« Être Nold n’est pas une question d’état civil mais d’état d’esprit »

25/06/2025

Les Nolds – pour Never Old – bousculent les clichés sur l’âge, la consommation et le travail. Avec ce concept, Anne Thévenet-Abitbol, directrice prospective et nouveaux concepts de Danone, invite à porter un nouveau regard sur la place des plus de 45 ans dans l’entreprise à l’horizon 2030.

Qu’est-ce qui a déclenché le concept Nold chez Danone ? Une intuition, une frustration, une envie d’ouvrir une brèche ?

Anne Thévenet-Abitbol – Je travaille beaucoup à l’intuition. C’est mon métier. Je capte l’air du temps pour connecter ces tendances à l’ADN de Danone, qui lie santé et alimentation. En 2012, nous lancions le programme Octave, un programme de leadership intergénérationnel et interentreprises. Le nom vient de l’analogie avec le piano, comme si l’entreprise ne jouait que sur les deux octaves centrales, négligeant les octaves aiguës (les plus jeunes) et les octaves graves (les plus âgés). C’est alors que j’ai eu l’intuition qu’il existait toute une génération invisible, que personne ne considérait vraiment et qui se situait entre les Baby-Boomers, représentatifs de l’après-guerre, et les Millennials, nés avec ce siècle. Des personnes qui se sentent certes trop vieilles pour être jeunes, mais aussi trop jeunes pour être vieilles, et que l’on traite rapidement de seniors. Or, se faire traiter de vieux ou de senior étant rarement un compliment, il fallait inventer un néologisme plus désirable, que l’on aurait envie de s’attribuer. C’est tout l’objet de Nold, un nom déposé par Danone, pour tous ceux qui refusent d’être déterminés par leur âge, qui ont encore plein d’envies, de projets et continuent à être en mouvement. Être Nold, ce n’est pas une question d’état civil mais d’état d’esprit.

Créer une « communauté des Never Old », ce n’est pas sans risque. Comment éviter de produire un nouveau cliché en voulant casser les anciens ?

A. T.-A. – Il ne s’agit pas de recréer une nouvelle case. Certes, les journalistes se sont emparés de l’idée en lui fixant des bornes (entre 45 et 65 ans). Mais le propre de ce concept est qu’il est fluide, élastique même. Le philosophe Edgar Morin, qui, à 103 ans, nous incite à l’émerveillement, est complètement Nold ! D’un autre côté, des actifs qui ont juste la trentaine nous appellent pour nous demander s’ils peuvent rejoindre la communauté, tellement les perspectives que Nold présente les rassurent. Ce néologisme a du succès parce qu’il est positif et qu’il nous permet d’affirmer un rapport décontracté à l’âge, loin de la lente décrépitude annoncée. Sensibles à l’humour et à l’autodérision, nombreux se retrouvent dans ce mantra : « Trop jeune pour être vieux et trop vieux pour être jeune, je refuse de me laisser définir par mon âge ». Aujourd’hui, l’âge est la dernière discrimination assumée. On ne pourrait plus dire « je ne recrute pas cette personne en raison de son sexe, son orientation sexuelle ou ses origines », mais on peut entendre encore « on ne va pas le prendre, il est trop vieux ».

Aujourd’hui, on parle de silver economy, de sexy boomers, de jeunisme inversé... Que pensez-vous de cette obsession à vouloir marketer les âges ? Et comment traduire cette vision dans les produits ? 

A. T.-A. – Le vrai sujet, pour moi, c’est la personne et ses besoins. C’est pour cela qu’avec ma camarade Charlotte Darsy, qui était déjà experte du marketing digital chez Danone, nous avons eu une démarche radicalement nouvelle en cherchant d’abord à rassembler tous ceux qui pensaient comme nous, en leur proposant du contenu Nold (une façon à la fois légère, amusante et profonde de parler de l’âge) sur les réseaux sociaux. Rapidement, une communauté s’est formée, avec environ 120 000 abonnés entre Facebook et Instagram, et un reach (le nombre de personnes qui nous lisent) de 1,5 million de personnes par mois. Tous mes projets ont toujours mêlé impact sociétal et business.  Avec son nom désirable, son ton positif et sa compréhension de ce qui permet de rester au top de sa forme, quel que soit son âge, Nold, c’est tout un programme pour lutter contre l’âgisme ordinaire. Changer le regard de la société sur cette génération, et le regard qu’on peut aussi porter sur soi, en proposant du contenu, des produits et des services sur tous les sujets qui intéressent les Nolds. Bien manger, bien bouger, continuer à apprendre, avoir une vie sociale riche, adopter un état d’esprit curieux et positif... les études montrent que ce sont des facteurs clés du bien vieillir et ces notions irriguent nos contenus. Et deux fois par semaine, nous complétons les posts quotidiens des réseaux sociaux par une noldletter – la newsletter qui déride – qui va venir creuser les sujets, donner la parole à des experts sur des sujets demandés par les Nolds, comme « réactiver sa vie amoureuse » avec DisonsDemain, ou comprendre l’impact du microbiote sur sa santé avec Activia... Et sur notre site www.noldneverold.com, nous proposons déjà deux programmes vidéo pour faire travailler sa mémoire et pour retrouver un sommeil récupérateur. 

Le vrai tournant arrive : en 2030, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans. Faut-il revoir le recrutement, le management, la pub, le storytelling ? Quelles ruptures vous semblent inévitables ?

A. T.-A. – Cette nouvelle pyramide des âges n’est pas une bonne nouvelle pour la vitalité du pays. Jamais on n’a eu autant peur du futur qu’aujourd’hui. Étonnamment, ce sont les jeunes qui sont les plus nostalgiques de cet âge d’or supposé que seraient les années 80-90, socle commun aux Nolds. Barbara Cassin, philosophe et académicienne, a bien résumé ce paradoxe : « Hier, on pouvait croire que c’était mieux demain. » Face à cette jeunesse en désespérance, face à ces horizons menacés par les changements climatiques, les « Never Old » sont assez vieux pour avoir vu beaucoup de choses et assez jeunes pour continuer à agir, apporter leurs connaissances et leur vitalité, être porteurs de projets. Actuellement, on ne les utilise pas assez ou on les cantonne trop souvent à des rôles de transmission quand certains veulent aussi continuer à « produire ». Les entreprises n’ont pas encore réellement pris la mesure de ce cap démographique mais demain elles n’auront pas le choix. Elles vont devoir apprendre à mieux jouer de toutes les octaves, à tirer parti de toute la diversité des générations.

 

Crédits photo couverture : ©Adobe Stock

Biographie

Inclassable, sans budget ni équipe, mais dotée d’un leadership salué par ses pairs, Anne Thévenet-Abitbol est, depuis 1998, l’électron libre et « agitatrice d’idées » du groupe Danone, où elle occupe le poste de directrice prospective et nouveaux concepts. Après douze années dans la publicité – notamment comme planneur stratégique chez CLM/BBDO –, elle est recrutée par Franck Riboud, alors président de Danone, pour l’épauler sur toute idée susceptible de faire progresser le groupe, qu’il s’agisse de marketing, de ressources humaines, de questions sociales ou sociétales. Parmi ses réalisations phares figure la création, en 2006, de la marque de yaourts bio Les 2 Vaches. Elle est également à l’origine de deux programmes interentreprises : le programme EVE, lancé en 2010 pour promouvoir le leadership féminin (avec des partenaires comme L’Oréal, le Crédit Agricole, la SNCF, Orange ou KPMG), et le programme Octave, lancé en 2012, dédié aux enjeux générationnels à l’ère du numérique. Dernière initiative en date : la marque et plateforme média Nold (Never Old), conçue pour transformer notre regard sur le vieillissement. Le slogan de la communauté ? « Trop vieux pour être jeune, mais trop jeune pour être vieux. »

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