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Les marques face à la déconsommation

23/11/2017

Les Français remplissent de moins en moins leurs chariots. Conséquence : le chiffre d’affaires des géants de la grande consommation est en berne. Comment s’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs ? Grâce à des produits plus éthiques, une montée en gamme ou en misant sur la croissance externe.

« Nous le constatons tous les jours : nos clients achètent moins mais plus de qualité. » Ce témoignage dans Les Échos de Thierry Cotillard, patron d’Intermarché, résume l’évolution de la consommation en France. Ainsi, selon Kantar Worldpanel, les volumes de produits de grande consommation achetés baissent. Et certains chiffres sont éloquents : sur le premier trimestre 2017, les ventes de produits d’hygiène et de beauté reculent de 3,2 %, celles des colas chutent de 5,6 %. Ce n’est pas uniquement une question de pouvoir d’achat, car dans le même temps, les achats progressent en valeur. Autrement dit, les Français consomment moins mais mieux.

Kantar Worldpanel parle de « déconsommation ». Un phénomène porté notamment par la tendance « slow life », explique le panéliste, qui consiste à « moins consommer mais vivre mieux ». Voir notre article qui analyse ce phénomène et l’interview de Pascale Hébel, responsable du pôle Consommation du Crédoc : « Les consommateurs se détournent des grandes entreprises ».

Les grandes marques ne peuvent bien sûr pas ignorer ce phénomène qui affecte directement leur chiffre d’affaires. « Le trou d’air inédit des géants des PGC », titrait en octobre 2017 le magazine spécialisé dans la grande distribution LSA, précisant : « En 2016, pour la première fois, le chiffre d’affaires global des 50 plus gros industriels mondiaux des produits de grande consommation a reculé. » Comment réagir pour les grandes marques quand les consommateurs se sentent saturés d’objets et se montrent plus exigeants dans leurs achats ?

Des produits plus éthiques

Les consommateurs sont en quête de produits plus sains, plus locaux, et en phase avec leurs valeurs. Le bien-être animal s’est notamment imposé en quelques années comme une des attentes fortes de la société française. Traduction dans les grandes surfaces : les œufs de poules élevées en cage sont en train de disparaître. « Je n’ai jamais vu un changement aussi rapide », pointe la responsable du pôle Consommation du Crédoc. Non seulement les enseignes de grande distribution ne veulent plus de ces œufs pour leurs marques de distributeurs, mais elles s’engagent à les retirer de la totalité de leurs rayons, au plus tard d’ici 2025. De nombreuses marques, telles que Nestlé, Lesieur, Amora, Barilla, Lu, Saint-Michel, ont également annoncé leur intention de ne plus recourir aux œufs de poules en cage.

Cette démarche est emblématique des initiatives que doit prendre la grande distribution pour continuer de séduire les consommateurs. Système U a ainsi supprimé plus de 90 substances controversées, comme l’huile de palme ou le glyphosate, de la composition des 6 000 produits de sa marque distributeur. Carrefour s’est lui engagé à commercialiser des légumes issus de semences paysannes, produites par les producteurs eux-mêmes, mais interdites à la vente car non homologuées.

Autre exemple : pour les 15 millions de litres de lait vendus sous sa marque de distributeur, Monoprix va désormais s’approvisionner en lait équitable « C’est qui le patron ?! ». Lancée en 2016, cette marque propose de faire élaborer par les consommateurs le cahier des charges de ses produits, pour un prix de vente certes plus élevé mais permettant une meilleure qualité et des revenus plus dignes pour les producteurs. Ce concept est un succès dans les rayons des grandes surfaces, proposant non seulement du lait, mais se diversifiant vers la compote de pomme, le beurre, le steak haché, la pizza, etc.

Des produits plus « éthiques » voient le jour dans tous les secteurs de la consommation, jusque dans le luxe. Armani et Gucci ont par exemple fait disparaître la fourrure animale de leurs dernières collections. « Il existe désormais de nouveaux critères de développement durable et d’éthique dans la conception des produits de luxe qui nourrissent l’imaginaire du client, explique dans Le Parisien Natacha Chomet, responsable études chez Ipsos. Les clients ont envie d’acquérir un bel objet, certes, mais pas au détriment de la planète et des ouvriers qui l’ont confectionné. »

Encourager l’économie circulaire et le recyclage de ses produits

Qui a dit, en 2016, que les pays occidentaux arrivaient à « un pic de viande rouge, un pic de sucre et un pic d’objets » ? Steve Howard, le responsable du développement durable d’Ikea. Et d’ajouter : « Nous avons atteint un pic d’ameublement ». Pourtant, ce même responsable assure également, selon Slate, que son entreprise vise un doublement des ventes à l’horizon 2020. La solution pour Ikea ? Investir dans le développement durable, notamment pour s’approvisionner en énergie propre, et aussi miser sur le recyclage de ses produits. En France, dans le cadre de l’opération « Seconde vie des meubles », Ikea rachète en bons d’achat les meubles d’occasion de ses clients, et les revend dans les espaces « Bonne Trouvaille » de ses magasins.

Favoriser le réemploi de ses produits… L’idée n’est pas nouvelle chez Decathlon, qui a créé le Trocathlon… en 1986 ! Il s’agit d’une opération de dépôt-vente d’articles de sport expertisés par un conseiller Decathlon, le vendeur étant payé en bons d’achat si un acheteur se manifeste. Changement d’échelle en 2015 : le Trocathlon n’est plus uniquement un rendez-vous biannuel en magasin, c’est désormais aussi un service de petites annonces, disponible toute l’année sur le site web de Decathlon.

Le marché de l’occasion soutenu par des enseignes a le vent en poupe. En mars 2017, Petit Bateau a lancé sur son appli mobile un espace de petites annonces dédiées à la vente de ses vêtements de seconde main. Depuis la rentrée 2017, la marque Cyrillus, du groupe Verbaudet, propose un site équivalent.

Pour des raisons économiques tout autant qu’environnementales, les Français ne veulent plus jeter des objets dont ils ne se servent plus mais qui pourraient encore avoir une utilité. Monoprix a trouvé un autre moyen pour aider ses clients à lutter contre le gaspillage. L’enseigne a lancé cet été le service Shop & Give : lors d’une livraison de courses à domicile, le client peut remettre au livreur des produits non périmés (pâtes, riz, gâteaux, conserves...) ou des fruits et légumes qui seront redistribués à des associations caritatives. Il peut aussi lui confier piles et ampoules usagées qui seront recyclées.

Gagner des marchés dynamiques grâce à la croissance externe

Sans angélisme, quand leur marché historique s’essouffle, marques et distributeurs se redéploient vers des segments plus dynamiques. Ce qui se traduit le plus souvent par une montée en gamme. C’est le long travail qu’entreprend Lidl depuis 2012, visant un positionnement « premium ». Pour son directeur des achats, Michel Biero, cité dans La Croix, « clairement, notre benchmark aujourd’hui, c’est Monoprix ». Et la montée en gamme semble porter ses fruits, la part de marché de Lidl ayant tendance à progresser en France.

Mais pour se positionner rapidement sur un marché dynamique, rien ne vaut la croissance externe et l’acquisition d’entreprises au cœur des nouveaux modes de consommation. C’est une piste que met en œuvre le groupe Nestlé. Leader mondial du café grâce à Nespresso et Nescafé, le groupe vient néanmoins de racheter, aux États-Unis, deux « petites » marques de café, Chameleon Cold-Brew, spécialisée dans les cafés bio et de production durable, et Blue Bottle Coffee, à la fois torréfacteur et détaillant, que le journal Les Échos présente comme le « Starbucks des hipsters ». Ces deux marques surfent sur les nouvelles attentes des consommateurs, notamment des millennials, et apportent à Nestlé un vrai potentiel de croissance.

Pour répondre aux changements d’habitude des consommateurs, le géant de l’agroalimentaire multiplie les acquisitions. En septembre dernier, Nestlé a aussi racheté Sweet Earth, un fabricant d’aliments d’origine végétale, afin élargir sa gamme de produits végétariens, un secteur qui connaît une croissance à deux chiffres. Et peu avant, le groupe avait pris une participation dans Freshly, une société de livraison à domicile de plats sains, préparés frais, sans gluten, pauvres en glucides, etc. Ici aussi, un secteur en pleine expansion.

Autre exemple des vertus de la croissance externe pour les géants des PGC : le groupe Coca-Cola, dont les ventes sont à la peine sur le marché du soda qui ralentit, peut compter sur la vigueur des ventes d’Innocent. Rachetée il y a quelques années par Coca-Cola, la marque de smoothies britanniques entend devenir leader sur le marché convoité des jus de fruits réfrigérés.

Retrouver de la croissance avec le modèle « direct to consumer »

Et si, pour retrouver de la vigueur, les marques de grande consommation se mettaient à vendre en direct à leurs clients, en court-circuitant les réseaux de magasin traditionnels ? Les avantages sont nombreux : en optant pour le circuit « direct to consumer », les marques récupèrent la marge des distributeurs, ainsi que les données clients. Nike affiche par exemple l’ambition de réaliser d’ici 2020 un tiers de son chiffre d’affaires en vente directe. L’Oréal multiplie également ces derniers mois les initiatives pour vendre en direct, à la fois en ligne et en ouvrant ses propres boutiques pour ses marques Nyx, Urban Decay, L’Oréal Paris, Maybelline, etc.

Et nous ne devrions être qu’au début du phénomène. Au Royaume-Uni, trois géants des PGC, Unilever, Mars et Reckitt Benckiser, viennent d’annoncer qu’ils avaient signé un accord avec une toute nouvelle plateforme Internet de vente aux particuliers, qui sera opérationnelle en 2018. Très concrètement, ce site marchand permettra aux consommateurs de commander sans intermédiaire les produits des grandes marques de ces groupes, comme Axe, Ben & Jerry’s, Calgon, Dove, Harpic, Knorr, Lipton, Mars, etc. Comme nous l’indiquions début novembre, avec ce circuit « direct to consumer », les prix pourraient être de 30 % inférieurs à ceux des grandes surfaces traditionnelles. De quoi récupérer des ventes dans un contexte de consommation morose.

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