Le nouveau paysage de l’achat d’espaces publicitaires

24/09/2015

De nouvelles stratégies émergent pour mieux cibler les consommateurs en fonction de leur profil et de leurs comportements d’achat. Un mot d’ordre : la performance. C’est l’avènement des achats programmatiques sur internet. Mais l’usage de la data gagne tous les médias pour toucher les acheteurs en affinité avec une marque. Voici 5 tendances qui redessinent l’achat d’espaces publicitaires.

1Le prix des espaces publicitaires baisse

Au début du mois de juillet, Thomas Cusseau, rédacteur en chef de Gamekult, un site consacré aux jeux vidéo et financé par la publicité, lançait un cri d’alarme : « Depuis trois ans, la pub sur internet s’est proprement effondrée. A cela, il y a plusieurs raisons. D’abord, les éditeurs [de jeux vidéo, les principaux annonceurs sur Gamekult] ont moins d’argent, et ensuite, ils préfèrent souvent mettre leur argent sur YouTube ou Facebook. A audience égale, c’est-à-dire sur un article lu par le même nombre de personnes, nous gagnons moins de la moitié de l’argent qu’il y a cinq ans. En fait, la seule publicité sur internet qui connaît une croissance, c’est le publirédactionnel, qu’il soit assumé ou dissimulé derrière un autre nom bizarre. »

La formulation est directe, mais elle donne la tendance de l’évolution des prix des espaces publicitaires. Ce mouvement à la baisse concerne l’ensemble des médias, pas simplement internet, et le phénomène est mondial. Les profits des chaînes de télé canadiennes ont ainsi diminué de plus de 20 % en 2014, comme vient de le dévoiler l’agence de presse La Presse canadienne.

Pourquoi cette tension sur les prix ? Le nombre d’espaces publicitaires se multiplie, alors que les dépenses des annonceurs sont en berne. Voici en résumé ce qu’explique Xavier Guillon, directeur général de France Pub, dans l’interview qu’il nous a accordée. Conséquence : « Globalement, quel que soit le média, le coût du contact unitaire baisse. »

Pour autant, cette baisse des prix n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les annonceurs. Car elle signe aussi la complexité croissante à toucher les consommateurs quand les médias se multiplient et les audiences se fragmentent.

2« L’achat d’espace bascule vers l’achat d’acheteurs »

« Les annonceurs ont moins d’argent à investir et ils essaient d’optimiser leurs achats », pointe, dans une interview au Figaro, Jean-Luc Chetrit, président de l’Union des Entreprises de Conseil et Achat Média (l’Udecam). « L’exposition média ne suffit plus, développe le magazine Marketing dans son récent dossier consacré à « La révolution des achats médias ». Les annonceurs exigent une audience "utile", c’est-à-dire qui consomme et achète effectivement leurs produits. » Michel Juvilliers, consultant expert en médiaplanning, confirme : « L’achat d’espace se transforme en achat d’audience qui, lui-même, bascule vers l’achat d’acheteurs. »

Pierre-Jean Bozo, directeur général de l’Union des Annonceurs (UDA), traduit, toujours pour le magazine Marketing, l’évolution en cours : « Les annonceurs déportent une part croissante de leurs investissements publicitaires sur le web, où ils trouvent à la fois plus de possibilités de conversion et d’engagement de leurs consommateurs. De fait, aujourd’hui, les annonceurs exigent de la performance. »

Sans surprise, internet représente ainsi aujourd’hui le quart du marché publicitaire français. Très exactement 25 % des investissements des annonceurs en 2014, selon l’Observatoire de l’e-pub du SRI (Syndicat des Régies Internet), derrière la télé (27 %) mais devant la presse (24 %). Et sur le web, où va l’argent ? Majoritairement au « search », c’est-à-dire au référencement payant dans les moteurs de recherche (58 % des investissements sur internet). Les annonceurs veulent du clic et du trafic pouvant générer des ventes.

De leur côté, les médias « traditionnels » adaptent leurs outils de mesure d’audience pour permettre de mieux cibler des acheteurs. En mars dernier, la régie de TF1 a par exemple lancé une nouvelle offre basée sur la data. Son objectif : permettre un ciblage selon un modèle comportemental. « Traditionnellement, nous proposions aux vendeurs de chocolat de viser la femme responsable des achats avec enfants, illustre Laurent-Éric Le Lay, responsable de TF1 Publicité. Mais celle-ci ne représente en réalité qu’une partie des achats de plaquettes de chocolat. Désormais, nous leur proposerons d’affiner leurs achats d’espace en ciblant directement les acheteurs de chocolat. » Pour y arriver, cette offre intitulée « One Data » croise les données médias de Médiamétrie avec les données de Kantar World Panel sur les comportements d’achat des consommateurs. Cela permet de déterminer ce qu’achète tel ou tel spectateur d’une émission.

3L’inexorable montée en puissance du programmatique

Programmatique. Le terme n’est pas très explicite, il cache pourtant une révolution en cours : il désigne l’achat automatique d’espaces publicitaires, en fonction de profils de consommateurs et selon un principe d’enchères. Tout a commencé dans les années 2000 avec le développement du Real-Time Bidding (RTB, ou enchère en temps réel). Au départ, il s’agissait pour les sites web de commercialiser leurs espaces publicitaires invendus : des emplacements comme des bannières de pub qui n’avaient pas trouvé preneur dans les schémas habituels de commercialisation, et qui se trouvaient mis en vente aux enchères jusqu’à trouver un acquéreur.

Ce n’était pas à l’origine des emplacements premium, mais progressivement, les espaces de publicité se sont enrichis de données concernant le profil des internautes. Grâce aux cookies, le visiteur dévoile en arrivant sur un site ses centres d’intérêt, sa localisation, parfois ses intentions d’achat, etc. Résultat : ce ne sont plus les invendus qui sont maintenant mis aux enchères, mais une audience qualifiée. C’est ce qui fonde l’achat programmatique.

Acheteurs et vendeurs de publicité entrent en relation via des « Ad exchanges », des plateformes automatisées qui mettent aux enchères en temps réel des profils d’internautes, selon un fonctionnement proche de la Bourse. Il faut noter que l’annonceur achète d’abord ici une audience, et non pas un contexte de diffusion : la publicité s’affichera en fonction du profil supposé de l’internaute, quel que soit le site qu’il consulte (même si des filtres permettent d’éviter de trop mauvaises associations).

En France, au premier semestre 2015, le programmatique a représenté 30 % des achats de bannières sur internet, en progression de 50 % sur un an, selon l’Observatoire de l’e-pub. Apportant aux annonceurs la performance qu’ils recherchent, le programmatique va poursuivre son ascension, gagnant l’ensemble des formats publicitaires digitaux, notamment sur mobile. Le principe d’achat d’espaces automatisé devrait aussi s’étendre aux autres médias (radio, télé, presse, etc.).

4Les bloqueurs de publicité gagnent du terrain

Le sujet des bloqueurs de publicité est loin d’être anecdotique. Selon une étude réalisée par Adobe et PageFair publiée cet été, près de 200 millions d’internautes dans le monde utilisent désormais un logiciel « ad blocker ». Cela représente en 2015 un manque à gagner de 22 milliards de dollars pour l’industrie publicitaire.

En France, Adblock Plus, le leader allemand des bloqueurs de pub, avaient déjà conquis 4,2 millions d’internautes fin 2014, se développant à la vitesse de 175 000 nouveaux utilisateurs par semaine, d’après le magazine Capital. De son côté, le Geste, le Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne, estime que l’audience exposée à la publicité baisse de 20 % à 40 % du fait des « ad blockers ». Et ils gagnent maintenant le mobile. Adblock Plus vient ainsi de lancer un navigateur destiné aux smartphones, téléchargeable gratuitement sur l’AppStore (iOS) et Google Play (Android). Le succès devrait être au rendez-vous, car surfer sans publicité a aussi pour conséquence de charger les pages web plus rapidement, économisant la batterie du téléphone.

Eyeo, la société qui développe Adblock Plus, a fait du blocage de pub un vrai business : elle propose aux éditeurs de sites web de figurer sur une liste blanche, s’ils respectent un cahier des charges pour des publicités « acceptables » (pas d’animation, pas de format qui dépasse la page). Et s’ils versent également une commission. Autrement dit, payer pour ne pas voir ses publicités bloquées…

Quelles parades face aux bloqueurs de pub ? Certains sites jouent la pédagogie auprès de leurs visiteurs. Le site féminin madmoiZelle affichait ainsi ce message à ses lectrices : « Chaque fois que vous vous baladez sur madmoiZelle avec Adblock activé, vous nous privez d’une partie des sous qui nous permettraient de créer de nouvelles rubriques. »

Il existe par ailleurs des solutions techniques permettant de contourner les « ad blockers » et d’afficher une publicité même quand l’internaute n’en veut pas. Mais cette surenchère ne semble pas une voie d’avenir. D’ailleurs, comme l’écrit Le Figaro dans une enquête sur le sujet : « Plusieurs éditeurs admettent des excès qui ont poussé leurs lecteurs vers les bloqueurs, notamment lorsque leurs vidéos sont précédées de longues publicités, ou lorsque les pavés de publicité s’entassent outre mesure. »

Au final, le développement des « ad blockers » pourrait accélérer l’instauration de nouvelles pratiques. « Les bloqueurs ne signent pas la mort du modèle mais vont conduire à une publicité mieux ciblée, mieux intégrée, où l’on passe d’une logique de volume à une logique de valeur », estime Arthur Millet, président du Syndicat des Régies Internet.

5De nouvelles approches pour engager le consommateur

Dans leur quête d’efficacité, les annonceurs activent et conjuguent un nombre toujours plus grand de leviers. Si l’achat d’espaces publicitaires (paid media) reste prédominant dans le mix-média, il cède du terrain face aux dépenses consacrées aux médias propriétaires (owned media) et aux réseaux sociaux (earned media). « Les investissements de communication internalisés (animations des réseaux sociaux, créations de contenus et d’événements, etc.) sont estimés à un peu moins de 2 milliards d’euros », chiffre le directeur général de France Pub, qui intègre désormais ces investissements dans son périmètre d’analyse des dépenses de communication des annonceurs.

Animation de communautés sur les réseaux sociaux, production de contenus, développement d’applis mobiles… Ces stratégies séduisent à la fois les annonceurs et leurs cibles. Moins intrusives, elles sont mieux acceptées par les consommateurs que les publicités traditionnelles. Autre intérêt pour l’annonceur : en créant ses propres médias et ses propres communautés de clients, il touche directement le consommateur, sans passer par les grands médias. Ce qui lui permet entre autres de récupérer de la donnée sur les attentes et les comportements de ses clients. Ces stratégies permettent également de générer de l’engagement. Comme le pointe Pierre-Jean Bozo de l’UDA, « vous ne pouvez pas avoir un bon ROI si vous n’obtenez pas d’engagement de la part de vos consommateurs. C’est la question clé des attributs de la marque, de ses valeurs, qui doivent s’incarner dans une expérience de la marque. »

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Infopresse : le déclin des ventes publicitaires des télédiffuseurs continue 
e-marketing.fr : Les mutations du médiaplanning 
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Le Figaro : Le Web mobile à l’épreuve des bloqueurs de pub 
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