La réputation, une matière vivante à l’heure de l’IA
06/11/2025La réputation d’une organisation se joue désormais dans toutes les dimensions de l’espace informationnel : réseaux, médias, controverses environnementales et sociales… Dans cet environnement où l’IA générative massifie la production et la propagation des messages, les directions de la communication doivent adapter leurs stratégies d’influence. Anne-Sophie de Faucigny, directrice de la communication de Getlink, expose sa vision pour bâtir une réputation différenciante.
La réputation des entreprises se joue désormais à la seconde, sur des terrains numériques multiples… Comment protéger et renforcer la valeur d’une marque dans cet environnement mouvant ?
Anne-Sophie de Faucigny – D’abord, il faut rappeler que les organisations ont toujours eu des enjeux distincts, liés à des audiences distinctes. Depuis vingt-cinq ans, la segmentation des canaux et leur étanchéité ont été remises en cause de façon progressive, avec l’apparition du digital et des médias en continu au tournant des années 2000, puis l’avènement des individus influenceurs et des réseaux sociaux dans la décennie suivante, et depuis 2022, avec l’IA générative. Cette triple évolution et accélération fait qu’aujourd’hui une seule requête d’IA synthétisera en quelques secondes l’essentiel des contenus émis par une entreprise, par ses concurrents, par le marché et les parties prenantes, quand auparavant les formulations (B2B, B2C) et les canaux de communication étaient distincts. Cette nouvelle porosité et sa démultiplication sont frappantes avec l’IA générative. Aussi, plutôt que de vouloir « protéger » une marque, je vois dans cette bascule des opportunités pour nous, communicants. Un profil d’entreprise ne se résume plus à une seule facette par audience. Il faut assumer de travailler en simultané et en parallèle toutes les facettes de la stratégie : financière, industrielle, commerciale, institutionnelle, influence, RSE.
L’IA bouleversant les pratiques de communication, quelles approches permettent de concilier recul et longueur d’avance ?
A.-S. de F. – Les IA génératives et l’écoute des réseaux sociaux sont des aiguillons de réflexion et d’améliorations pour nos services de communication. Le « recul » peut prendre la forme de tâches programmées et automatisées, telles que les revues de presse, les analyses de marché, les comparatifs, la détection de tendances ou de risques. La « longueur d’avance » peut s’obtenir par des propositions de stratégies de communication et de plans d’action. Voire par des scénarios d’anticipation, sur la façon d’améliorer la réputation et la marque. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser à l’ère du « tout instantané », une réputation d’entreprise ne peut se déliter entièrement et soudainement au travers de fausses informations ou d’hallucinations propagées par IA génératives. Celles-ci entraînent leurs modèles de langage (LLM) à travers le Web et des sources ouvertes. Concernant une entreprise, une IA textuelle fondera sa réponse à parts égales entre les retombées médiatiques sur celles-ci, ses contenus et les avis de ses clients. Toute organisation doit donc disposer de « contenus socles », de sources claires et conséquentes pour être reprises de façon consistante par les LLM, les réseaux sociaux, les médias et les forums du type Reddit. Cela est d’autant plus vrai pour des sociétés cotées en Bourse comme la nôtre, car tout ce que nous émettons est scruté par le marché. Une organisation qui n’occuperait pas le terrain de la communication et de la réputation s’exposerait à des risques intempestifs. La moindre crise saturerait l’espace numérique de façon négative à son encontre, si elle n’a pas semé depuis longtemps et relayé de façon puissante des éléments de confiance, de réassurance, des preuves par l’exemple, qui sont autant de contre-feux réputationnels.
Justement, comment faire de la réputation un levier de performance économique et un vecteur de confiance ?
A.-S. de F. – La réputation se construit dans chacune des actions d’une organisation. L’IA et l’écoute des réseaux sociaux permettent d’évaluer de façon récurrente la réputation d’une entreprise et de ses dirigeants. Ces outils renforcent le rôle de la communication comme partenaire des métiers. Ils permettent aussi de déceler et de proposer des opportunités aux dirigeants, qu’il s’agisse d’évolutions sociales ou de marché, de changements de l’environnement (partenaires, concurrents), de signaux faibles… Notre entreprise, par exemple, a fait évoluer sa marque et son positionnement en 2023. Au-delà d’être l’opérateur d’une infrastructure unique au monde, le tunnel sous la Manche, nous voulions mieux faire connaître nos activités de transport de passagers, de marchandises, d’électricité, et affirmer que notre modèle d’affaires et notre croissance économique étaient directement corrélés à la décarbonation. Dans ce cadre, nous avons fondé une chaire avec l’École d’économie de Toulouse (TSE) puis créé un nouvel indicateur financier, l’indice de marge décarbonée, qui anticipe l’application progressive à l’échelle de l’Europe du principe de pollueur-payeur. Avec ce partenaire académique, nous organisons aussi, deux fois par an, des Rencontres du climat, où sont notamment intervenus l’économiste et directeur de la TSE Christian Gollier et le prix Nobel d’économie Philippe Aghion. L’ensemble de ces actions incarne et conforte notre positionnement comme notre réputation. C’est, je pense, le rôle d’une direction de la communication : non plus seulement concevoir et diffuser des messages, mais créer des initiatives qui soutiennent directement l’activité de l’entreprise.
Crédit photo : ©Adobe Stock
Bio de Anne-Sophie de Faucigny, directrice de la communication de Getlink
Diplômée de Sciences Po Toulouse et du Celsa, Anne-Sophie de Faucigny commence sa carrière en 1997 en tant que consultante puis directrice conseil en agences de communication en Espagne, puis en France (TMP, Publicis Consultants). Elle pilote la communication managériale d’un projet de transformation sociale à la Macif, avant de devenir en 2010 responsable de la communication du groupe majoritaire au Conseil régional d’Île-de-France. Après avoir été conseillère communication en cabinets ministériels à Bercy puis à l’Éducation nationale, elle dirige les Affaires institutionnelles et les médias de Bpifrance. Depuis 2022, elle est membre du comité exécutif et directrice de la communication du Groupe Getlink
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