Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou • L’expérience passée au crible du neuromarketing
24/08/2021L’expérience est sans cesse soumise aux variations émotionnelles du client. Anne-Sophie Tourtoulou, professeur associée à HEC-Paris et spécialiste des neurosciences appliquées aux consommateurs revient sur l’importance du ressenti qui construit nos rapports avec les marques, de plus en plus tentées de s’immiscer dans les mécanismes de notre cerveau pour observer nos comportements d’achat.
Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou
Professeur associé de marketing à HEC Paris et co-autrice de Le Neuro-consommateur, Eyrolles
Quelle définition donneriez-vous de l’expérience client ?
Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou : L’expérience est l’ensemble des interactions qu’un client peut avoir avec une marque. Elle accentue toutes les traces émotionnelles et sensorielles qui construisent le sentiment général du con-sommateur à l’égard de la marque. Par rapport à une analyse traditionnelle, les neurosciences apportent une vision moins fonctionnelle. Les approches rationnelles restent très utiles mais les neurosciences ont rappelé l’importance des émotions dans notre vie, y compris dans les liens que l’on tisse avec les marques.
Quel a été l’impact des neurosciences sur la façon dont les entreprises s’adressent aux consommateurs ?
Je m’appuie régulièrement sur les travaux d’Antonio Damasio, célèbre professeur en neurologie, qui a montré que les émotions étaient essentielles au processus de prise de décision. En effet, il a montré à travers les différentes expériences menées avec ses patients, que nous sommes de véritables machines à ressentir, avant de penser de manière théorique et rationnelle. Ceci aide à définir des expériences client de plus en plus mémorables parce que de plus en plus denses émotionnellement. C’est ainsi que s’est également développé le marketing sensoriel. Aujourd’hui, l’expérience surpasse le produit en lui-même.
Comment les neuro-sciences servent l’expérience physique et virtuelle ?
Désormais, et d’autant plus avec la crise sanitaire, les magasins doivent justifier leur existence par des dispositifs inédits qui sont réalisés grâce à l’exploitation des données neuroscientifiques par le marketing sensoriel. À titre d’exemple, Nature & Découvertes est une marque précurseuse dans ce domaine. En rendant l’instant en boutique incomparable avec un achat utilitaire en ligne, elle permet de solliciter les sens du cerveau et de faire appel à des automatismes dont il est particulièrement gourmand. Se reposer sur les sens et les émotions est source de bien-être pour notre esprit, très attentif à ce qui peut lui faire du bien ou du mal. En cela, l’expérience sensorielle en magasin se révèle bénéfique pour le cerveau et c’est pour cette raison qu’elle ne doit pas être déceptive. Sur le web, l’enjeu est de rendre les sites d’entreprises neuro-compatibles. L’expérience en ligne a pour objectif d’être la plus fluide possible afin de mettre le cerveau en pilotage automatique, moins consommateur d’énergie.
Quelles sont les limites de cette volonté d’économies d’efforts pour notre cerveau ?
Une des sources d'économie d’efforts pour le cerveau réside dans les nudges, ces intentions, le plus souvent bienveillantes, qui modifient et influencent nos mécanismes de pensée. Ils consistent à changer inconsciemment mais efficacement les comportements, s’apparentant à de la manipulation. L’influence fait partie des rapports humains mais attention à l’exploitation malveillante de nos prises de décisions irrationnelles. Pour éviter cette dérive, il est important de sensibiliser aux risques et une fois de plus, l’éducation semble être la clé pour y remédier. De plus en plus de voix s’élèvent pour préserver l’intégrité du cerveau humain. Au Chili, une loi vient d’être votée sur les neurotechnologies afin que les tentatives de manipulation ou de prise de contrôle du cerveau soient neutralisées pour éviter au maximum les intrusions technologiques qui nous feraient perdre notre libre-arbitre.
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