Les bonnes pratiques tirées des études miroir clients-collaborateurs

21/04/2022

Dans l’interview qu’il nous a accordée, Laurent Garnier, cofondateur de KPAM, cabinet spécialisé dans la réalisation d’études miroir collaborateurs-clients, nous plonge dans la réalité des relations entre marques et consommateurs. Il décrit des situations « win-win », mais aussi parfois un ras-le-bol face au diktat des clients.

Laurent Garnier

Si l’on regarde les champions de l’expérience client, ont-ils des points communs en termes d’expérience collaborateur ?

Laurent Garnier : Sans aucun doute. Les meilleurs sur l’expérience client sont ceux qui ont intégré depuis longtemps la dimension de l’expérience collaborateur. Nos études nous montrent que le meilleur levier pour améliorer l’expérience client, c’est, de loin, d’améliorer l’expérience collaborateur. Déjà, de les écouter, de comprendre ce qu’ils vivent, les situations de blocage ou d’impuissance dans lesquelles ils peuvent être, de comprendre aussi ce qu’ils aiment faire.

Nos approches miroir clients-collaborateurs permettent de faire émerger ce qui « cartonne » des deux côtés : les interactions win-win qui créent de l’enchantement côté client et qui créent un engagement fort côté collaborateur. Des missions que les collaborateurs adorent faire, qu’ils sont même fiers de faire, et qui ont un impact positif sur les clients.

À l’opposé, le plus terrible, ce sont les situations où les clients ont face à eux des collaborateurs qui n’ont pas de solutions. Ce sont des situations où les collaborateurs sont en pleine impasse. Ils n’ont pas d’autre choix que de faire le dos rond face à des clients qui souvent s’énervent. Avec des conséquences dans le temps. Sans solution à proposer, les collaborateurs commencent à prendre de la distance vis-à-vis des clients, et donc à devenir moins bons dans leur travail. 

Quelles sont concrètement ces situations win-win ?

Je vais vous en donner deux exemples. Le premier dans une enseigne de bricolage il y a quelques années. Dans nos études, nous nous apercevons que 2,3 % des clients qui ont terminé la rénovation de leur salle à manger ou de leur salle de bains reviennent en magasin avec une photo de la pièce qu’ils ont rénovée pour la montrer avec fierté au vendeur qui les a accompagnés pendant les travaux. 2,3 % des clients le faisaient… et 35 % des vendeurs en parlaient. L’enseigne comprend qu’il y a quelque chose à en tirer. Doubler le nombre de clients revenant avec une photo aurait un effet démultiplicateur chez les vendeurs. Mais comment les encourager à le faire et à triompher d’une forme de timidité ? L’enseigne avait alors créé un mur des réalisations à l’entrée de ses magasins, où les clients pouvaient épingler leur photo. Cette idée a depuis été reprise sur Internet et les réseaux sociaux.

L’autre exemple de situation win-win ?

Cela se passe à la SNCF. Pour les contrôleurs dans le TGV, la relation client se limitait la plupart du temps à entrer dans une voiture et à dire bonjour en annonçant la vérification des titres de transport. Cela se déroulait dans la plus grande indifférence côté clients qui regardaient à peine le contrôleur. Et cela n’apportait aucune satisfaction côté contrôleurs, qui souriaient mais n’obtenaient rien en retour. Nous avons alors cherché des moments à haute valeur ajoutée, qui font qu’un voyage en TGV ne ressemble pas à un autre. Sur les 2 000 contrôleurs que nous interrogeons, une dizaine, soit 0,5 %, avait une pratique différente et toute simple : quand ils entrent dans une voiture, ils regardent s’il y a un enfant d’une dizaine d’années, et si oui, ils lui proposent, avec l’accord des parents, de faire le contrôle des billets ensemble. Le contrôleur met alors sa casquette sur la tête du petit garçon ou de la petite fille et ils font à deux le contrôle. Cela change totalement l’atmosphère. Tout le monde vit une expérience plaisante et agréable. Cette façon de faire les contrôles a depuis été intégrée dans la formation des collaborateurs. Ils n’ont pas d’obligation à la mettre en œuvre. Mais c’est un outil à leur disposition quand ils en ont envie, quand ils sentent la situation.

La relation est bien sûr au cœur de ces situations win-win…

Récemment, je me suis plongé dans les moments où il y avait le plus d’intensité dans les quelque 800 parcours client que nous avons analysés. Quels sont les moments où les clients expriment le plus d’émotions positives ? Le résultat est éloquent : 95 % des moments d’enchantement sont des moments relationnels. Et ils laissent une trace chez les clients, ils s’en souviennent. À l’inverse, les expériences digitales ont moins d’impact. Elles sont très « processées », très optimisées, mais elles sont aussi souvent sans relief et très peu relationnelles. Les expériences digitales impriment très peu la trace mémorielle des clients. Spontanément, ils en parlent rarement.

Vous défendez aussi le concept de « singularité » de l’expérience client. De quoi s’agit-il ?

Je vais aussi vous en donner deux exemples. Il y a quelques années, nous avons travaillé pour une entreprise dans le secteur automobile. Une mission plus spécifiquement sur l’accueil en concession. À l’époque, les meilleures concessions avaient mis en place le process suivant : quand un client venait récupérer sa voiture neuve, il se voyait offrir une bouteille de champagne et un bouquet de fleurs. Cela marchait très bien. Mais cette démarche devenait de moins en moins efficace. En creusant le sujet, nous avons réalisé que les clients avaient compris l’envers du décor. Ils voyaient que le commercial à leur arrivée allait chercher une bouteille au réfrigérateur puis, plus loin, un bouquet de fleurs, et venait leur offrir. Cela leur faisait plaisir bien sûr, mais tout le monde recevait la même chose. Il n’y avait pas d’investissement. La standardisation du cadeau lui faisait perdre son impact.

Les concessions ont donc revu leur approche. Elles ont demandé au commercial, lors de la vente d’une voiture, de s’intéresser au client pour identifier un de ses centres d’intérêt, et ensuite trouver un cadeau qui lui ferait plaisir. Quand un client était fan de la montagne, il pouvait ainsi recevoir un livre sur ce thème, une invitation à un salon sur la montagne, etc. Avec cette expérience personnalisée et singulière, l’impact est devenu bien plus fort. Le client avait vraiment le sentiment d’avoir été écouté.

La difficulté est de réussir à décliner ce type de démarche à grande échelle…

Exactement. La singularité de l’expérience trouve son intérêt quand elle peut s’industrialiser. C’est mon deuxième exemple, venu d’un assureur mutualiste. Dans les contrats auto, une clause prévoit la prise en charge du véhicule s’il tombe en panne à plus de 50 km du domicile. Mais cela crée parfois de vives tensions quand des clients appellent le service client et qu’ils sont juste en dessous de ce périmètre. « Vous me dites que je suis à 47 km de mon domicile, mais comment le calculez-vous ? C’est à vol d’oiseau ? »

La solution trouvée par l’assureur : il a décidé de laisser cette clause de 50 km dans les contrats mais, dans les faits, il accepte de prendre en charge tous les clients à partir de 40 km. Le conseiller explique au client qui appelle et qui se trouve en panne à 42 km qu’il va faire une exception et prendre sur lui d’envoyer une dépanneuse. Il apporte une solution et il devient en quelque sorte le héros de la relation. Les clients sont naturellement ravis et très reconnaissants. C’est la singularité de l’expérience qui s’industrialise. 

Quelle tendance voyez-vous émerger dans vos dernières études ?

La voix du client commence parfois à être vécue comme un diktat par les collaborateurs. Les entreprises se sont dotées d’outils et de méthodologies très fines pour écouter les clients. Mais les collaborateurs se lassent d’entendre « le client dit ceci », « le client veut cela », etc.

Je sors d’une étude où les collaborateurs avaient le sentiment d’être en seconde division face à des clients rois. Pour moi, c’est un phénomène nouveau. Je le pressens depuis quelques années, mais c’est la première fois où je le vois autant formalisé. Ne nous trompons pas : le poids donné aux attentes du client n’est pas une mauvaise chose en soi. Ce qui est problématique, c’est de ne pas écouter les contraintes des collaborateurs, leurs situations d’impuissance, leurs envies aussi.  

Y a-t-il eu des changements liés à la crise sanitaire ?

Il y a une montée indéniable des exigences des clients, qui dégénèrent parfois en incivilités. Il règne une forme de nervosité ambiante, d’anxiété… Les gens sont fatigués. Dans une étude Ipsos de décembre dernier, « fatigue » est le mot le plus employé par les Français pour décrire leur état de santé. Les collaborateurs peuvent aussi être exsangues de leur côté. Tout le monde est plus nerveux et moins patient. Nous voyons dans nos études que la relation peut très vite « monter dans les tours ».

Il faut bien sûr accompagner les collaborateurs victimes d’incivilités et être solidaire en interne de ceux qui se font réprimander ou insulter par les clients. Un exemple : quand dans une banque, un jeune conseiller annonce un refus de prêt ou de découvert, cela peut être une bonne pratique pour des collaborateurs plus seniors de laisser leur porte ouverte, afin d’intervenir et de calmer le jeu si la discussion s’envenime.

Mais un travail doit aussi être mené en amont pour dégoupiller ces situations. Comme les clients sont énervés, les entreprises doivent être encore plus vigilantes pour ne pas en faire des cocottes-minute. Elles doivent se demander si elles ne sont pas non plus irréprochables.

Les entreprises contribueraient aussi à créer des tensions dans la relation ?

Nous travaillons pour une chaîne de cinémas. Les collaborateurs nous disent que le moment le plus difficile pour eux, c’est quand ils doivent à la fin d’un film monter en salle et expliquer aux clients que la sortie se fait directement dans la rue. Or il y a systématiquement plusieurs clients qui veulent passer par les toilettes avant de sortir. La direction le refuse pour éviter que certains en profitent et aillent voir un autre film dans une autre salle. Mais à chaque fois, le ton monte avec au moins un client qui fait valoir qu’il peut bien aller aux toilettes après avoir versé 50 euros au cinéma. C’est l’exemple type d’une situation conflictuelle créée de nulle part. Quand nous avons présenté notre étude au Codir, la décision a été prise de mettre fin à cette pratique. Il y a eu une prise de conscience qu’à défaut de pouvoir installer des toilettes à la sortie des salles, il valait mieux laisser un fraudeur parfois se faufiler plutôt que de gâcher l’expérience des clients, et celle des collaborateurs.

Les entreprises doivent se demander si elles ont bien balayé devant leur porte. Dans une boutique d’un opérateur télécom, j’ai vu une affichette sur le thème « Attention, si vous ne vous comportez pas de façon correcte, nous gardons toute liberté d’appeler la police ». Le client est prévenu qu’il entre dans une zone de conflit où les disputes sont fréquentes. Cela attise en fait les tensions.

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