Jacques-Antoine Granjon : « Quand certains détruisent les marques, Veepee les valorise »

25/06/2025

Pionnier du e-commerce en France et leader européen de la vente événementielle avec Veepee, Jacques-Antoine Granjon revendique un modèle européen sur le service aux marques, la créativité et la souveraineté. Lauréat 2025 des Trophées du e-commerce*, il défend une vision artisanale et engagée d’un commerce en ligne repensé de l’intérieur, à rebours des géants mondiaux.

Le e-commerce fête ses 30 ans. Quel regard portez-vous sur ces trois décennies ?

Jacques-Antoine Granjon – En ce qui me concerne, ça a révolutionné ma vie et notre métier ! Nous étions un petit soldeur grossiste et grâce à Internet, nous sommes devenus un soldeur digital. Nous sommes entrés dans une autre dimension, avec un autre rapport aux marques, mais la nature profonde de notre métier n’a pas changé : écouler les stocks des marques avec discrétion. Grâce à de nouveaux outils qui ont permis une démultiplication infinie des échanges, le e-commerce a été le centre du monde ces dernières années, et c’est fascinant d’avoir vécu cette transformation. Mais dans le fond, il n’a fait qu’introduire du virtuel entre plusieurs réels, le commerçant, le client et le produit. Aujourd’hui, acheter en ligne est un réflexe tellement commun que c’est devenu une commodity, un service de base. 

 

Vous avez internalisé logistique, data, service client… Quel a été le déclencheur de ce virage stratégique ? En quoi change-t-il votre modèle économique ?

J.-A. G. – Quand nous avons fait muter notre modèle sur le digital, nous ne connaissions que notre métier de soldeur. La logistique, la data, le service client, ce n’était pas mon truc. J’ai donc confié toutes ces tâches à des gens dont je pensais que c’était le métier. Et puis je me suis aperçu qu’ils ne connaissaient pas plus ces nouveaux métiers que nous. Pourquoi les payer pour leurs erreurs ? Internaliser ces fonctions est donc apparu comme un choix de bon sens. Vingt-cinq ans après, ces métiers sont aussi devenus des vecteurs importants d’efficacité et de savoir-faire. Ça m’intéresse d’avoir notre propre logistique : j’aime visiter nos entrepôts, parce que le commerce, c’est le monde réel, avec des gens qui portent des colis, qui remplissent des camions, etc. Je préfère avoir la main sur tout ce que je fais, apprendre de nouveaux métiers, embaucher des gens qui vont acquérir des savoir-faire pour que cet agrégat de connaissances fasse grandir Veepee et ne pas les laisser entre les mains de prestataires. Et ça ne change rien à notre modèle économique.

 

Beaucoup d’acteurs parient aujourd’hui sur l’intelligence artificielle et l’hyperpersonnalisation : quelles innovations concrètes Veepee met-il en place pour garder une longueur d’avance ?

J.-A. G. – Nous traitons déjà de nombreuses de tâches avec l’IA, comme les bandeaux créatifs avec Midjourney. Mais le plus important, c’est ce que l’IA implique pour l’entreprise en termes de maîtrise de son savoir-faire sur le long terme. Si vous confiez tout à une IA étrangère, vous dépendez d’un savoir-faire acquis par l’IA et vous n’avez plus personne qui le maîtrise. Et si votre prestataire décide de bloquer cette IA, votre boîte est morte en cinq minutes ! Une solution extérieure d’IA touche donc à ce qui m’est le plus cher : notre liberté. Tout ce qui va la limiter ne nous convient pas. Nous sommes donc en train de rapatrier une partie de la data de Veepee qui était hébergée à l’étranger et nous l’utiliserons avec des outils en open source.

 

Face à des géants comme Amazon, Temu et Shein, comment un acteur européen peut-il défendre sa différence et sa souveraineté ?

J.-A. G. – Amazon est un distributeur qui a toujours dédaigné les marques et a bâti son succès contre elles. Temu et Shein sont dans une stratégie de destruction des marques locales par inondation du marché avec leurs produits. La démarche de Veepee n’a rien à voir : nous, on aime les marques et on est hyper créatif pour les mettre en valeur et proposer leurs invendus à des prix compétitifs. Nos visiteurs ne sont pas uniquement dans la consommation d’un produit, mais dans un véritable univers, comme dans l’onglet Wellness dédié au bien-être et au slow living, qu’on vient de lancer. Les stocks qui arrivent chez nous ne sont jamais les mêmes, et cela ouvre des horizons de personnalisation et de créativité. La création à Veepee s’exprime tous les jours, comme un journal qu’il faut actualiser 360 fois par an. C’est la force de Veepee :  sa créativité qui permet de faire du commerce dans un univers extrêmement léché. 

 

En repensant toute la chaîne de valeur, comment conciliez-vous performance économique et enjeux RSE ?

J.-A. G. – C’est un vrai sujet d’interrogation pour moi. Les 5 000 collaborateurs de Veepee, qui ont en moyenne 30-32 ans, sont très impliqués. On respecte les réglementations, on a adopté nos propres règles de responsabilité sociale et environnementale, comme ne plus vendre de fourrures ni de places de cirque par exemple. On peut choisir de livrer par les camions électriques de Colissimo. Mais on se heurte à une concurrence déloyale d’entreprises étrangères qui ne suivent pas les mêmes règles. Dans ces conditions, quel est l’intérêt de nouvelles normes pour les entreprises françaises ? Élevons franchement les droits de douane et vous verrez que l’envie de créer des marques françaises de qualité reviendra. 


* Dans les catégories « Ils ont lancé l’e-commerce en France » et « Ils ont lancé de nouveaux modèles » du Trophée e-commerce Colissimo-LSA.