Luc Lesénécal (Saint James) : « Produire en France et rayonner dans le monde, c’est possible et rentable ! »
06/11/2025Des ateliers de la Manche à l’exposition universelle d’Osaka, les marinières Saint James portent haut les couleurs du savoir-faire français. Luc Lesénécal, président des Tricots Saint James, défend un modèle d’entreprise ancrée dans son territoire et tournée vers le monde, tout en restant fidèle à ses valeurs : qualité, durabilité et transmission. Alors que la réindustrialisation occupe tous les esprits, il explique comment Saint James peut servir d’exemple à d’autres secteurs d’activité.
Quels leviers permettent à Saint James de rester compétitif face à la concurrence internationale ?
Luc Lesénécal – Avec sa marinière reconnaissable dans le monde entier, Saint James est devenu un symbole du Made in France. Cette notoriété renforce notre crédibilité à l’international, en s’appuyant sur une valeur qu’on ne peut pas délocaliser : notre ancrage territorial. À Saint-James, dans la Manche, nous cultivons depuis plus d’un siècle un savoir-faire exigeant, qui garantit la qualité et la traçabilité de nos produits. Mais être fidèle à nos racines ne signifie pas rester immobile. Nous innovons sans cesse : digitalisation de nos process, optimisation logistique, recherche textile… En ce moment, nous explorons le lin, culture emblématique de la Normandie et parfaitement adaptée à un climat qui se réchauffe. Notre ambition est claire : une mode locale et durable, fondée sur des circuits courts, des matières naturelles et une production respectueuse des hommes comme de l’environnement. C’est cette cohérence entre authenticité et innovation qui séduit aujourd’hui nos clients, en Europe comme au Japon ou aux États-Unis.
Dans quelle mesure votre modèle peut-il servir de référence à d’autres secteurs d’activité en phase de réindustrialisation ?
L. L. – Je vois plusieurs éléments. D’abord, l’exemplarité : Saint James prouve depuis 136 ans qu’il est possible de produire en France, d’employer plusieurs centaines de personnes et d’exporter 40% de notre production vers le Japon, les États-Unis ou l’Allemagne. En tant qu’entreprise du patrimoine vivant (EPV), nous ne voulons pas seulement vendre des produits, mais transmettre une histoire : celle d’un ancrage local, d’une durabilité assumée, d’un rapport au temps qui redonne du sens à la consommation. Quand vous achetez un pull 150 €, vous le gardez dix ans : cela revient à 15 € par an. À l’inverse, deux pulls à 30 € en fast fashion ne durent qu’une saison. Le calcul est vite fait ! De plus, nous refusons d’opposer héritage et modernité. Nous collaborons avec des designers contemporains comme Guillaume Larquemain, qui réinterprètent notre ADN dans des collections résolument actuelles. Enfin, je crois profondément à la force du collectif. Chasser à l’export « en meute » avec d’autres EPV, comme nous l’avons fait au Japon, nous permet de mutualiser nos expériences et d’incarner une véritable « Team France » – crédible, inspirante et fière de ses racines.
Comment les entreprises du patrimoine vivant transmettent-elles leurs savoir-faire, notamment auprès des jeunes générations ?
L. L. – La transmission, chez nous, c’est une forme de compagnonnage moderne. Le savoir-faire s’acquiert en binôme, par le geste, par la répétition, et la pratique quotidienne. Rien ne pourra remplacer cette expérience ! Chez Saint James, nous ouvrons nos ateliers toute l’année aux écoles pour faire découvrir nos métiers. Les jeunes voient alors un univers lumineux, soigné, empreint de fierté, loin de l’image d’Épinal des ateliers du XIXe siècle. Nous avons nos propres formateurs, car chaque poste demande entre dix-huit mois et deux ans d’apprentissage ; et plus de 20% de nos collaborateurs sont issus de la formation interne. Nous travaillons également avec l’École de la Maille, dans le 19ᵉ arrondissement de Paris, qui forme les futurs professionnels au design de la maille et à l’utilisation des machines à tricoter. C’est cette alliance entre rigueur du geste, transmission du savoir et modernité de l’enseignement qui fait vivre nos métiers et attire une nouvelle génération de talents.
Vous avez représenté les entreprises du patrimoine vivant à l’exposition universelle d’Osaka, au Japon. Quelles retombées attendez-vous de cette participation ?
L. L. – J’en reviens à peine ! C’était une expérience incroyable, que plusieurs millions de visiteurs ont déjà pu vivre. En collaboration avec Arteum, le concessionnaire officiel du pavillon de la France à Osaka, tous les produits vendus dans la boutique du Pavillon France, marinières, filets à provisions ou encore parapluies, étaient fabriqués en France. C’est un symbole fort de souveraineté industrielle et culturelle. C’est aussi un vrai succès commercial : Saint James a habillé l’ensemble du personnel du Pavillon France, et une marinière s’y vendait toutes les trois minutes ! Mais au-delà du chiffre, c’est un formidable levier de notoriété et d’influence. L’exposition nous a permis de rencontrer des partenaires institutionnels, des investisseurs et d’autres entreprises d’excellence. Et surtout, cette présence envoie un message d’optimisme : dans un monde qui doute, montrer qu’un savoir-faire inspirant et créateur de valeur peut encore séduire, fédérer et donner confiance, c’est essentiel. C’est aussi une manière de redonner envie aux jeunes générations de rejoindre ces métiers du beau, du vrai et du durable.
Biographie
Luc Lesénécal est président des Tricots Saint James, marque emblématique du Made in France fondée en 1889 en Normandie, dont il a repris les rênes en 2012, après avoir occupé des postes clés à la Coopérative Isigny-Sainte-Mère. En 2017, il a été élu président de l’Association nationale des entreprises du patrimoine vivant, et en 2019, président de l’Institut pour les savoir-faire français (ex-Institut national des métiers d’art). Engagé pour une mode responsable et locale, il milite activement pour la réindustrialisation et la transmission des savoir-faire d’excellence. Il est également chevalier de la Légion d’honneur et de l’ordre du Mérite pour son engagement constant envers les territoires et le rayonnement des savoir-faire français à l’international
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