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Comment l’intelligence artificielle redessine les parcours d’achat

15/12/2022

2022 a vu le déploiement de nouvelles solutions d’intelligence artificielle tout au long du parcours d’achat des consommateurs. Bientôt, plus d’une entreprise sur deux en France y aura recours. Voici un décryptage en trois thématiques des bouleversements en cours : l’IA pour prédire les tendances et produire au plus juste, pour enrichir l’expérience d’achat en ligne, et enfin pour fluidifier l’expérience en magasin.

1L’IA pour prédire les tendances et produire au plus juste

L’intelligence artificielle trouve chaque jour de nouvelles applications. Jusqu’au XV de France de rugby qui utilise désormais l’analyse prédictive pour préparer ses compétitions. À partir d’une base de données de près de 1 500 matchs, alimentée par les trackers GPS dont sont équipés les maillots de l’équipe de France, des « sport scientists » s’emploient à anticiper les actions de la rencontre à venir : nombre de touches, de mêlées, de rucks, etc. « L’analytique avancée et l’IA devraient prendre une part importante dans la préparation des Tricolores pour la Coupe du Monde 2023 en France », pronostique LeMagIT.

Arriver à prédire les événements… L’exercice intéresse au plus haut point les entreprises. La startup Heuritech s’est ainsi spécialisée dans la prévision de tendances grâce à l’intelligence artificielle. Parmi ses clients : Vuitton, Dior, Adidas, New Balance… « Nous aidons les marques de luxe, de mode et de sport à prendre de meilleures décisions grâce à la data. Nous les aidons notamment sur la question des invendus pour leur permettre de produire au plus juste, explique le cofondateur d’Heuritech, Tony Pinville, dans l’interview qu’il nous a accordée. Chaque année dans le monde, le quart environ de la production de vêtements ne trouve pas d’acheteurs. Pour les marques, cela pose un problème économique, et encore plus environnemental. Elles veulent arriver à ne fabriquer que les vêtements qui seront effectivement vendus. »

Pour leur permettre d’atteindre cet objectif, les algorithmes d’intelligence artificielle développés par Heuritech interviennent à deux niveaux. Tout d’abord, ils scrutent sur les réseaux sociaux les vêtements qui apparaissent sur les photos. « Chaque jour, nous analysons de 3 à 5 millions d’images, sur lesquelles nous identifions dans le détail les vêtements portés », indique Tony Pinville. À partir de cette masse d’informations, d’autres algorithmes entrent en jeu pour prévoir les tendances qui seront en vogue dans plusieurs mois. Ils s’appuient notamment sur le profil des internautes qui ont posté les photos : « early adopter », influenceur ou Monsieur et Madame Toutlemonde. « Le pouvoir de l’intelligence artificielle est de faire émerger des combinaisons de critères qui vont influencer la tendance », ajoute Tony Pinville. Et la formule fonctionne : « Chez certaines marques, la moitié des produits mis en fabrication utilise les informations que nous leur donnons », livre le cofondateur de la startup.

Shein colle aux attentes de ses clients grâce aux algorithmes

Shein, le géant chinois de l’ultra fast fashion, a placé la prévision de tendances grâce à l’intelligence artificielle au cœur de son modèle économique. Chaque jour, la plateforme ajoute 500 nouveaux produits à son catalogue. Leur conception ne doit rien au hasard : pour identifier les modèles qui intéresseront ses clients, les algorithmes de Shein observent le comportement de ses cibles sur Internet et les réseaux sociaux : quelles sont leurs recherches en matière de mode ? Les vêtements qu’elles likent, qu’elles commentent, etc. ? Une fois un modèle identifié, les stylistes de Shein s’en inspirent, avec des délais de production qui dépassent rarement 10 jours. Quand le vêtement est mis en vente sur la plateforme, un autre algorithme d’intelligence artificielle entre en scène pour évaluer, en temps réel, son potentiel en fonction du comportement des internautes. La production pourra alors s’intensifier, ou bien l’article sera retiré de la plateforme. (Pour aller plus loin, notre article : Comment la marque chinoise Shein est devenue le premier site d’achat de vêtements des 15-24 ans en France).

Fullsoon prévoit la fréquentation des restaurants et les commandes des clients

Pour éviter le gaspillage, le secteur de l’alimentaire se montre lui aussi très friand des prédictions de l’intelligence artificielle. En 2022 s’est par exemple lancée la startup Fullsoon, qui s’attache à prédire à la fois la fréquentation des restaurants et les commandes des clients. Elle a été créée par un ex-salarié d’Accor, Hassan-Ali Chaudhary, avec le soutien de son ancien employeur. Le duo Fullsoon-Accor a d’ailleurs reçu un prix décerné par l’incubateur Le Village by CA, pour la meilleure collaboration startup/grand groupe.

Pour établir ses prévisions, Fullsoon s’appuie sur les données historiques du restaurant et sur les données externes qui impactent la fréquentation, comme la météo, les manifestations, les événements sportifs ou culturels, décrit le journal Les Échos. « Sur la quinzaine de restaurants qui ont testé notre plateforme, notre précision atteint 94 % sur le nombre de clients et 85 % sur les plats commandés », assure Hassan-Ali Chaudhary. Les établissements peuvent ainsi mieux anticiper les approvisionnements, éviter les pertes et améliorer la gestion du personnel, en particulier des extras. « En moyenne, le restaurateur gagne 6 points de marge, 800 euros par mois sur le gaspillage alimentaire et économise 20 heures sur la gestion et l’organisation », poursuit le fondateur de la startup. Son objectif est maintenant d’arriver à déployer rapidement sa solution dans 200 restaurants.

Chez Elior, l’intelligence artificielle est un outil clé contre le gaspillage alimentaire

Un groupe comme Elior, un des leaders mondiaux de la restauration collective, s’intéresse naturellement de près aux prévisions que permet l’intelligence artificielle. « Elle est un des outils clés dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, assure dans une interview à Neo Restauration Aurélie Stewart, Directrice RSE d’Elior Group. La notion de prévisionnel, encore plus depuis la période post-Covid où la fréquentation connaît des montages russes, est essentielle. » Le groupe a développé sa propre solution de prévision et l’a intégrée dans l’outil de gestion quotidien (ERP) utilisé par les gérants de ses restaurants. « Cette démarche permet de rendre intelligente de la data que nous possédions et d’interpréter les données au plus près des besoins avec une incidence directe sur le compte de résultat pour le gérant du restaurant », souligne Aurélie Stewart. L’outil a déjà été déployé dans 350 restaurants d’entreprise en France et le sera bientôt dans la restauration scolaire.

2L’IA pour enrichir l’expérience d’achat en ligne

80 % des clients des sites e-commerce du groupe LVMH interagissent désormais avec des services d’IA. Ce chiffre impressionnant traduit bien le poids pris par l’intelligence artificielle dans l’expérience client en ligne. « [Les services d’IA] prodiguent aux clients des recommandations de look, de style, de produits ou de services en fonction de leurs comportements et de leurs préférences, explique dans Le Journal du Net Anca Marola, Group Chief Data Officer de LVMH (Sephora, Louis Vuitton, Dior, Fendi, Céline, Bulgari, etc.). Dans l’e-commerce, notre objectif est de tendre vers une expérience de relation personnalisée au plus proche de celle des boutiques. »

Enrichir l’expérience en personnalisant les recommandations. C’est aussi ce que propose, dans un tout autre domaine, la startup Miam. Elle a développé une solution d’intelligence artificielle qui propose des idées de repas qu’un internaute est susceptible d’apprécier. « Notre algorithme analyse les habitudes d’achat et la navigation de l’internaute, explique dans l’interview qu’il nous a accordée son cofondateur, César Tonnoir. C’est la même logique que l’algorithme de Spotify qui me recommande des morceaux de musique en fonction ce que j’aime écouter. » Et pour vraiment simplifier l’expérience d’achat, Miam convertit les ingrédients de la recette choisie en produits qui sont automatiquement ajoutés au panier, prenant en compte les bonnes quantités et les marques qu’apprécie le consommateur.

L’expérience devient vraiment très fluide, et ce n’est sûrement encore qu’un début. « La vision de Miam est de réussir à créer un algorithme qui connaît tellement bien ses clients qu’ils n’auront même plus besoin d’aller faire leurs courses eux-mêmes, projette César Tonnoir. Ils pourront s’abonner à un service et recevoir des produits qui leur plairont. La corvée des courses sera totalement oubliée. L’algorithme leur proposera de nouvelles idées, mais en cohérence avec ce qu’ils ont l’habitude de préparer. »

La nouvelle application d’Ikea permet d’effacer les meubles de son intérieur

Autre application de l’IA pour enrichir l’expérience client en ligne : l’essayage virtuel. Ikea vient par exemple de perfectionner son application permettant de visualiser en réalité augmentée un meuble dans un intérieur. Avec ce nouvel outil baptisé Ikea Kreativ, pour l’instant uniquement disponible aux États-Unis, l’utilisateur peut repenser toute une pièce. Il scanne avec son téléphone son salon ou sa chambre afin de créer automatiquement un double en 3D. Il peut alors effacer les meubles qui s’y trouvent, et les remplacer par des produits d’Ikea. L’enseigne veut rendre l’expérience de shopping en ligne si immersive que les clients n’auront plus besoin de se rendre en magasin pour choisir des meubles.

L’essor des cabines d’essayage virtuel

Le secteur de la mode est particulièrement intéressé par les nouvelles possibilités d’essayage de vêtements en ligne. Visualiser le rendu d’un vêtement avant de l’acheter permet non seulement de déclencher une vente, mais aussi d’éviter des retours, très coûteux économiquement et écologiquement. « Près de 30 % des articles commandés en ligne sont retournés, en particulier les vêtements, car les clients trouvent qu’ils ne leur vont pas ou ne leur conviennent pas comme ils l’espéraient », indique Ecommercemag.fr.

Walmart propose aux États-Unis depuis le mois de septembre un service en ligne baptisé « Be Your Own Model » (Soyez votre propre mannequin). Il invite les clients à se prendre en photo en sous-vêtements pour essayer ensuite des vêtements sur leur double virtuel. Cette application d’intelligence artificielle très sophistiquée simule le rendu du vêtement en fonction de la taille choisie et de la morphologie du client, en créant des effets d’ombre et de plis de tissus. 270 000 articles de mode féminine peuvent être ainsi essayés.

La Redoute vient également de déployer un système d’essayage virtuel, « Mix&Match », en collaboration avec la startup Veesual. Ici, les clientes ne se prennent pas en photo, mais choisissent parmi 8 mannequins celle qui correspond le mieux à leur morphologie. Elles peuvent alors sélectionner n’importe quel vêtement du catalogue, qui viendra se superposer sur la silhouette pour un look sur mesure, respectant les formes et les textures. Lors du choix d’un chemisier, il est même possible de visualiser l’effet s’il est rentré dans un pantalon ou porté en dehors. Selon Veesual, citée par La Revue du Digital, « les shoppers ont déjà composé plus de 300 000 tenues sur la Mix&Match Experience de La Redoute, qui répond à deux attentes des clientes : plus de diversité dans les mannequins et plus de looks pour en trouver un qui les inspire ».

3L’IA pour fluidifier l’expérience client en magasin

En matière d’expérience client, l’IA est souvent associée à la relation en ligne. Mais elle est aussi de plus en plus présente en magasin. « Une majorité des 45 000 conseillers orientés vente et beauté de LVMH bénéficie, via leur application de clienteling, de recommandations de produits pour chaque client, pointe Le Journal du Net. Une dizaine de maisons utilisent cet assistant intelligent en boutique, parmi lesquelles Sephora, Louis Vuitton, Christian Dior Couture, Fendi, Céline ou encore Bulgari. » De même, les miroirs intelligents font peu à peu leur apparition, permettant par exemple de visualiser le rendu d’un rouge à lèvres sans avoir à l’appliquer. 

Des caméras intelligentes pour réduire l’attente en caisse

Les applications de l’IA en magasin ne manquent pas. Casino l’utilise aujourd’hui en association avec les caméras vidéo pour réduire le temps d’attente sur ses caisses. Une solution d’analyse d’images développée par la startup Belive.ai. « Des caméras orientées vers les caisses analysent le nombre de clients, et un autre dispositif se concentre sur les clients entrant dans le magasin, décrit La Revue du Digital. Lanalyse d’images identifie si les clients poussent un chariot, portent un panier de courses ou sont mains nues. On en déduit la probabilité de l’arrivée en caisse, un quart d’heure ou une demi-heure plus tard. »

À partir de ces prévisions, le magasin peut ouvrir des caisses de manière proactive. Testé dans une dizaine d’hypermarchés, ce dispositif a permis des améliorations mesurables. « Le temps d’attente est divisé par deux, et nous pouvons désormais prédire de manière précise les affluences à venir selon les flux analysés à l’entrée des magasins. C’est une belle illustration des avantages apportés par l’intelligence artificielle en magasin » souligne Cédric Osternaud, Directeur général exécutif Marketing, E-commerce et Innovation Enseignes Casino. Le déploiement de ce dispositif devrait se poursuivre. D’autant que l’enseigne utilise déjà une solution de Belive.ai pour détecter grâce à des caméras intelligentes les ruptures de stocks en magasin. Avec des résultats sans appel : les ruptures de stocks ont diminué de 50 à 60 %.

Des chariots connectés pour gagner du temps

Autre usage qui pourrait se généraliser en magasin grâce à l’intelligence artificielle : le chariot connecté. La startup Knap vient de lever 3 millions d’euros pour produire 400 de ces chariots qui seront déployés en 2023. Le client se connecte au chariot avec sa carte de fidélité ou son numéro de mobile et scanne ses courses en les déposant dans le chariot. L’IA intervient via un système de caméras et de capteurs pour prévenir toute fraude. Impossible de remplacer une bouteille de vin par une autre plus chère. À la sortie, le client n’a plus besoin de déposer ses articles à la caisse, il règle ses achats avec sa carte bancaire de façon autonome. « En plus de l’amélioration de l’expérience client, qui passe en moyenne le sixième du temps de ses courses à faire la queue pour payer, nos logiciels fournissent quantité d’informations sur les habitudes de consommation », fait valoir le Directeur général de Knap, Dylan Letierce.

Pour l’instant, d’après une étude d’IBM, un peu plus de 20 % des entreprises en France ont déjà déployé une technologie liée à l’IA, et plus de 35 % s’y préparent. Intervenant lors d’une masterclass sur les enjeux de l’utilisation de la data, David Sebaoun, Leader data & technology pour IBM, l’affirme : « Nous sommes face à une vague majeure de l’IA qui touchera l’ensemble des processus, dans nos vies professionnelles comme personnelles. Il faut donc s’y préparer ».

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