Booster la croissance sans vendre de produits neufs ?
08/11/2018Les initiatives se multiplient pour répondre aux attentes d’une consommation plus responsable. « Pay per use », recyclage, réparation… Ces nouveaux services servent parfois à attirer les clients vers les gammes de produits traditionnels. Mais les lignes sont en train de bouger. Cap sur Monoprix, Seb, Picwic, Camaïeu, Bocage, Fnac Darty, etc.
1Monoprix et Seb testent un service de location pour les appareils de cuisine
Fini l’appareil à fondue rangé au fond d’un placard que l’on ne sort qu’une fois par an ? Monoprix et Seb expérimentent depuis le mois d’octobre un service de location de petit électroménager. Friteuse, crêpière, pompe à bière, robot cuiseur… Huit appareils de cuisine sont ainsi proposés à la location dans cinq Monoprix de l’ouest de Paris, avec une formule week-end (à partir de 12,99 €) ou à la semaine (à partir de 24,99 €).
Cette offre, baptisée Eurêcook, a été mise au point et testée par Seb sur Dijon, qui veut désormais l’étendre sur la France entière. Les appareils peuvent être retirés en magasin ou livrés à domicile. Après usage, les machines sont nettoyées, testées et reconditionnées par Envie, une entreprise d’insertion professionnelle.
Cette initiative va permettre à Monoprix et Seb d’estimer le potentiel de l’économie de la fonctionnalité et du principe du « pay per use ». Mais ce n’est pas le seul objectif. « Pour le client, ce service permet de tester un produit et d’évaluer s’il correspond vraiment à un besoin, au lieu d’acheter sur un coup de tête », explique au journal Les Échos Joël Tronchon, directeur du développement durable du groupe Seb, qui s’est donné six mois pour mesurer l’intérêt de l’opération.
Pour les deux partenaires, il s’agit aussi de renforcer la relation avec leurs clients grâce à de nouveaux services. Dans la même logique, Monoprix a déjà mis en place le système « Shop & Give » qui permet au client de remettre au livreur les produits encore consommables dont il ne veut plus. Seb a lui instauré, par exemple, des forfaits réparation hors garantie.
2Picwic propose de louer des jeux dans le cadre d’un vaste repositionnement
Picwic ? Le nom résonne surtout aux oreilles des habitants du Nord et de l’Ouest de la France où sont installés les 25 magasins de cette enseigne de jouets créée par un membre de la famille Mulliez (Auchan, Decathlon…). Depuis peu, il est possible d’y louer des jeux. Avec notamment, au rayon des jeux de société, une offre à 6 € pour trois jours de location où les familles peuvent emprunter le jeu qu’elles souhaitent, indique le site e-marketing.fr.
Tout comme pour l’électroménager de Seb, cette offre permet au client de tester un jeu avant de l’acheter. Mais elle participe aussi d’une vaste stratégie de repositionnement de Picwic qui veut passer du statut de « magasin de jouets » à celui de « magasin pour jouer ».
Car l’enseigne n’est pas épargnée par la crise qui frappe le monde du jouet et qui a notamment provoqué la faillite de Toys‘R’Us aux États-Unis. Les causes sont nombreuses : concurrence du e-commerce, mais aussi nouvelles attentes des enfants qui basculent de plus en plus tôt sur les écrans. S’ajoute aussi une baisse de la natalité en France, couplée à une évolution du comportement des parents. « Les parents sont aujourd’hui très critiques, que ce soit envers les marques, les institutions et même l’école, en recherchant par exemple des modèles alternatifs comme les écoles Montessori. On assiste à une réelle crise de confiance et une envie de consommer et d’éduquer autrement », explique à e-marketing.fr Nathalie Peron-Lecorps, directrice générale de Picwic.
Alors, dans le nouveau concept de l’enseigne, « fini les rayons traditionnels, place à une grande cour de récréation », résume la directrice générale. En entrant, enfants et parents sont invités à jouer à la marelle. Ils découvrent ensuite un magasin avec moins de références pour faciliter le choix face à une offre souvent trop abondante et déstabilisante. La surface libérée permet d’installer des espaces de jeux en libre-service.
Dans ces nouveaux magasins, les enfants peuvent aussi venir fêter leur anniversaire ! Ce qu’ont déjà fait plus de 10 000 enfants depuis le début de l’année. Le succès est tel que l’enseigne organise même depuis peu des goûters d’anniversaire à domicile. La location de jeux s’inscrit dans cette nouvelle démarche relationnelle.
3Bocage expérimente la location de chaussures
L’idée peut surprendre, mais c’est pourtant bien ce que teste cette chaîne du groupe Etam : depuis le début du mois d’octobre, dans plusieurs magasins pilotes, Bocage propose à ses clientes les plus fidèles, détentrices de la carte de l’enseigne, un abonnement permettant de louer une paire de chaussures neuves tous les deux mois.
Concrètement, avec ce projet dénommé Atelier Bocage, une cliente sélectionne trois paires de chaussures sur Internet et prend rendez-vous avec une conseillère style pour venir les essayer en boutique. Pour un abonnement mensuel de 39 €, elle choisit alors une paire et la conserve pendant deux mois avant de la ramener en magasin. Les chaussures, nettoyées et remises en état, avec une nouvelle semelle intérieure, vont ensuite alimenter un circuit de seconde main sur le site de e-commerce de Bocage. Elles seront même de nouveau proposées à la location, mais à un prix moins élevé (19 € par mois).
« La cliente va pouvoir se faire plaisir, jouer avec la mode, et trouver une alternative à ses habitudes de consommation, explique à Fashion Network Clémence Cornet, directrice marketing de Bocage, une marque qui réalise 55 millions d’euros de ventes annuelles. La mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde et, en parallèle, le marché de la chaussure s’érode clairement en France : les consommateurs attendent des marques qu’elles leur soient utiles. C’est en ce sens que nous voulons installer un modèle qui génère de la croissance mais qui consomme moins de ressources. »
La location ne concerne que les modèles qualitatifs de la ligne Made In France de Bocage, soit environ 30 % de l’offre de l’enseigne. Et si une abonnée craque pour sa paire de chaussures, elle peut l’acheter au bout de deux mois à un tarif de -60 %.
Après la phase d’expérimentation, concentrée sur 6 boutiques à Paris, Bordeaux, Angers et Lyon, Bocage prévoit d’étendre en janvier prochain ce service de location à 30 magasins supplémentaires, sur les 120 que compte l’enseigne en France. Un projet qui pourrait donc prendre une réelle importance dans l’activité de Bocage. « Notre ambition à terme est de moins consommer, et donc de moins produire », affirme la directrice marketing.
4Camaïeu lance son vide-dressing entre web et boutiques
Les enseignes de mode multiplient les initiatives pour encourager les pratiques de consommation plus responsables. Camaïeu vient de lancer une plateforme de vide-dressing pour aider ses clientes à revendre et à acheter des vêtements d’occasion. Sur le site Camaïeu et Cie, développé avec la startup Place2Swap, les consommatrices peuvent ainsi proposer des articles de toute marque, pas uniquement de Camaïeu.
Un des avantages de ce vide-dressing est de permettre la remise des vêtements en utilisant le réseau de magasins de l’enseigne. Acheteuses et vendeuses sont en effet géolocalisées, et si une affaire se conclut, la vendeuse dépose l’article dans une boutique Camaïeu. L’acheteuse pourra le récupérer dans les 5 jours, sans frais de livraison.
Camaïeu ne prend aucune commission sur les ventes. Son intérêt ? Renforcer la relation avec ses clientes en se positionnant comme un facilitateur du quotidien. Et aussi faire venir des consommatrices en magasin, ce qui permet de générer des ventes.
Si l’on fait un parallèle avec le click and collect, un tiers des e-acheteurs profite du retrait d’une commande dans un magasin pour acheter d’autres produits sur place, d’après les chiffres 2018 de la Fevad.
Pour l’instant, ce service est en test dans les 18 magasins des régions lilloise et parisienne, avec en ligne de mire une généralisation aux 650 boutiques de Camaïeu. L’an dernier, Cyrillus et Petit Bateau ont également lancé leur plateforme de revente de vêtements d’occasion, mais réservée à leurs propres produits.
5Vinted accélère les changements de comportement dans la mode d’occasion
Une autre raison pousse Camaïeu à lancer son site d’achat-vente de produits d’occasion : le développement exponentiel des vide-dressings en ligne. Vestiaire Collective, Videdressing.com, Facebook aussi… mais surtout Vinted. Ce site annonce plus de 21 millions de membres dans le monde, désignés sous le nom de « vinties ». En France, son trafic aurait doublé en un an, boosté par une importante campagne de pub TV.
Très simple d’utilisation, Vinted ne prend pas de commission pour le vendeur, mais l’acheteur doit lui payer des frais (5 % du prix de l’article, plus une commission de 0,70 €). La plateforme est très populaire auprès des jeunes consommateurs, jusqu’aux préadolescents. Nombre d’articles ne sont pas vendus très chers, avec des prix parfois à 2 €…
Les produits peuvent être expédiés ou remis en main propre. Une pratique privilégiée pour garder des prix bas, et aussi pour sa dimension conviviale. Car Vinted fonctionne également comme un réseau social, permettant de discuter avec d’autres membres pour échanger conseils et bons plans.
Ce type de plateforme accélère les changements de comportement chez les consommateurs. Acheter des vêtements d’occasion se banalise. Mais c’est aussi un marché parallèle qui se crée et qui risque d’échapper aux marques traditionnelles...
6Fnac Darty se lance dans la réparation de smartphones
L’avenir ne serait pas uniquement dans la vente de produits neufs ? C’est aussi une interrogation pour le groupe Fnac Darty. Après avoir lancé cet été un indice de réparabilité permettant de guider les consommateurs vers les équipements qui dureront le plus longtemps possible, le groupe vient de racheter WeFix, spécialisée dans la réparation express de smartphones.
WeFix compte 59 magasins en France et en Belgique, réalisant plus de 12 000 interventions par mois. Fnac Darty affiche l’objectif de doubler la taille de ce réseau dans les deux ans, en ouvrant notamment des corners dans les magasins du groupe.
« Nous donnons du corps à nos engagements en faveur de l’économie circulaire et de la durabilité des produits », indique aux Échos Régis Koenig, directeur du pôle service de Fnac Darty. Ce type de service complémentaire favorisant une consommation responsable s’impose progressivement pour séduire les consommateurs.
7For Days propose un abonnement pour des tee-shirts recyclés quand ils sont usés
Disposer d’une garde-robe qui serait régulièrement recyclée pour produire de nouveaux vêtements… Ce n’est pas encore ce que propose la startup américaine For Days, mais son offre va dans cette direction.
For Days propose des abonnements mensuels à 12, 24 ou 36 dollars pour profiter de trois, six ou dix tee-shirts parmi neuf modèles masculins et douze pour femmes. Dès que les tee-shirts sont abîmés, les abonnés sont invités à les renvoyer à l’entreprise. For Days s’engage alors à les recycler et à remplacer les articles retournés par des modèles à choisir dans son catalogue.
« Pour autant, les équipes de For Days ont à cœur de préciser qu’elles souhaitent éduquer leurs consommateurs à adopter un comportement raisonné, puisque le but n’est pas d’obtenir des tee-shirts neufs tous les mois mais bien de renouveler son stock quand ils sont trop usés », précise le site Fashion Network.
La marque envisage d’élargir son offre à d’autres types de vêtements basiques. « On peut tout à fait imaginer une garde-robe qui s’agrandit et rétrécit au besoin, avec les vêtements qui vont et viennent selon un timing parfait », envisage For Days. En privilégiant l’usage, l’économie de la fonctionnalité ouvre la porte à de futures innovations dans la façon de consommer.