Just in time : le commerce sans stock… ou presque, par Yann de Feraudy
11/03/2025Le commerce sans stock – également appelé « juste à temps augmenté » ou « Just in time » – transforme les modèles marchands et la chaîne d’approvisionnement, en combinant technologies de pointe et anticipation fine des commandes clients.
Cette approche popularisée par les plates-formes d’e-commerce redéfinit l’équilibre entre efficacité, durabilité et résilience logistiques. Elle soulève aussi des questions sur la capacité d’adaptation des entreprises, et sur les impacts environnementaux. Éclairages avec Yann de Feraudy, président de l’association France Supply Chain by Aslog.
Quels sont les avantages et limites du « commerce sans stock » par rapport à d’autres modèles de gestion ?
Yann de Feraudy – Le commerce sans stock est une illusion. En réalité, il existe toujours un stock quelque part, qu’il soit minimal et à demeure, délégué ou externalisé. Trois principaux modèles coexistent dans le juste à temps : la livraison directe (drop shipping), l’affiliation, et la fabrication à la demande. Dans le premier cas, le fabricant assume la gestion du stock. Avec l’affiliation, il s’agit d’une simple mise en relation du client avec le fournisseur, sans gestion de commande. Enfin, la fabrication à la demande implique un stock minimal pour garantir la production.
De fait, dans le modèle du « just in time », tout fabricant doit respecter une quantité minimale de production afin de ne pas produire à perte. Ainsi, même dans un modèle sans stock apparent, un stock minimal ou un stock en amont (chez un fournisseur ou un fabricant) est nécessaire.
L’avantage d’un commerce « sans stock » apparent, car délégué ou externalisé, est de réduire le besoin en fonds de roulement, surtout dans le marché grand public où les marchands encaissent les achats clients avant de payer leurs fournisseurs – qui supportent les coûts de stockage. Le secteur alimentaire, avec son réassort en flux tendu, et le luxe, qui limite ses stocks pour contrôler l’offre et maintenir l’exclusivité, montrent l’importance de maintenir au plus bas les niveaux de stock.
Comment le « juste à temps augmenté » affecte-t-il la chaîne d’approvisionnement ?
Y. de F. – Dans ce modèle, la personnalisation et la production à la demande exigent des prévisions fiables et fines pour éviter la constitution de stocks superflus. Ainsi, des « jumeaux numériques » servent à mieux anticiper et superviser les réseaux de production et de distribution réelles. De même, des algorithmes prédictifs fournissent des modèles puissants, fondés sur des moteurs de règle et sur l’apprentissage par la machine. Les prévisions s’en trouvent améliorées jusqu’à 10%, générant des dizaines de millions d’économies, à l’image de ce que réalise Michelin par exemple.
Cela dit, de nombreuses filières industrielles font face à des contraintes minimales de production de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers d’unités par commande, ce qui pousse soit à délocaliser la production, soit à gérer différemment les flux. L’impression 3D, avec ses petites séries réalisées à moindre coût, constitue une alternative, mais limitée dans son spectre de produits réalisables et confrontée au coût élevé du transport express, vu qu’il n’y a pas de stock intermédiaire en centrale, en entrepôt ou en magasin.
Quels secteurs sont pionniers en matière de commerce « sans stock » ?
Y. de F. – L’e-commerce est évidemment en pointe, notamment un programme comme Fulfillment by Amazon (FBA, en français : expédié par Amazon), par lequel les vendeurs externalisent le stockage et la logistique. Ce modèle offre une grande flexibilité mais expose les entreprises à une forte dépendance vis-à-vis des plates-formes. Le risque est d’être subitement « débranché » si l’e-commerçant décide de ne plus les référencer. D’autres marques, notamment dans le luxe et la grande distribution, comme LVMH, Zara ou Carrefour, adoptent des stratégies hybrides, en combinant des stocks réduits et une logistique optimisée pour minimiser les risques et les coûts.
Quelles évolutions envisagez-vous face à des risques technologiques ou organisationnels ?
Y. de F. – Les principaux risques résident dans la perte de contrôle de la chaîne logistique et la dépendance accrue aux plates-formes numériques. Les cyberattaques et les interruptions de service constituent aussi des menaces, bien que les grandes places de marché aient été jusqu’à présent plus résilientes que d’autres secteurs (finance, télécommunications). Je pense que le commerce « sans stock » poursuivra son expansion, mais avec des adaptations car les externalités négatives, comme des transports en partie à vide et fortement émetteurs de CO2, ne peuvent être ignorées. Les entreprises devront trouver l’équilibre entre la flexibilité et la maîtrise de leurs opérations, en s’appuyant sur l’IA et sur des réseaux logistiques évolués. L’enjeu est de conjuguer réactivité, optimisation des coûts et développement durable, en gardant à l’esprit qu’il y aura toujours besoin quelque part d’un stock suffisant et disponible, qu’il soit internalisé, délégué ou externalisé.
Crédits photo couverture : ©Adobe Stock
Expert : Yann de Feraudy
Spécialiste des processus logistiques depuis plus de trente ans, Yann de Feraudy a travaillé successivement chez Danone, dans le secteur du conseil et chez Kuehne & Nagel, avant d’exercer pendant deux décennies au sein du Groupe Rocher, dont il fut directeur général adjoint. Président du conseil d’administration de France Supply Chain by Aslog, il est diplômé de l’ESSEC et ancien officier de la Marine nationale. Il a coécrit avec le philosophe Bernard Guéry le livre Pour des managers durablement responsables (Dipso’s Éditions).

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