« La quête de sens va prendre le pas sur le marketing expérientiel et hédonique »

19/12/2019

Pour Géraldine Michel, professeur à l’IAE Paris-Sorbonne et directrice de la chaire « Marques & Valeurs », bien-être et enrichissement personnel guident désormais les choix des consommateurs. Pour y répondre, les marques doivent prendre position et défendre des causes sincères et authentiques.

Géraldine Michel

Quel est pour vous le principal défi qui attend les marques dans les années à venir ?

Géraldine Michel : La quête de sens. Le défi pour les marques est aujourd’hui de porter des valeurs et de les incarner, afin de répondre à une quête de sens. Aujourd’hui, nous ne sommes plus uniquement consommateurs, nous avons la double facette : consommateur et citoyen. Bien évidemment, le produit et le service doivent rester la priorité. Les clients attendent toujours des marques qu’elles soient utiles, avec une offre de qualité, mais elles doivent désormais aussi être porteuses de valeurs pour apporter du sens dans la consommation. Les consommateurs vont de moins en moins acheter une paire de baskets juste pour leur design ou leur confort. Toutes les catégories de personnes sont touchées par cette quête de sens, ce besoin de cohérence, indépendamment de l’âge et du milieu social. Le sens peut recouvrir plusieurs thématiques, comme l’environnement mais pas uniquement.

Jusqu’à aujourd’hui, le marketing était très expérientiel, très hédonique. Se faire du bien, penser à soi, être dans le présent… Cette vision assez individualiste, visant à rechercher le bonheur pour soi-même, est remise en cause. Les gens ne veulent plus uniquement se faire du bien, ils ont besoin de trouver une clarté dans l’univers dans lequel ils vivent. Tout le monde ne devient pas, bien sûr, altruiste mais un nouveau système d’identification se met en place. On se sent plus utile si on achète des marques qui donnent la preuve qu’elles participent à l’amélioration de la société, dans quelque domaine que ce soit. 

Quel exemple pouvez-vous donner de ce mouvement chez les marques ?

Il y a un an, Nike a décidé de prendre comme égérie Colin Kaepernick, le joueur de football américain qui s’est agenouillé durant l’hymne national pour protester contre le racisme et les violences policières que subissent les Noirs aux États-Unis. Il a été très critiqué, notamment par Donald Trump, et il a été licencié pour son acte. Avec ce choix, un an et demi après l’événement, la marque Nike montre qu’elle prend position. Sa nouvelle égérie ne fait pas l’unanimité, loin de là. Mais en termes de consommation, la marque va attirer des gens qui seront beaucoup plus engagés envers la marque que des clients qui ne chercheraient que des bonnes chaussures pour le sport. La marque acquiert une loyauté et une reconnaissance de la part de consommateurs qui adhèrent à ce combat. C’est ça, les marques de demain : une prise de risque sur une cause claire. C’est la capacité de désobéir à ce faux-semblant que l’on a toujours demandé aux marques : rester à leur place.

Originellement, les marques sont là pour identifier et différencier un produit. C’est leur raison d’être première. Mais ce n’est plus suffisant. Les marques doivent prendre position. Elles doivent prendre la parole. Alors, forcément, c’est clivant, c’est polarisant. Mais cela répond aussi à la fonction d’identification sociale d’une marque : je consomme qui je suis, et je suis qui je consomme. Les individus ont besoin des marques pour construire et exprimer leur identité. On voit bien l’importance des marques pour les adolescents dans leur construction identitaire.

Les marques ne sont-elles pas confrontées à la défiance des consommateurs qui doutent de leur sincérité ?

Les consommateurs n’en peuvent plus en effet de certaines grandes marques qui s’associent à des ONG pour leur communication mais qui ne font pas évoluer leurs produits ! Les gens veulent des preuves tangibles du combat et des valeurs des marques. Et ces preuves doivent se retrouver sur le produit ou le service. Le consommateur-citoyen n’apprécie pas le « green washing » ni le « woke washing », le fait de faire semblant d’être engagé dans des causes sociétales.

Nous allons d’ailleurs peut-être vers la fin des « méga marques » dénuées de sens, au profit de marques de niche, qui se créent notamment sur Instagram et qui s’adressent à une communauté. Les consommateurs adhèrent à ces nouvelles marques car ils voient vivre et évoluer le créateur ou la créatrice, ils en connaissent le combat et les valeurs, ils peuvent participer et co-construire dans une démarche transparente. Ces petites marques émergent et trouvent leur public. En revanche, les marques qui n’ont pas compris l’évolution de la société et des besoins, au sens large, des individus me semblent, elles, menacées.

Cette quête de sens, cette consommation plus réfléchie, ne marque-t-elle pas la fin du plaisir de consommer ?

C’est surtout la fin du plaisir du shopping instantané, de la consommation compulsive. Le plaisir s’exprime différemment. C’est la fierté d’acheter une marque dont on partage les valeurs ou de garder un blouson pendant plus de 3 ans. Et de là vient le bien-être. On passe du plaisir expérientiel post-moderniste à un plaisir basé sur l’enrichissement personnel.

Une marque comme Patagonia communique avec des affiches qui affirment « N’achetez pas ce blouson ». Sa philosophie tient en 5 R : Reduce, Repair, Reuse, Recycle and Reimagine. Cette vision trouve aujourd’hui un fort écho chez les consommateurs qui comprennent qu’il vaut mieux consommer sur le long terme.

Aujourd’hui, les recherches en marketing évoluent énormément. Avant, les variables que l’on cherchait à expliquer, c’était l’intention d’achat, la fidélité du consommateur, l’attachement à la marque… Désormais, les variables que l’on cherche à comprendre, c’est le « well-being », le bien-être de l’individu. En recherche marketing, notamment dans la chaire « Marques & Valeurs », on s’intéresse ainsi à la façon dont un type de consommation, un type de marque, va améliorer le bien-être de l’individu sur le long terme. Les entreprises prennent conscience de leur responsabilité dans le bien-être durable du consommateur.

Dans vos travaux de recherche, vous vous intéressez aussi au rôle de la marque pour l’interne…

Une marque ne peut pas penser à diffuser ses combats, ses valeurs, auprès des consommateurs citoyens sans le faire en interne auprès de ses salariés. D’autant que les collaborateurs, notamment ceux de la nouvelle génération, ont eux aussi besoin de sens dans leur travail. Faire progresser la société, aider des communautés… Naturellement, le bien vivre dans l’entreprise, la rémunération, le management, etc., restent des éléments clés pour les collaborateurs, mais la marque s’inscrit comme le symbole des valeurs revendiquées par l’entreprise. La préoccupation d’entreprises comme L’Oréal ou Veolia est d’attirer et de conserver les talents dans leur organisation. Le salaire ne suffit pas à faire la différence et elles misent sur la création de sens.

Géraldine Michel est auteur de l’ouvrage « Au cœur de la marque » (2017), 3e édition Dunod.

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