L’entreprise « hyper locale » : effet de mode ou phénomène durable ? Par la Banque des Territoires
28/11/2024Une entreprise peut-elle vivre hors sol ? Quand le modèle économique classique « pose » des activités dans tel ou tel site selon des critères principalement financiers, l’entreprise hyper locale se développe en s’ancrant et en se reliant avec l’écosystème privé et public propre à un territoire. L’activité économique n’est pas envisagée comme un phénomène de surface, mais comme une force opérant en profondeur. Hélène Sananikone, chargée d’investissement à impact à La Banque des Territoires, analyse le phénomène.
Quelle définition donnez-vous d’une « entreprise hyper locale » ?
Hélène Sananikone – C’est une structure ancrée dans un ou plusieurs territoires, qui intègre dans son modèle de développement les spécificités locales : quels sont les activités socio-économiques du bassin d’emploi, la nature et la densité du réseau d’éducation-formation et du tissu associatif, les risques environnementaux, les sources locales d’approvisionnement en matières premières et en énergies ? Plus généralement, on parle « d’entreprises à impact », à l’image des 15 000 organisations fédérées dans le Mouvement Impact France, qui placent les enjeux écologiques et sociaux au cœur de leur modèle d’affaires. Une entreprise hyper locale naît donc d’un volontarisme, et se fixe des objectifs d’externalités positives. La cartographie éditée en 2023 par Bpifrance recense la création de 1 142 de telles entreprises (en hausse de 6% en un an) et de 32 000 emplois (soit 2 000 de plus comparés à 2022), avec 10 milliards d’euros de levées de fonds.
Ce modèle diffère-t-il d’alternatives comme l’économie sociale et solidaire, et peut-il « passer à l’échelle » ?
H. S. – Sur la question du passage à l’échelle, oui, c’est tout à fait réalisable, car le modèle hyper local est réplicable, à travers un réseau ou un essaimage territorial (y compris à l’échelle d’un pays, voire d’un continent), en fonction de la nature des services, des biens produits et, bien évidemment, des lieux d’ancrage de ces activités. Concernant les alternatives au modèle économique standard, l’économie solidaire privilégie la dimension sociale, quand l’économie à impact combine les dimensions environnementales et sociales, et l’économie régénérative approfondit la RSE d’une entreprise. Je verrais donc une proximité d’intention et d’action entre l’économie à impact et l’entreprise hyper locale.
De toute façon, sous l’effet de la pression réglementaire, de la raréfaction des ressources, des enjeux sociaux et climatiques, toute entreprise aura intérêt à évoluer vers un modèle hyper local, ou a minima régénératif. De grandes entreprises vont déjà dans ce sens. Suez a créé sa filiale d’ESS, Rebond Insertion. L’entreprise d’insertion Nouvelle Attitude a été rachetée par La Poste. Seb et Ares ont créé la coentreprise de reconditionnement RépareSeb. De même pour le recycleur de fenêtres Recyfe, fondé par des entreprises d’insertion et détenu à 20% par Saint-Gobain.
Il existe aussi des partenariats et des projets déclenchés par de grands groupes. Enedis avait sous-traité à APF Entreprises le démantèlement de ses anciens compteurs, remplacés par les modèles Linky. Renault a créé l’incubateur Refactory au sein de son usine de Flins. Sodexo accompagne ses fournisseurs d’ESS avec son programme Impact+. Valo’ répond à des appels d’offres publics comme sous-traitant, co-traitant ou titulaire avec ses partenaires Suez et Veolia.
Quels exemples vous semblent emblématiques d’entreprises hyper locales ?
H. S. – Je pense à Sequndo, un réseau fondé par douze entreprises et associations d’insertion, spécialisées dans la déconstruction sélective et le réemploi de matériaux de second œuvre. Sequndo évite le gâchis de l’enfouissement ou de la destruction de matériaux, en organisant leur recyclage et leur réemploi partout en France, tout en recrutant et en formant des personnes éloignées de l’emploi. Des groupes comme Valo’ et Demain transforment des pans d’activité délaissés par l’économie traditionnelle en actifs valorisés, et favorisent l’insertion professionnelle locale.
Fondée par trois vingtenaires, Vesto s’est d’abord dédiée au reconditionnement de matériels de cuisine. Puis l’entreprise a réalisé qu’il n’existait pas de filières dédiées à la seconde main d’équipements professionnels, et s’est donc lancée, suite à une levée de fonds, dans leur structuration dans cinq autres domaines, notamment le luminaire industriel, les outils électroportatifs ou encore la blanchisserie industrielle, et va les développer à l’échelle du pays.
À l’étranger, je pense à la Laiterie du Berger, qui collecte au Sénégal la production de 800 familles d’éleveurs, puis fabrique des produits laitiers vendus sous la marque Dolima, devenue numéro deux localement. Auparavant, 90% du lait utilisé au Sénégal l’étaient sous forme de poudre, provenant d’importations. C’est la preuve que le modèle hyper local peut réussir à l’échelle d’un pays.
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Hélène Sananikone, chargée d’investissements à impact à La Banque des Territoires
Diplômée en finance des universités Paris-Dauphine et Lyon II, Hélène Sananikone a débuté sa carrière en 2005 en tant qu’auditrice financière chez Deloitte, avant d’intégrer la Fondation Grameen-Crédit Agricole comme responsable d’investissements. Elle a rejoint La Banque des Territoires en 2023.
En parallèle, elle intervient depuis 2008 comme fondatrice, administratrice, experte ou mentor de structures de l’économie sociale et solidaire, telles que Phare Ponleu Selpak, AFI Factory, Uzaje, MakeSense for Entrepreneurs.