Déstandardisation : comment sortir du copié-collé ?
05/09/2019Les consommateurs se lasseraient-ils de trouver partout les mêmes commerces et les mêmes produits ? Après des décennies d’uniformisation, quelques grandes enseignes tentent de sortir d’un modèle standardisé et mondialisé. Cette quête d’authenticité passe souvent par une plus grande autonomie laissée au niveau local.
1Lagardère veut « déstandardiser » les commerces dans les gares et les aéroports
Les magasins se ressemblent trop. C’est ce que pensent 70 % des consommateurs, selon l’étude Shopper Observer Havas Paris/Paris Retail Week publiée en juin 2019. Banalisation de l’offre, manque de surprises, trop faible personnalisation… Le titre du journal Les Échos qui relaie l’étude donne à voir les dangers pour le commerce : « La standardisation, ennemie mortelle de la distribution ».
Le phénomène a gagné les centres commerciaux ainsi que les centres-villes des grandes agglomérations : les rues commerçantes commencent à se ressembler d’une ville à l’autre, et même d’un pays à l’autre, les mêmes enseignes accueillant les mêmes offres. Et que dire des « duty free », copiés-collés des mêmes boutiques quel que soit l’aéroport… L’un des principaux acteurs du secteur, Lagardère Travel Retail, a décidé de lutter contre cette uniformisation avec un mot d’ordre : « Sense of place ». Autrement dit, revendiquer et valoriser les spécificités locales.
« Il est vrai que le duty free était devenu assez uniforme, reconnaît, toujours dans le journal Les Échos, Dag Rasmussen, patron de Lagardère Travel Retail. Nous faisons en sorte que le voyageur sache où il est et de donner aux boutiques une forte identité locale. Cela passe par la sélection de marques et produits locaux ou la création d’un uniforme spécifique pour nos vendeurs. »
Le dirigeant donne une illustration de cette démarche : « À Dakar, nos équipes sont allées chercher une dame qui vend des confitures délicieuses au bord de la route. Nous l’avons aidée à organiser sa production pour qu’elle puisse tenir un stand à l’aéroport. Nous n’avons pas de stratégie unique, nous nous adaptons à chaque pays, chaque site. »
2Accor tourne le dos à la standardisation de son offre
Accor est aussi en train de se réinventer, en rupture avec son histoire de chaîne standardisée. Les racines du groupe remontent en effet à 1967 avec l’implantation en France du premier Novotel. Les fondateurs, Paul Dubrule et Gérard Pélisson, ne juraient que par la standardisation, un modèle qu’ils avaient importé d’Amérique, s’inspirant des fameux Holiday Inn, rappelle le magazine Capital. Et cet état d’esprit a longtemps prévalu.
« La direction précédente m’interdisait de mettre des vins et des tomates de ma région à la carte, se souvient Gwenaël Le Houérou, vice-président de l’AFA (Association des franchises Accor). Et je devais impérativement commander du Mouton Cadet que personne ne buvait. » Mais les temps ont bien changé. « Nos clients veulent du choix, martèle le PDG d’Accor, Sébastien Bazin. Ils veulent de la per-son-na-li-sa-tion. »
Les voyageurs sont en effet désormais en quête d’expériences plus authentiques et conviviales, à l’instar de celles proposées par Airbnb. « Pour attirer le client, il faut le surprendre », affirme aussi Sébastien Bazin. Pour répondre à ces nouvelles attentes, Accor diversifie la décoration intérieure de ses hôtels et mise sur des expériences locales, comme l’organisation de concerts dans les hôtels Ibis.
Mais les efforts se concentrent surtout sur les espaces d’accueil et la restauration. Le Mercure de Toulouse propose ainsi un club-sandwich au magret de canard. Dans la capitale, deux hôtels Mercure, à Montmartre et près de la Tour Eiffel, ont eux planté du houblon et brassent chacun leur propre bière, servie dans leur bar. « On a déstandardisé à mort et les résultats sont là, se réjouit Amir Nahai, Directeur Général Food & Beverage et Lifestyle du groupe. La satisfaction client a augmenté de treize points sur les trois dernières années. »
3Racheté par Amazon, Whole Foods fait aujourd’hui marche arrière sur la standardisation
Cela avait été un coup de tonnerre en 2017 dans le secteur de la distribution aux États-Unis : Amazon rachetait pour 13,7 milliards de dollars la chaîne de supermarchés Whole Foods. Les changements se sont fait sentir en quelques mois. Rompant avec la culture de ces 473 magasins bio haut de gamme, qui s’étaient développés en misant sur des petits producteurs locaux, le géant du e-commerce y a déployé ses propres méthodes de gestion. Comme le relate une récente enquête du Boston Globe, Amazon a notamment revu la politique d’approvisionnement, pilotant l’assortiment grâce à la data et privilégiant les grandes marques nationales au détriment des petits fournisseurs. Avec un objectif : baisser les prix.
Mais à trop rationnaliser la chaîne logistique, l’enseigne a connu en 2018 des ruptures de stock, ce qui a détourné certains clients de ses rayons. D’autant qu’en favorisant les grandes marques, Whole Foods a perdu de sa spécificité par rapport à des concurrents comme Walmart ou Costco qui se développent aussi fortement sur le bio.
Pour renouer le lien avec ses clients, Whole Foods fait depuis peu machine arrière et s’emploie à rétablir ses relations avec les petits producteurs locaux. L’enseigne vient ainsi d’organiser à Boston une grande rencontre avec 250 petits entrepreneurs. L’occasion d’annoncer qu’elle allait doubler son nombre de fournisseurs locaux et qu’elle lançait une campagne « We Love Local » pour mettre en scène dans ses magasins les petits producteurs. C’est une tendance que l’on observe également chez nous. En difficulté, les hypermarchés veulent notamment laisser plus de place aux produits locaux et aux circuits courts.
4Air France défend une relation client « non scriptée » et « pleine de surprise »
La déstandardisation qu’attendent les consommateurs se joue aussi dans la relation client. Air France fait ainsi le pari d’une relation différente avec ses clients, et la démarche porte ses fruits. La compagnie aérienne a reçu au printemps, pour la quatrième année consécutive, le premier prix du Podium de la Relation Client dans le secteur du Transport, décerné par BearingPoint et Kantar. C’est la récompense d’une politique originale, qu’Air France a baptisé la « relation attentionnée ». Le principe est d’éviter les interactions trop impersonnelles avec les clients. « Air France s’attache au quotidien à créer des effets de surprise et des attentions sur mesure afin de rendre chaque client unique », décrit l’entreprise.
« La Relation Attentionnée s’appuie sur 5 attitudes : personnaliser, valoriser, porter attention, avoir le sens du détail et oser », détaille Florence Désert, Directrice de la Culture client chez Air France. Intervenant pour l’Association Française de la Relation Client, elle explique que ces attitudes « ne sont en aucun cas des scripts : l’esprit Air France, c’est aussi un esprit bien français qui, quand il est bienveillant et tourné vers l’autre, ne s’inscrit jamais dans un standard prédéfini mais une relation pleine de surprise, gentiment impertinente, jamais vulgaire et toujours juste. Ce n’est en rien facile mais quand c’est bien réalisé, c’est si difficile à copier ! »
Pour atteindre ce niveau de service, les personnels d’Air France sont dotés de tablettes connectées, leur permettant de disposer à chaque point de contact d’une information client fiable. Les bagages sont-ils bien dans la soute ? Des retards sont-ils à prévoir ? Les préférences du client ont-elles été prises en compte ? Cette vision du profil et du parcours client favorise la prise d’initiative individuelle pour offrir surprise et émotion. Car pour Florence Désert, « l’émotion – quand elle est positive évidemment – est essentielle dans l’expérience client. (…) Sans émotion, un service peut créer de la satisfaction, mais en aucun cas un attachement. »
5Chez Intersport, le dispositif drive-to-store sur Facebook est géré localement
Déstandardiser la relation nécessite de laisser plus d’autonomie au niveau local. C’est la stratégie mise en œuvre par Intersport pour son dispositif drive-to-store déployé sur Facebook. Le principe : l’enseigne conçoit, à l’échelle nationale, un contenu commun pour l’ensemble des points de vente, puis le met à disposition de ses 652 magasins pour qu’ils animent chacun leur propre page Facebook
Intersport, qui vient de devenir le premier vendeur de textile en France devant son rival Decathlon, forme et accompagne les équipes locales, mais elle leur laisse une grande marge de manœuvre. « Chacun est ainsi libre de proposer des contenus qui correspondent à l’animation locale, les univers ou les produits à mettre en avant, les équipes, les événements », indique le site spécialisé LSA. « De manière générale, nous laissons souvent les magasins faire des tests sur le média, de l’animation, du ciblage local, des lives, des relais d’opérations, et ils les partagent avec les autres magasins », précise Matthieu Pellet, directeur digital de l’enseigne. Les points de vente définissent également eux-mêmes le budget qu’ils souhaitent investir sur Facebook.
L’impact des différentes campagnes sur les visites en magasins est étroitement mesuré par plusieurs indicateurs. Ils montrent notamment que les pages locales génèrent des taux d’engagement supérieurs à celui de la page nationale. Pour Matthieu Pellet, c’est la proximité avec les clients qui explique ce succès. « Les magasins sont intégrés à la vie locale et proches de leurs clients. Et ces publications mettent souvent en avant les équipes et le lien humain qui se crée avec nos clients. »
Les magasins se montrent parfois très créatifs pour imaginer et relayer des opérations de communication. L’an dernier, pendant la dernière Coupe du Monde, le magasin Intersport de Loriol, dans la Drôme, a ainsi offert une trousse de secours pour l’achat d’un maillot du joueur brésilien Neymar, souvent moqué pour sa propension à tomber au moindre contact. Résultat : le message présentant l’initiative a généré 22 000 engagements sur Facebook (dont 4 400 partages) pour un investissement publicitaire de… 0 €.
Autre usage du réseau social : la diffusion d’offres d’emploi. L’image ci-dessus est une capture d’écran d’une vidéo mise en ligne cet été par le magasin de Granville sur son compte Facebook pour recruter une hôtesse de caisse.
6Target fait appel à des artistes locaux pour habiller et différencier ses magasins
Aux États-Unis, Target est en train de déployer dans les centres urbains des formats de magasins plus petits. Et la chaîne entend donner une identité unique à chacun de ces points de vente, en lien avec un assortiment de produits spécifiquement adapté aux besoins du voisinage. Target a ainsi choisi de faire appel à des artistes locaux pour habiller la devanture et l’intérieur des magasins. Peintures monumentales, panneaux transparents qui projettent des reflets de couleurs, papier peint spécialement dessiné… Chaque réalisation doit être unique.
Target explique partir en quête de l’artiste qui habillera le magasin bien avant son ouverture, cherchant le peintre ou le designer qui incarnera au mieux la communauté autour du magasin. 60 points de vente ont déjà bénéficié de ces collaborations, précise l’enseigne dans un communiqué.
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Au Mexique, les clients de Walmart commandent leurs courses sur WhatsApp
Le géant américain de la distribution s’est associé à WhatsApp pour lancer au Mexique un service de livraison inédit. Il suffit en effet d’envoyer sa liste de courses via cette appli de messagerie très populaire dans ce pays afin d’être livré dans les 90 minutes qui suivent, pour un coût de 49 pesos, soit environ 2,20 euros. Si la liste de courses est déjà saisie sur un bout de papier, nul besoin de retaper le nom des produits un à un : l’envoi d’une photo de la liste suffit pour que la commande soit prise en compte, comme a pu le constater un journaliste de Reuters qui a testé le service.