Cartes de fidélité, stop ou encore ?
07/06/2018Decathlon vient d’annoncer la fin de son programme de fidélité. Cette décision iconoclaste traduit l’effervescence qui règne dans l’univers de la fidélisation. À l’heure de l’hyper-choix, quelle carte jouer pour accroître l’attachement des clients ? Éléments de réponse avec Picard, H&M, Etam, La Redoute, Casino, Unibail-Rodamco…
1Decathlon arrête son programme de fidélité au profit de prix bas permanents
La décision de Decathlon en mars dernier a surpris le monde de la fidélisation tant elle va à l’encontre des pratiques habituelles : l’enseigne a choisi de mettre fin à son programme de fidélité. La raison invoquée ? Ce programme générait de la frustration chez ses membres car il ne permettait pas de bien récompenser leur attachement à la marque. Decathlon l’illustre en citant le tweet d’un de ses clients : « Je suis client depuis des années avec la carte de fidélité et ça donne seulement 6 € de bon d’achat ! Il y a de quoi être déçu. »
Que propose l’enseigne en échange de l’arrêt de son programme ? « Nous nous engageons à vous proposer encore plus de prix bas tous les jours !, écrit Decathlon à ses clients. En 2017, nous avons déjà baissé le prix de plus de 1 200 produits. Plutôt qu’un chèque de réduction de temps en temps, vous bénéficiez à chaque visite de ces baisses de prix sur nos produits. »
En arrêtant son programme de fidélité, l’enseigne veut donc renouer avec sa vocation originelle de démocratiser les pratiques sportives. Signe de cet état d’esprit, François de Witte, directeur France de Decathlon, confiait en février dernier au magazine LSA qu’ils n’utilisaient plus en interne le terme « clients » mais celui de « sportifs ».
Cette même logique avait déjà conduit Decathlon à renoncer aux soldes : pour le directeur général, « nous ne voulons pas brader nos produits que nous proposons déjà toute l’année aux meilleurs prix, cela n’aurait pas de sens ».
2Picard et H&M viennent au contraire de créer leur première carte de fidélité
L’arrêt du programme de fidélité de Decathlon va-t-il faire boule de neige ? Pas sûr. Car à l’inverse, des marques qui n’avaient pas de programme de fidélité ont récemment franchi le Rubicon. Fin 2016, H&M a lancé « H&M Club » et, fin 2017, c’était au tour de Picard de créer sa première carte. Ces deux programmes reposent essentiellement sur des réductions accordées à leurs membres, selon des mécanismes assez classiques.
Marques et distributeurs connaissent bien les inconvénients des politiques de fidélisation basées sur des logiques promotionnelles : ces programmes ne génèrent pas véritablement de fidélité, mais créent des comportements de consommation opportunistes. Ils boostent le chiffre d’affaires tant que durent les promotions, mais sans instituer de préférence durable.
Mais les enseignes connaissent bien aussi les avantages de tels programmes, permettant en premier lieu de collecter des données sur les comportements d’achat de leurs clients. Ils répondent aussi à une attente des consommateurs en quête de bonnes affaires. Chaque foyer français possède ainsi désormais en moyenne près de 7 cartes de fidélité, contre 4,7 cartes en 2010, selon une enquête de L’Échangeur by BNP Paribas Personal Finance.
3Etam propose des expériences originales à ses clientes fidèles
Pour les marques, une des difficultés est d’émerger parmi la panoplie de cartes que possèdent les consommateurs. Il y a quelques années, une étude de L’Observatoire de la fidélité a montré que 52 % des consommateurs interrogés n’utilisaient pas toutes les cartes qu’ils détenaient.
En lançant en avril 2018 son nouveau programme gratuit, Etam a décidé de miser sur un mécanisme différent pour récompenser la fidélité. De façon classique, les clientes cumulent des points à chaque achat, qu’elles peuvent échanger contre des réductions, mais aussi – et c’est nouveau – contre des expériences. « Nous ne pouvons pas sortir totalement de l’aspect promotionnel d’un programme de fidélité. Cependant, dans l’univers ultra-concurrentiel du prêt-à-porter, nous devons nous démarquer en offrant à nos clientes fidèles des expériences différentes, plus relationnelles, afin de générer du trafic supplémentaire en boutique », explique au Journal du Net Inès Golliaud de Champroux, responsable CRM chez Etam.
Avec leurs points, les clientes peuvent par exemple s’offrir des séances de personal shopping avec une styliste indépendante, s’abonner pour recevoir pendant 3 mois des bouquets de fleurs avec la box Monsieur Marguerite, participer à un atelier de customisation pour personnaliser un ensemble de lingerie, etc. Les clientes peuvent aussi choisir de faire don de leurs points à l’ONG Gynécologie Sans Frontières.
Autre possibilité : donner tout ou partie de ses points à une autre cliente (une amie, une personne de la famille…). C’est la dimension communautaire de ce programme. Dans le même esprit, il propose également un système de « marrainage ». « La marraine cumule les points de sa filleule pendant 12 mois », détaille dans e-marketing.fr la responsable CRM d’Etam.
L’enjeu de la fidélisation est d’importance pour l’enseigne. « 70 % de notre chiffre d’affaires se réalise déjà via nos clientes encartées. Elles présentent en moyenne un panier moyen supérieur de 15 euros par rapport à une cliente normale », indique Inès Golliaud de Champroux. D’où l’intérêt de renforcer les liens avec ces clientes, et aussi d’en augmenter le nombre, au-delà des 2,5 millions de clientes déjà encartées avec l’ancien programme.
4La Redoute et moi, un nouveau programme payant avec une optique « lifestyle »
Proposer aux clients de payer pour rejoindre un programme de fidélité et profiter de ses avantages et de ses services… Amazon démontre que cette idée fonctionne. Le géant du e-commerce vient de revendiquer plus de 100 millions d’abonnés payants dans le monde à son programme Prime. Cette pratique fait des émules : selon une enquête réalisée par le CSA pour la Fevad, 34 % des cyberconsommateurs sont désormais abonnés à un service de livraison (Amazon, Cdiscount, Fnac…).
La Redoute s’inscrit dans cette tendance avec son nouveau programme de fidélité payant « La Redoute & Moi », lancé en janvier 2018. Contre un abonnement de 15 € par an, les adhérents bénéficient d’une remise systématique de 10 % sur la mode, pour tous les articles hors marketplace. Ils profitent aussi de la livraison gratuite et illimitée sur la mode et la maison (hors marketplace également).
À terme, l’ambition de « La Redoute & Moi » est de positionner l’enseigne comme « la plateforme lifestyle préférée des familles ». D’autres services sont ainsi à venir, dans une approche plus relationnelle.
« Au-delà des avantages commerciaux, ce sont des privilèges et des attentions que nous allons inclure dans ce programme. Nous avons plein d’idées ! Lancement des nouvelles collections, ouverture de nouveaux magasins, nouveaux services personnalisés... À chaque opportunité, nos fidèles clients seront conviés de manière privilégiée », explique à Ecommercemag.fr Amélie Poisson, directrice marketing client et marque.
5Avec son appli, Casino arrive vraiment à cibler ses promos
Fin 2017, Casino a lancé une application permettant de numériser la carte de fidélité et, surtout, tout le volet promotionnel du programme. Les clients qui choisissent de délaisser la carte plastique au profit de l’appli « Casino Max » reçoivent ainsi chaque semaine sur leur smartphone plus d’une vingtaine de promotions exclusives et personnalisées sur des produits de grandes marques.
Comment fonctionne ce système en coulisses ? « Casino met à la disposition des industriels différents critères de tri au sein de sa base clients. Chaque marque peut ainsi choisir le profil de consommateurs qui va bénéficier de la promo », explique le magazine Linéaires.
« Ces promotions, de façon générale, sont plus généreuses pour les clients ‘à acquérir’ que pour les clients ‘à retenir’ », pointe l’article de Linéaires. C’est un des grands intérêts de la dématérialisation et de la collecte de données, permettant de cibler les offres de façon utile pour les marques, au lieu de proposer des réductions à des clients déjà acquis, qui auraient acheter le produit même sans remise.
6Chez Unibail-Rodamco, la carte bancaire se transforme en carte de fidélité
À Levallois-Perret, le centre commercial So Ouest du groupe Unibail-Rodamco va encore plus loin dans la dématérialisation du programme de fidélité. Depuis l’an dernier, il expérimente la solution de la startup Transaction Connect qui permet de « transformer n’importe quelle carte bancaire en carte de fidélité ».
Le client intéressé doit d’abord créer un compte sur l’application ou le site de la galerie marchande, et y rattacher sa carte de paiement habituelle, ce qui permettra de le reconnaître à chaque passage en caisse. « À partir de 100 euros d’achats dans une boutique adhérente au programme, il reçoit une récompense (signalée par un SMS sur son téléphone portable) : 5 euros crédités sur son compte bancaire. Et pour 40 euros, c’est son parking (2 heures) qui est offert », explique L’Obs dans son édition du 3 mai 2018. Il y a aussi eu des offres comme 5 euros offerts pour 20 euros d’achats à Uniqlo ou –20 % au McDonald’s.
Pour So Ouest, ce système est une mine d’or, lui permettant de tout savoir des comportements de ses clients (à quelle fréquence ils achètent, quel type de produits, à quel moment…). « Ces données nous permettent de comprendre quelles sont les grandes tendances de consommation du centre. Cela peut nous servir pour proposer des offres croisées entre deux enseignes, par exemple », commente dans le magazine We demain Ghadi Hobeika, directeur marketing chez Unibail-Rodamco.
Un tel dispositif pose naturellement des questions de protection de la vie privée et des données personnelles. Transaction Connect et Unibail-Rodamco y répondent en assurant que le système est des plus sécurisés, et l’utilisation des données totalement transparente. « J’ai accès à l’ensemble de vos transactions, mais je ne les exploite que dans le cadre de votre programme de fidélité », insiste Didier Gast, le PDG de la startup.
En tout cas, 1 500 clients de So Ouest ont accepté de tester ce système. Avec des résultats qui semblent satisfaisants puisque Transaction Connect et Unibail-Rodamco vont élargir l’expérimentation à 3 autres centres commerciaux de la région parisienne : le Forum des Halles, Vélizy et Aéroville. Ce nouveau programme prend le nom de « Bilby, votre shopping coach », avec toujours la même technologie, mais un système de récompenses moins généreux, afin de mesurer dans des conditions plus proches de la réalité l’accueil des consommateurs.
7À l’avenir, des cartes de fidélité dans le téléphone
Et demain ? Les différentes cartes de fidélité pourraient se trouver rattachées au smartphone, d’autant plus que le téléphone devrait également devenir un moyen de paiement. Vous doutez que le paiement par mobile se généralise à l’avenir ? Regardez la vidéo ci-dessus, filmée à Shangaï, en Chine, par l’expert de la grande conso Olivier Dauvers. Sur 50 clients d’une supérette Carrefour Easy, 50 paient avec leur mobile !
Apple, Google ou encore Samsung sont sur les rangs pour proposer des solutions alliant smartphone, carte de paiement et carte de fidélité. Mais c’est déjà ce qu’a réussi à mettre en place Starbucks avec son appli : en 2017, aux États-Unis, près de 21 millions de clients l’ont utilisée pour payer et collecter des points de fidélité en un seul geste, selon une étude publiée fin mai 2018.
Sentant le danger, plusieurs banques et enseignes françaises se sont alliées pour proposer une solution de portefeuille électronique : Lyf Pay, mis au point par BNP Paribas, Carrefour, Crédit Mutuel, Auchan, Mastercard, Oney et Total. Ce système est totalement opérationnel, et déjà accepté par environ 10 000 points de vente en France, notamment chez Auchan et Casino (bientôt Carrefour également), permettant de payer, de cumuler des points et de profiter des avantages de la carte de fidélité. Une dématérialisation sur le mobile qui devrait garantir de beaux jours aux programmes de fidélisation.
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Fnac Darty booste les avantages de ses cartes de fidélité
Fnac Darty enrichit ses programmes de fidélité. « C’est un enjeu majeur dans la bataille qui l’oppose aux autres distributeurs, et à Amazon en particulier, dont l’abonnement Prime est un redoutable instrument de conquête de clients exclusifs et fidèles », commente Le Figaro. Pour continuer de séduire les détenteurs de cartes de fidélité de la Fnac et de Darty, le groupe propose ainsi depuis le 3 janvier des promotions à valoir auprès de 55 enseignes. Baptisée « Pass Partenaires », l’offre permet de profiter de remises allant jusqu’à 35 % chez des partenaires dans des secteurs très variés, comme Fly, Booking, Intersport, Galeries Lafayette, UberEats, Sarenza, Nature et Découvertes, etc. D’autres enseignes devraient rejoindre le dispositif dans les prochains mois.