« Vivre plus longtemps doit être une chance pour tous »

14/06/2024

En 2030, un Français sur trois aura plus de 60 ans et pour la première fois de notre histoire, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans. Fadila Khattabi, ministre déléguée auprès de la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées, revient sur les enjeux majeurs associés à cette évolution démographique et détaille les réponses apportées par la loi « Bien vieillir », adoptée le 27 mars 2024.

[Interview extraite du Mag Longévité]

Quels sont les principaux enjeux liés à l’évolution démographique actuelle ?

Fadila Khattabi – Avec le vieillissement de la génération des baby-boomers, notre pays connaît un choc démographique sans précédent qui nous conduit vers une société où les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans. D’ici 2050, 4 millions de nos compatriotes seront en perte d’autonomie. Nous devons nous préparer à ce changement profond et adapter notre société. Je pense en particulier à l’accessibilité et au virage domiciliaire, qui favorise le maintien à domicile de nos aînés. Au-delà de ces enjeux se pose la question des rapports que nous entretenons collectivement avec nos aînés, qui reflètent bien l’état d’une société. Vivre plus longtemps doit être une chance pour tous. C’est pourquoi nous devons bâtir une société du « bien vieillir » fondée sur la solidarité entre les générations et le respect des droits et des aspirations de nos aînés.

 

Quelles sont les principales avancées récentes en matière de « bien vieillir » ?

F. K. – Une loi importante a été adoptée au Parlement fin mars, qui est justement baptisée « Bien vieillir ». Elle comporte des avancées qui auront des effets très concrets pour améliorer le quotidien des personnes âgées, mais aussi celui de celles et ceux qui en prennent soin. Fin mars également, j’ai eu l’occasion de présenter notre stratégie nationale de lutte contre les maltraitances. Cette stratégie met en place des outils nouveaux, qui s’adressent à nos aînés, aux personnes handicapées et à l’ensemble des professionnels concernés, qu’ils travaillent en établissement ou à domicile. Quant au plan de contrôle systématique des Ehpad, lancé en 2022, il se poursuit et s’intensifie. Comme je l’ai annoncé, mon objectif est que 100 % des 7 500 établissements du pays aient été contrôlés d’ici à la fin de l’année. Nous sommes en bonne voie pour y parvenir.

 

En quoi consiste le « virage domiciliaire » amorcé ces dernières années ? Quels en sont les premiers résultats ?

F. K. – Il part d’un constat et d’une aspiration simple de nos concitoyens : 90 % des Français souhaitent vieillir chez eux. C’est précisément le sens des politiques publiques du virage domiciliaire que nous engageons. Chacun doit pouvoir vieillir et, surtout, bien vieillir, à la maison. C’est une priorité du gouvernement, à laquelle participe d’ailleurs le groupe La Poste. Grâce au « service senior », 5 millions de repas ont été livrés à domicile en 2023 par les factrices et les facteurs, et d’ici la fin de l’année, l’objectif est de doubler ce chiffre pour atteindre 10 millions de repas livrés. Concernant les pouvoirs publics, nous intensifions également notre mobilisation avec Ma Prime Adapt’. Cette aide lancée en janvier dernier permet à tous nos concitoyens de plus de 60 ans en perte d’autonomie de rendre leur logement accessible. Par exemple en l’équipant d’une rampe, d’un monte-escalier, en adaptant sa salle de bains, etc. L’État finance jusqu’à 70 % d’un montant de travaux plafonné à 22 000 euros. Cela représente un montant global de 1,5 milliard d’euros d’ici à 2027. Voilà un exemple concret de virage domiciliaire porté par le gouvernement, que nous sommes les premiers à favoriser, je tiens à le rappeler.

 

Quels sont les grands axes de la proposition de loi faisant suite aux évolutions apportées par les députés et les sénateurs ?

F. K. – Je me réjouis que les députés et les sénateurs aient su travailler ensemble pour se mettre d’accord et adopter une loi équilibrée, et attendue à la fois par nos aînés, les personnes en situation de handicap, leurs familles et les professionnels du médicosocial. Impossible d’être exhaustive ici, mais on peut citer par exemple la consécration du droit de visite en Ehpad ou en établissement médico-social, pour que l’on ne puisse plus, par principe, refuser à une personne âgée ou handicapée de recevoir un proche. Je voudrais aussi mentionner la place que nous donnons aux animaux de compagnie dans les maisons de retraite. Quitter son domicile, c’est toujours une rupture, et si l’on ajoute à cela l’abandon d’un chien ou d’un chat, c’est la double peine. Cette nouvelle loi permet aussi de renforcer notre politique d’habitat inclusif, ou encore de lutte contre les maltraitances, avec de nouvelles mesures telles que le contrôle des antécédents judiciaires de tous les personnels, professionnels ou bénévoles, qui interviennent auprès de nos concitoyens les plus vulnérables. Enfin, d’autres mesures concernent l’amélioration des conditions de travail des aides à domicile : par exemple, la création d’une carte professionnelle de stationnement ou une aide financière pour mieux prendre en charge leurs déplacements.

 

Comment renforcer suffisamment l’attractivité des métiers du soin pour répondre à des besoins qui explosent ?

F. K. – Notre système est mis à l’épreuve depuis plusieurs années. En parallèle de l’évolution démographique, on observe un déficit d’attractivité des professions du soin et du social, une perte de sens des professionnels, une fuite vers d’autres métiers et une crise des vocations. Ces enjeux majeurs nécessitent des évolutions structurelles. Il y a bien sûr les enjeux de rémunération. Ils sont incontournables et le gouvernement a répondu présent à travers le Ségur de la santé et les accords « Laforcade »* ; mais aussi en appliquant la hausse du point d’indice pour les fonctionnaires aux personnels soignants. Sans compter les mesures spécifiques à chaque profession, comme celles que je viens de mentionner pour les aides à domicile. Cela étant dit, la rémunération, ça ne fait pas tout ! Nos jeunes professionnels n’entendent plus exercer leur métier comme autrefois et c’est tout à fait légitime. Nous devons comprendre ces nouvelles aspirations et y répondre. Il est bien normal de rechercher un meilleur équilibre entre sa carrière et sa vie personnelle. Je n’oublie pas non plus la question de la pénibilité qui concerne certains métiers du médico-social. C’est pourquoi j’accorde une attention toute particulière à la formation initiale et continue, à la qualité de vie au travail, à la santé des professionnels, y compris leur santé mentale. Ce sont autant de facteurs déterminants pour l’attractivité des métiers et donc la pérennité de notre système de protection sociale.

Quels rôles peuvent jouer les entreprises ?

F. K. – Améliorer le quotidien de nos aînés, construire la société du « bien vieillir » et faire respecter leurs droits : c’est l’affaire de tous ! Les entreprises et les groupes privés ont bien entendu un rôle à jouer. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à s’engager et à proposer des solutions novatrices. C’est ce que fait par exemple le groupe La Poste, qui, en partant du constat simple que les facteurs sont depuis toujours des professionnels qui se rendent aux domiciles, a su mettre en place une gamme de services concrets, s’inscrivant dans la routine des personnes et permettant de faciliter leur quotidien.

 

 

 

 

Comment assurer un déploiement équitable des solutions proposées sur l’ensemble du territoire ?

F. K. – Là encore, il s’agit d’assurer une mobilisation générale de tous les acteurs et, surtout, d’améliorer leur coordination. C’est absolument essentiel que toutes les structures travaillent ensemble pour aboutir à un maillage efficace du territoire et à une lisibilité de tous les dispositifs. C’est pourquoi nous renforçons les moyens alloués au médico-social dans les départements, via les agences régionales de santé. Nous créons par ailleurs certains outils adaptés aux réalités du terrain. Par exemple, dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre les maltraitances, une cellule centralisée pour traiter les signalements relatifs aux personnes en situation de vulnérabilité et victimes de maltraitance est mise en place dans chaque département. Cela permet qu’aucune situation ne reste sans réponse, que l’alerte vienne d’un proche, d’un professionnel ou d’un intervenant en établissement. Sur ce dossier qui touche à la dignité humaine, nous sommes extrêmement vigilants. Je souhaite que cette mobilisation soit identique pour améliorer durablement le quotidien des personnes âgées dans notre pays.

 

Bio de Fadila Khattabi

Ministre déléguée auprès de la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées depuis janvier 2024, Fadila Khattabi était précédemment ministre déléguée chargée des Personnes handicapées auprès de la ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé. Conseillère régionale de Bourgogne de 2004 à 2015, vice-présidente du conseil régional entre 2010 et 2015, élue députée de la troisième circonscription de la Côte-d’Or en 2017, elle a présidé la commission des Affaires sociales entre 2020 et 2023.

* À la suite du Ségur de la santé, ces accords étendent la revalorisation salariale aux professionnels soignants du secteur social et médico-social du champ non lucratif et à ceux qui exercent dans certains établissements et services sociaux et médico-sociaux publics.

 

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