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La RSE fait bouger les parcours clients

18/03/2021

L’économie circulaire devient une réalité, boostée par les politiques RSE des marques et les attentes des consommateurs. Les marques nouent de nouvelles collaborations avec leurs clients pour en faire des acteurs du cycle de vie des produits. Des pratiques comme l’occasion ou la consigne se voient réinventées et intégrées aux stratégies de fidélisation. Illustrations.

Cette année, l’innovation technologique n’était pas à l’honneur lors de la remise des Grands prix de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) le 11 février dernier. C’est « le reflet d’une nouvelle approche du e-commerce, où la recherche de valeur n’est pas seulement dans la performance, mais également dans la quête de valeurs et la quête de sens », souligne dans La Revue du Digital, Marc Lolivier, secrétaire général de la Fevad.

Preuve en est le prix de l’innovation remis à Veepee (anciennement Ventes privées) pour sa plateforme Re-turn qui instaure un nouveau circuit pour les retours produits. Lancé début 2020, ce service propose aux clients qui ne sont pas satisfaits d’une commande (trop petit, pas à leur goût, etc.) de remettre l’article directement en vente auprès des autres membres Veepee. Ils évitent ainsi de payer des frais de retour (c’est le nouvel acheteur qui paie l’expédition). Et ils font un geste pour la planète : le produit ne revient pas dans les entrepôts de Veepee pour ensuite repartir chez un client ou être renvoyé auprès de la marque. Le nouvel acquéreur profite lui d’une réduction sur le prix du produit. Ce service aurait évité 15 000 retours « classiques » en 2020. « Cela fait partie de notre stratégie RSE [Responsabilité sociétale des entreprises] », pointe Jacques-Antoine Granjon, Président de Veepee. Un système où tout le monde est gagnant puisque cette démarche vertueuse pour l’environnement simplifie aussi la gestion coûteuse des retours produits.

Les marques rachètent leurs produits à leurs clients

Le service Re-turn illustre bien les nouveaux liens qui se tissent entre les marques et les consommateurs : elles les incitent à devenir acteurs du cycle de vie des produits. Fini l’époque où les marques n’envisageaient leur croissance qu’autour de la vente de produits neufs. Aujourd’hui, elles misent sur la construction d’une relation durable, qui leur permet de tenir leurs engagements RSE et de répondre aux attentes des consommateurs, en quête d’écologie mais aussi de bonnes affaires.

Décidément très en pointe sur le terrain de l’économie circulaire, Veepee fournit une autre illustration de cet état d’esprit. Depuis décembre 2020, le site propose Re-cycle, un dispositif conçu sur le principe d’une « vente événementielle inversée ». Ici, c’est la marque qui rachète ses produits à ses clients. Aigle a été la première à utiliser ce service. Durant 5 jours en fin d’année dernière, elle a payé en bons d’achat les membres de Veepee qui lui envoyaient leurs vêtements et leurs bottes Aigle. 10 euros pour un tee-shirt, 20 euros pour une paire de bottes enfant, 30 euros pour une ancienne parka… Aigle prenait aussi en charge les frais d’expédition.

« Tous nos produits sont conçus pour durer plus de 30 ans et beaucoup d’entre eux sont déjà dans l’économie circulaire, explique à Republik-Retail.fr Sandrine Conseiller, CEO de Aigle. Pendant le premier confinement, nous avons ouvert sur notre site web un espace appelé Second Souffle pour les articles de seconde main. Les produits se vendent très bien. Mais nous sommes confrontés à un problème de marchandises, les clients ne nous rendent pas leurs produits. » Re-cycle a permis d’alimenter la boutique en ligne.

Début 2021, c’est Don’t Call Me Jennyfer qui a fait appel au service Re-cycle. Selon le même principe, 2 euros en bons d’achat pour un tee-shirt, 4 euros pour un pantalon, etc. « Avec cette opération, nous activons notre stratégie RSE, fait valoir Jean-Philippe Evrot, vice-président digital et communication de DCM Jennyfer. Nos clientes sont des adolescentes qui changent de taille et c’est une façon de financer un rachat de nouveaux vêtements avec une approche plus responsable. »

Les marques doivent composer avec la montée en puissance d’acteurs comme Leboncoin ou Vinted. En un an, ce dernier est passé de 12 à 16 millions d’utilisateurs en France, selon Fashion Network. Plutôt que voir leurs clients partir vers ces plateformes de seconde main, les marques préfèrent organiser leur propre boucle de consommation, achetant les produits en bons d’achat pour fidéliser les consommateurs. C’est ce que fait par exemple La Redoute depuis décembre dernier avec sa plateforme dédiée à l’occasion, La Reboucle. « Lorsqu’une personne vend sur La Reboucle, deux choix se présentent à elle : le virement classique ou le versement sur une e-carte cadeau sur laquelle La Redoute abonde de 25 %, explique pour La Réclame Amélie Poisson, directrice marketing, marque et relations client à La Redoute. Nous redonnons du pouvoir d’achat sous forme de promotion en les remerciant de vendre sur notre plateforme : revendre certains articles dont on n’a pas l’usage pour financer d’autres projets d’achats est une démarche vertueuse. »

La seconde main s’installe dans les rayons

Tous les secteurs sont concernés par l’essor de l’économie circulaire et le réemploi des produits. Signe des temps, Fnac Darty a nommé en mars 2020 une directrice Seconde Vie, Katell Bergot. Avec deux marques dédiées, Darty Occasion et Fnac 2nde Vie, le groupe vendrait environ 30 000 produits d’occasion par an. « Aujourd’hui nous ne vendons qu’en ligne, mais l’objectif à court terme est de faire un test en magasins », explique Katell Bergot à LSA.

C’est la nouvelle frontière pour la seconde main : investir les rayons des magasins avec de moins en moins de séparation entre les produits neufs et d’occasion. D’après Business Insider, 85 % des magasins Decathon en France (275 sur 326) revendent déjà des produits d’occasion dans leurs rayons. « Notre volonté est d’atteindre bientôt les 100 % », flèche Audrey Metzinger, Directrice commerciale Test Produits et Occasions de l’enseigne. Les articles de seconde main sont soit proposés dans des corners, soit exposés aux côtés des produits neufs, simplement différenciés par une étiquette. Et comme les produits sortis d’usine, ils sont garantis deux ans, avec les mêmes possibilités d’échange ou de remboursement.

Kiabi est dans la même logique avec sa stratégie RSE. « Nous repensons progressivement notre métier. Notre ambition ? Devenir un acteur incontournable de l’économie circulaire », explique l’enseigne. Cela a commencé par l’installation en 2020 de six corners en magasin dédiés à l’occasion. 25 autres sont prévus d’ici la fin 2021. « L’enjeu, c’est que ça fasse partie prenante de l’offre, on veut l’installer dans la pérennité de notre modèle », pose Estelle Urbain, directrice de la cellule prospective « Shopping Into the Future » chez Kiabi. En magasin, les vêtements de seconde main bénéficient des mêmes services que le reste de la collection, comme le retour et le remboursement.

Les marques réparent leurs produits en magasin

Donner une seconde vie aux produits implique de nouveaux critères de conception, privilégiant la durabilité. « Les équipes de conception travaillent de plus en plus sur des produits robustes qui durent dans le temps, confirme Anthony Le Mens, Leader seconde vie retail chez Decathlon. Chacune des pièces de nos articles doit être réparable par le client en mode DIY ou par notre atelier en magasin. » Kiabi s’engage aussi sur des produits plus robustes. « Pour allonger leur durée de vie, certains basiques des collections Kiabi ont été revus pour augmenter leur poids matière, et donc leur qualité, afin qu’ils puissent être plus durables dans le temps et transmissibles », relève FashionNetwork.com en présentant le programme RSE de la marque.

Certaines enseignes commencent à mettre en scène la « réparabilité » dans leurs magasins. Ce n’est plus uniquement l’apanage de marques engagées comme Veja, qui propose dans son « magasin du futur » à Bordeaux un service de réparation des vieilles baskets. Éram teste dans trois de ses boutiques une mini-cordonnerie, pour remettre en état les chaussures usagées. Dans son programme RSE « Positive Impact », Aigle prévoit également la mise en place d’ateliers de réparation dans ses magasins.

En Belgique, tous les magasins Ikea vont accueillir dans les prochains mois un « Circular Hub », un espace d’achat et de vente de produits d’occasion. Le premier vient d’ouvrir à Mons, indique Retail Detail. Mais Ikea veut en faire plus qu’un coin de bonnes affaires. Les visiteurs pourront y voir les meubles en train d’être réparés, reconditionnés, démontés et recyclés. Quand la situation sanitaire le permettra, l’enseigne organisera aussi des ateliers pour apprendre à réparer ses meubles.

La consigne revient au goût du jour

Autre combat que mènent les marques : la lutte contre les emballages. Cela se traduit par le développement du vrac, qui rencontre l’aspiration des consommateurs d’acheter la juste quantité. 19 % des foyers français, soit environ 5,4 millions de personnes, consomment régulièrement des produits achetés en vrac, selon une étude que vient de réaliser l’Institut Nielsen. Le phénomène va continuer de prendre de l’ampleur, porté par le projet de loi Climat et Résilience, présenté mi-février au Conseil des ministres. « Pour réduire les emballages plastiques, le texte prévoit que tout commerce de plus de 400 mètres carrés devra consacrer 20 % de sa surface de vente au vrac d’ici à 2030 », écrit le journal Les Échos.

Corollaire du vrac, la consigne pourrait faire son grand retour. Biocoop compte ainsi l’introduire dans l’ensemble de son réseau d’ici 2023 pour « le réemploi de la totalité des emballages verre des produits à marque », indique un communiqué. Le principe est simple : les produits concernés seront identifiés par un logo, et les clients seront invités à rapporter les bouteilles vides et rincées. Triées, lavées, elles seront réemployées jusqu’à 50 fois. Un procédé plus écologique que le recyclage du verre. Et qui contribue à la fidélisation des clients, qui reviennent déposer leurs emballages consignés.

Le réemploi des emballages inspire de nombreuses initiatives. Pour lutter contre le gaspillage dans l’univers des cosmétiques, la marque française Laboté a proposé aux consommatrices, du 8 février au 18 mars, de se présenter en boutique avec un de leur pot, vide, de produit de beauté. Dans le cadre de cette opération intitulée Hack la beauté, après nettoyage et stérilisation, ce pot était rempli par une crème de soin Laboté, personnalisée en fonction des besoins de la cliente. 

De nouveaux circuits solidaires de recyclage et de vente

La dimension sociale et solidaire de la RSE peut aussi avoir un impact sur le parcours client et le cycle de vie des produits. Dans le cadre de son programme RSE « WeCare », Etam collecte depuis le 2 mars les soutiens-gorge dont ses clientes ne veulent plus. Ces produits connaîtront ensuite une seconde vie, explique Fashion Network : ils bénéficieront soit à des femmes en difficulté, soit entreront dans un circuit de recyclage. Avec cette opération intitulée « Petit geste, joli soutien », l’objectif de l’enseigne de lingerie est de collecter 100 000 soutiens-gorge via des bornes installées dans 350 des 450 points de vente de la marque en France. Pour inciter et récompenser les clientes qui donneront des articles en boutique, Etam leur offre 10 % de remise à valoir sur un soutien-gorge de sa collection en cours.

Dans le cadre de son programme RSE, Kiabi développe depuis 2020 le projet de « Petit Magasin » (image ci-dessus). Il s’agit de commerces solidaires permettant de transmettre à des personnes dans le besoin les invendus des boutiques de l’enseigne. Quatre de ces magasins ont déjà ouvert, dans des locaux mis à disposition par les municipalités et exploités par des associations de réinsertion. Ils sont réservés aux familles bénéficiaires du centre local d’action sociale, avec une remise de 80 % sur le prix étiquette.

Dernier exemple d’initiative : le partenariat noué entre Cdiscount et Geev, une plateforme de dons entre particuliers. Lorsque qu’un client commande un produit neuf chez Cdiscount, il se voit proposer de publier une annonce sur Geev pour donner l’objet qu’il s’apprête à remplacer. Une initiative aussi récompensée lors des derniers trophées de la Fevad. Signe que l’innovation se trouve aussi dans la réinvention du cycle de vie du produit et la collaboration entre les marques et leurs clients.

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