L’art des partenariats à l’ère des GAFA
21/02/2019Digitalisation des parcours d’achat, déconsommation, data. Voici 3 D qui expliquent l’essor actuel des partenariats entre marques. Face à ces nouveaux défis, les alliances permettent de prendre rapidement des positions déterminantes en minimisant risques et investissements. Le mouvement touche toutes les entreprises, des GAFA au commerce du coin de la rue.
#DIGITALISATION. La numérisation des parcours client a radicalement changé la donne, cassant les schémas établis. Désormais, même s’ils ont le projet d’acheter en magasin, la plupart des consommateurs commencent leur parcours d’achat sur Internet. D’après une étude menée sur quatre pays (États-Unis, France, Royaume-Uni et Allemagne), plus de 50 % d’entre eux entameraient même systématiquement leurs recherches sur Amazon...
Difficile dans ce contexte d’avancer seul pour émerger et s’insérer dans les nouveaux parcours client. La question n’est d’ailleurs plus celle de l’alliance, mais du partenaire : GAFA ou pas ? Monoprix a choisi les deux ! L’enseigne a à la fois noué un partenariat avec Amazon et avec Ocado, le spécialiste britannique de l’automatisation dans le e-commerce alimentaire, avec qui Monoprix ouvre en ce début d’année 2019 un entrepôt de préparation ultra-moderne.
« Dans l’alimentaire il y a deux types de courses, pointe Régis Schultz, président de Monoprix, cité par BFM : les grosses courses de la semaine, et puis les achats d’impulsion et de dernière minute. Ils répondent à deux logiques radicalement différentes. Pour les courses importantes, nous allons faire progresser rapidement notre chaîne logistique avec Ocado, mais pour l’achat express, la logistique Amazon est imbattable. Ils nous offrent la possibilité d’en profiter, et d’apprendre, ça ne se refuse pas. »
Le partenariat avec Amazon a notamment permis à Monoprix d’avancer très vite sans investissement logistique : les commandes sont passées via l’appli Amazon Prime Now et les préparations se font en magasin. La vitesse était un facteur clé face aux mouvements de la concurrence, notamment l’arrivée de Leclerc dans la capitale. Pari gagné jusque-là pour Monoprix : lors du démarrage en septembre dernier, les volumes de commandes étaient trois fois supérieurs aux prévisions.
Google va former des collaborateurs de Carrefour
Carrefour a, lui, choisi de se tourner vers Google, avec qui il a signé un partenariat en juin 2018 (ci-dessus, Sébastien Missoffe, vice-président, directeur général de Google France, à gauche, et Alexandre Bompard, PDG de Carrefour). Parmi les volets de l’accord, l’arrivée du distributeur sur les trois canaux de vente du géant du numérique : l’enseigne connectée Google Home, l’assistant Google sur les smartphones, et la plateforme de commerce en ligne Google Shopping qui sera dotée en France d’une nouvelle interface pour gérer les listes de courses, détaille Le Monde.
Avec cette association, Carrefour veut éviter d’être tenu à l’écart de l’essor du commerce commandé par la voix, estimé à 40 milliards de dollars en 2022, selon les consultants en stratégie OC&C. Cet accord va aussi permettre à Carrefour « d’accéder à de nouveaux clients, plus jeunes », explique Marie Cheval, directrice de la transformation digitale du groupe.
Mais ce partenariat ne porte pas uniquement sur la distribution. Il prévoit aussi une aide de Google à la transformation numérique de Carrefour : formation par Google d’un millier de salariés du distributeur pour les accompagner dans le digital, adoption par Carrefour des outils bureautiques de Google et ouverture d’un Hub digital commun à Paris, comme le relate le site LSA.
La signature de partenariats devient un axe stratégique de développement pour Carrefour. Le groupe a aussi signé en 2018 un accord avec le premier distributeur britannique Tesco pour mutualiser une partie de leurs achats, et un autre avec le géant chinois Tencent.
Avec LaFourchette, il est possible de réserver un restaurant sur Instagram
Parmi les secteurs où les partenariats foisonnent, la restauration. Avec un acteur pivot des nouveaux parcours d’achat, LaFourchette, qui permet de réserver en ligne une table au restaurant. Ce site, qui prend une commission de 2 euros par couvert, est devenu incontournable pour la plupart des établissements. En moyenne, un restaurant référencé par LaFourchette gagnerait 30 % de clients en plus. Même les tables les plus prestigieuses y trouvent leur intérêt. « 50 % des restaurants étoilés sont désormais partenaires de LaFourchette », assure à e-marketing.fr Damien Rodière, Country Manager France, Suisse et Belgique de LaFourchette.
Mais LaFourchette doit aussi signer des partenariats pour rester une pierre angulaire du parcours client. L’an dernier, le site a entre autres négocié avec Amazon pour être présent sur son enceinte Alexa. Il a aussi officialisé un partenariat avec Instagram permettant de réserver une table directement depuis le réseau social. Ainsi désormais, sur les pages Instagram de restaurants référencés par LaFourchette, un bouton « Réserver » s’affiche.
Instagram ne touche pas d’argent sur les réservations commandées depuis son interface, précise Le Figaro. Pour le réseau social, c’est à la fois un moyen d’accompagner les usages de ses utilisateurs et d’attirer des marques. Même les GAFA ont besoin de signer des partenariats pour rester au cœur du jeu !
Des alliances pour attirer les clients en enrichissant l’offre
#DÉCONSOMMATION. La fréquentation des magasins baisse. D’après les statistiques de Procos, une fédération de 260 enseignes, le mouvement est enclenché depuis 5 ans : -5,7 % en 2014, -5,4 % en 2015, -6,6 % en 2016, -2,5 % en 2017, égrène le journal Les Échos dans un article intitulé « Le spectre de la déconsommation plane sur les commerçants ».
Une piste est en train de se dégager pour faire revenir les clients dans les commerces : se regrouper à plusieurs enseignes sous le même toit. « Phénomène émergent du commerce, les magasins associant plusieurs marques complémentaires, connues séparément, sont en plein développement », détecte Les Échos.
On l’observe notamment dans le secteur du textile qui doit faire face à des ventes en recul régulier depuis 10 ans. Ainsi, le 28 novembre dernier, « un point de vente inédit » a ouvert ses portes à Narbonne, retrace FashionNetwork : Cache Cache, la marque de mode féminine du groupe Beaumanoir, et Verbaudet, l’entreprise nordiste de mode enfantine et puériculture, se sont alliées pour présenter leur offre au sein d’une même adresse partagée.
« Nous visons la même cliente, à savoir une femme de 25 à 35 ans, explique Nicolas Flaud, le directeur général de Cache Cache. Mais l’objectif de ce partenariat est bien pour nos deux marques de recruter de nouvelles clientes. » Autrement dit, il s’agit d’aller au-delà d’une logique de ventes additionnelles, pour attirer de nouveaux consommateurs grâce à un positionnement élargi, sur un concept de « family store ».
Autre exemple de partenariat pour enrichir l’offre autour d’une cible : Camaïeu a ouvert en décembre 2018 son e-shop à une marque de prêt-à-porter pour femmes enceintes, Madeleine & Marie. Ce référencement d’une marque extérieure est une première pour Camaïeu qui veut ainsi « accompagner ses clientes dans tous leurs moments de vie, y compris pendant ces quelques mois forts en émotions ».
Le phénomène ne se cantonne pas à la mode. Toujours en décembre dernier, trois acteurs de la gastronomie, Comtesse du Barry, Nicolas et le chocolatier de Neuville, ont ouvert un premier magasin en commun, à Vichy dans l’Allier, proposant une sélection de leurs produits. Sous le nom de « Savour Histoires de Gourmets », d’autres boutiques devraient suivre, notamment au cœur des centres-villes de taille moyenne pour redynamiser ces espaces.
« Partant des styles de vie des consommateurs, les enseignes veulent décloisonner les magasins et proposer de nouveaux formats. La mutualisation permet de contrer l’érosion du trafic et de retrouver des clés pour émerger face à la concurrence », analyse Cédric Ducrocq, PDG du cabinet Diamart Consulting dédié au commerce.
Même de grandes maisons sont tentées par l’ouverture de boutiques en commun. Comme L’Occitane et Pierre Hermé qui ont inauguré en décembre 2017 « 86Champs » (en photo ci-dessus) : un concept store sur les Champs-Élysées alliant cosmétique et pâtisserie pour « une expérience inédite ».
À lire aussi notre article : Shop-in-Shop, l’essor des magasins « poupées russes »
Se regrouper pour partager les données client
#DATA. Autre avantage des alliances : elles permettent de partager des données. Cela peut constituer une part de risque quand le partenaire est Amazon ou Google. Mais cela peut aussi être en soi un objectif de la signature d’un accord. Le partage de data est ainsi un des ciments de Fashion3. Ce groupement réunit pour l’instant plusieurs marques mode de la galaxie Mulliez (Jules, Brice, Bizzbee, La Gentle Factory, Pimkie, RougeGorge, Grain de Malice et Orsay) mais il a vocation à s’ouvrir à des enseignes extérieures.
« Nous voulons constituer la plus grande base de données mode partagée. Face à un Amazon qui a énormément d’avance sur ce sujet, nous possédons encore la force du contact avec le client. La volonté est de partager cette data pour créer des synergies réelles », explique Pingki Houang, en charge de la transformation omnicanale de Fashion3, s’exprimant lors des Big Boss mode et beauté d’octobre 2018.
« Nous allons créer une entreprise à part entière qui va avoir sa propre équipe de data scientists, poursuit-il. La volonté est de partager la valeur client. Amazon et Alibaba l’ont compris. On ne pourra pas lutter en restant chacun chez soi. Je ne vais pas m’habiller 100 % en Jules. Et nous sommes tous confrontés à ces comportements des clients. On s’adresse à un public très large qui est de plus en plus sollicité. »
Le premier objectif de ce partage de données n’est pas de doper la vente en ligne des différentes enseignes. « Le but, c'est de faire circuler la donnée dans toute l’entreprise, en particulier autour de deux axes stratégiques : la donnée CRM et la production. »
Pour l’expert en marketing du commerce Frank Rosenthal, nul doute : « Les grands gagnants des transformations du commerce seront ceux qui sauront réussir les meilleures alliances ou partenariats aujourd’hui et demain. »
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L’assureur a retiré en avril 2018 son appli « Mon Axa » des stores d’applications français. « Cette app permettait notamment de consulter ses garanties, télécharger des attestations ou encore déclarer un sinistre en ligne », explique le Journal du Net qui revient en détail sur la décision de l’assureur. « Ça ne décollait pas », résume Antoine Denoix, directeur marketing, data et digital d’Axa France. En cause notamment : le fonctionnement du marché français de l’assurance qui repose sur des intermédiaires, comme les agents généraux ou les courtiers. « Contrairement aux pays anglo-saxons où c’est majoritairement du direct, pointe Antoine Denoix. Un assureur français n’a pas assez de contacts réguliers avec ses clients pour avoir une application. »