moyen de scanner leur intérieur et d’obtenir la visualisation de l’ameublement que nous proposons à la place. Depuis 2021, nous offrons également des expériences immersives, dans quatre de nos points de vente en France. Dans des espaces de 9 m², les visiteurs découvrent, projetés sur 3 murs, des ambiances de cuisine ou de salon et peuvent agir comme dans un jeu vidéo, pour changer les couleurs via une tablette. Demain, nous voulons être capables d’aider nos clients à se projeter dans leur futur cadre de vie, en les inspirant.

* RGPD (Règlement général sur la protection des données), réglementation de l’Union européenne encadrant l’usage des données à caractère privé.

** Le contrat avec Microsoft permet d’entraîner Copilot à partir des données propres de l’entreprise. Les recherches sont alors stockées sur un cloud privé.

Biographie Christophe Cadic

Passionné par la technologie et titulaire d’un doctorat en mathématiques à l’université de Limoges, Christophe Cadic a débuté sa carrière dans le conseil (chez Sopra Group), l’édition de logiciels (eFront), avant d’intégrer l’agence digitale Nurun. En 2012, il rejoint Darty en tant que directeur du développement e-commerce et de la digitalisation des points de vente, où il pilote la transformation digitale de l’enseigne. Il applique ensuite cette approche à la fois digitale et business dans différents secteurs. De 2014 à 2017, il est directeur e-commerce aux Galeries Lafayette. Intéressé par l’international, il devient directeur digital IT groupe au sein du groupe de cosmétique Rocher, de 2017 à 2020. Il est directeur digital Ikea France, filiale du leader mondial de l’équipement de la maison, depuis mars 2020.

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