« En magasin, les m2 relationnels sont aussi importants que les m2 de vente »
21/10/2021Yann Mignot, Directeur de création associé de l’agence de design Saguez & Partners, en est convaincu : les clients ne reviendront pas en magasin juste pour voir les produits en vrai. Ils attendent surprises et émotion. Les magasins ne doivent plus être uniquement des lieux de vente, mais des lieux de relations. Interview.
À quoi ressemblera le magasin de demain ?
Yann Mignot : Le magasin de demain sera un magasin émotionnel. Après avoir massivement investi dans le e-commerce depuis le début de la pandémie, les marques se tournent de nouveau vers les magasins. D’un côté, les gens en ont assez d’être devant leur écran. Ils ont besoin de sortir et de revivre des expériences, des choses vraies, authentiques. Et de l’autre, les marques ont besoin de créer des lieux qui véhiculent leurs valeurs.
Les boutiques doivent sortir d’une offre figée, d’une offre de destination, pour surprendre, faire ressentir, faire vivre une émotion avec la marque. L’exercice est difficile car il faut bien sûr proposer au consommateur ce qu’il attend, ce qui l’a motivé à venir en magasin, un produit, un conseil… Mais il faut aussi lui proposer ce qu’il n’attend pas.
Les clients ne reviendront pas en magasin juste pour voir les produits en vrai. La surprise, la découverte, c’est ce qui fait la différence avec le e-commerce. Sur Internet, vous faites part d’un besoin – un réfrigérateur, un pull, une boisson… – et le site vous propose ce que vous attendez. Mais en magasin, il y a un vrai plaisir de la découverte. La tête de gondole ou la table d’attaque que l’on trouve à l’entrée d’une boutique pour faire découvrir des produits ou des tendances, c’est ce qui attire le client en magasin.
Vous pouvez donner un exemple de la façon de créer de l’émotion en magasin ?
Pour Pernod Ricard, nous venons de refaire le magasin Drinks&Co. Au départ, Drinks&Co est une marketplace en ligne du groupe qui vend des alcools du monde entier. À côté de son nouveau siège, près de Saint-Lazare à Paris, Pernod Ricard voulait un lieu de contact avec le consommateur pour avoir des retours d’expérience, des retours sur les produits…, mais aussi pour proposer un lieu qui fasse voyager. Drinks&Co est donc devenu à la fois un magasin, un restaurant, une cave d’Ali Baba, un endroit qui propose deux grands bars de plus de 15 mètres, des cours, des afterworks…
Pour amener de l’émotion, nous avons imaginé un geste fort : nous avons installé sous le plafond une canopée surdimensionnée à partir des feuilles qui composent les boissons, alcoolisées ou non, vendues sur place. Raisin, houblon, anis, fenouil, pomme… Mais l’émotion ne vient pas uniquement de là : elle vient aussi du contact humain. Nous avons mis au cœur du concept les « bartenders » [ou barman]. Ils sont les acteurs qui vont faire goûter les boissons et vivre une expérience. Tout le recrutement a été axé sur des passionnés. Si un client recherche une bouteille de whisky, la discussion peut s’engager avec tous les vendeurs, mais si le client a une demande très pointue et que le vendeur est spécialisé dans la tequila, il va chercher l’expert du whisky. Ce n’est plus uniquement un lieu de vente. C’est un lieu de relations.
Le design de ce magasin incite aussi les clients à le prendre en photo pour une diffusion sur les réseaux sociaux…
Chez Drinks&Co, les clients photographient et partagent la canopée, les cocktails signature, le bartender qui les prépare, leur expérience dans les masterclass… Le magasin doit aussi être un support qui permet aux clients de parler de la marque. Pour faire un parallèle avec l’univers du « Food », quand un pâtissier sort une nouvelle création, il la met sur les réseaux sociaux. Les clients viennent la goûter, mais d’abord ils la prennent eux aussi en photo et la partagent. C’est un cercle vertueux qui se crée. Il faut réussir à reproduire ce phénomène sur chaque marque.
En consacrant moins de place à la vente, le magasin n’est-il pas confronté à des problèmes de rentabilité du mètre carré ?
On ne peut plus raisonner uniquement sur la seule base de la rentabilité au m2. Cela pousse à faire des magasins avec énormément de linéaires, très bien rangés, identiques les uns aux autres, avec énormément de produits en espérant que le client en achète le plus possible. Le plus gros risque est que tous les magasins se ressemblent. Déjà, les commandes en ligne sont semblables d’un site à l’autre. Si en plus les magasins sont tous les mêmes !
Il faut un design de la différence. Cela signifie raisonner à la fois en m2 de vente et en m2 relationnels. Les m2 relationnels sont ceux qui créent l’expérience, l’émotion, la surprise, et qui fidélisent la clientèle. C’est ce qui fait que la clientèle reviendra dans le lieu, et qu’elle achètera aussi par la suite sur Internet car elle se rappellera son expérience en magasin.
Peut-on mesurer la rentabilité de ces m2 relationnels ?
Elle peut se mesurer en fonction des ventes additionnelles générées sur Internet ou en s’intéressant à la satisfaction de la clientèle en magasin. Quand nous sommes intervenus pour le magasin de Boulanger au centre de Paris, à Opéra, les vendeurs sont devenus des conseillers. Concrètement, ils ne sont plus intéressés au chiffre d’affaires qu’ils réalisent dans le magasin. Leurs primes sont indexés sur le taux de satisfaction client. Les conseillers peuvent ainsi plus facilement proposer un réfrigérateur ou un four moins cher que celui que le client envisageait mais répondant mieux à ses besoins. Cela fidélise le client. Il reviendra pour ses prochains achats car il est en confiance et il fera aussi de la publicité pour le magasin, auprès de ses proches et sur Internet.
Quelle serait l’étape suivante dans l’évolution des magasins ?
Pour moi, le retail de demain ne peut plus être immobile. Il faut pouvoir faire vivre et évoluer les magasins en fonction des attentes des consommateurs. Sous l’effet notamment des réseaux sociaux, la société évolue de plus en plus vite. Et souvent, les magasins actuels n’arrivent plus à suivre. Demain, il faudra avoir des magasins qui puissent bouger leurs plans sans tout casser. Cette notion de durabilité est importante. Notre rôle est de concevoir un design qui puisse évoluer en permanence sans devoir tout détruire et reconstruire.
VOUS POURRIEZ ÉGALEMENT AIMER
Les grands magasins se réinventent pour séduire la clientèle locale
« Avec cette crise, nous avons perdu notre clientèle internationale qui représentait plus de 60 % de notre chiffre d’affaires (2 milliards d’euros en 2019). Il a fallu se réinventer. » Le directeur des Galeries Lafayette Haussmann, Alexandre Liot, pose un constat sans détours dans Le Parisien. En quelques mois, les grands magasins parisiens ont dû revoir leur stratégie pour attirer la clientèle locale et s’adapter aux nouveaux modes de consommation. Une des évolutions les plus surprenantes est peut-être l’arrivée en grande pompe des articles de seconde main dans ces temples de la consommation. À partir du 22 septembre, la mode circulaire occupera ainsi un étage entier sous la coupole du Printemps. Cet espace baptisé « Septième ciel » se veut le plus grand du monde dans un tel magasin. Le Printemps a aussi lancé un nouveau label « Unis vers le beau responsable », pour mettre en avant les marques engagées (400 sont déjà référencées). « Plus de 85 % des Français considèrent comme essentiel que les distributeurs et les marques s’engagent vers une consommation plus durable », souligne Stéphane Roth, directeur général marketing et communication du groupe Printemps.
Leroy Merlin pilote des rénovations complètes pour ses clients
Connaissez-vous le service Leroy Merlin Studio ? L’enseigne l’a lancé il y a deux ans sur Paris et l’Île-de-France pour accompagner les propriétaires dans la rénovation de leur logement. La promesse est claire : « Un seul pro pour diriger vos travaux ». « Notre plateforme connecte nos clients à un réseau d’architectes, explique Nathalie Hervet, leader ‘Conquête cœur de ville’ chez Leroy Merlin. Nous avons constitué un réseau d’architectes DPLG (diplômés par l’État), d’architectes d’intérieur et de décorateurs. » Ils sont aujourd’hui 38, avec l’objectif de monter à 50 d’ici la fin de l’année. Après un premier échange téléphonique avec le client, un de ces experts sélectionnés par l’enseigne se rend à son domicile. Une visite facturée 45 € pour une étude de faisabilité matérialisée par un devis estimatif. Selon les besoins, l’intervention de l’expert peut aussi donner lieu à un diagnostic administratif et technique, à la création d’une planche de préconisation matériaux et couleurs, à la réalisation d’esquisses 3D, etc. En cas d’accord du client, l’architecte accompagnera le projet jusqu’à la fin, faisant le lien avec les artisans et les intervenants sur le chantier.