« J’ai passé mon temps à innover, confie Yves Parlier, skipper et fondateur de Beyond The Sea, qui conçoit des kites pour tracter des navires. Le kite, c’est la voile qui remonte le mieux contre le vent. Il fonctionne comme un cerf-volant qu’on accroche solidement à un bateau pour le tirer à l’aide du vent*. » Pourtant,ce natif d’Île-de-France a grandi loin des ports. « La mer, je l’ai découverte pendant les vacances », avoue-t-il. À douze ans, il est recruté par un président de club de voile parisien : « Il m’a fait courir ma première régate, les Régates du sucre, sur la Seine. » C’est le déclencheur. Yves Parlier dévore des ouvrages techniques, découvre le salon nautique, rencontre Jean-Marie Maréchal, directeur de la Jeunesse nautique de France, qui le forme et le nomme moniteur de voile à quinze ans. Inventif dès son plus jeune âge, il combine réflexion et navigation : « J’avais une connaissance très théorique de la voile. Je me souviens encore de ma première prise de ris, c’était un grand moment de solitude ! »

Pendant ses études d’ingénieur, Yves Parlier découvre l’intérêt des matériaux composites pour la navigation. Dans la foulée, il fabrique un mini-transat avec le premier mât en fibre de carbone du monde. « Avec ce bateau, j’ai remporté ma première course, la Mini-Transat en 1985 (ndlr : course transatlantique en solitaire et sans assistance). Il y avait d’autres innovations inédites à l’époque : les haubans étaient en kevlar, le pont en nid d’abeille. C’était un projet technologique innovant qui est devenu un succès sportif ! » Passionné par la météo, il acquiert une compréhension fine des vents et continue d’innover : premier enrouleur en carbone pour remplacer l’étai, pilote intelligent, gestion de l’énergie à bord… Dans les années 1980 et 1990, il enchaîne et remporte plusieurs grandes courses : Solitaire du Figaro en 1991, Transat anglaise en 1992, Transat Jacques-Vabre et Route du Rhum en 1994… En 2000, il démâte dans les mers du Sud pendant son quatrième Vendée Globe, mais répare seul son mât et termine la course. 

À partir de 2007, Yves Parlier se recentre sur l’innovation autour de la propulsion vélique assistée des cargos (propulsion par voile). En 2014, il crée Beyond The Sea et embauche une équipe d’ingénieurs. Leurs recherches débouchent en 2018 sur LibertyKite, un kite de traction pour la navigation de plaisance, la pêche artisanale ou encore la course au large : « La voile peut mesurer jusqu’à 80 mètres carrés et tracter un bateau de 30 à 40 mètres de long. Vous n’allez pas très vite, mais vous pouvez au moins vous rapprocher des côtes et vous avancer vers un remorqueur. » Plus de 300 bateaux de Geogaz, Ultranav et Cap Bourbon, mais aussi un remorqueur de la Marine nationale en sont équipés. « La marine marchande a oublié les racines du commerce à la voile. Avec nos solutions, les marins redécouvrent les cordages, le vent qui change en force, en direction, en densité, en perturbation… Le kite a un côté magique et fascinant, qui demande un sens marin, de l’anticipation et de l’observation. » LibertyKite a aussi équipé les bateaux de trois skippers vainqueurs de plusieurs grandes courses en solitaire, Charles Caudrelier, Anthony Marchand, et Yoann Richomme. Aujourd’hui, Beyond The Sea propose le SeaKite, un système de traction intelligente, doté de capteurs et d’un pilote automatique. « SeaKite permet d’économiser jusqu’à 20% de carburant. Les voiles mesurent 200 mètres carrés, mais à l’avenir elles pourront aller jusqu’à 1600 mètres carrés. Il y a de la place dans l’air ! » 

Le dérèglement climatique, Yves Parlier l’a éprouvé dans ses courses : « La violence des cyclones s’est accrue, les vents d’ouest sont plus musclés, les alizés moins bien établis qu’autrefois. » Mais il est convaincu que l’innovation technologique peut jouer un rôle pour en limiter les effets. « Il y a encore énormément d’innovations possibles dans le vélique, et avec mes équipes, nous essayons tout le temps de nouvelles solutions. » Et quand on l’interroge sur ce qui résume sa carrière, il se montre lucide : « C’est bien de participer à l’évolution du monde. Il ne faut pas mettre de frein à ses rêves, ne jamais rien lâcher pour arriver à ses objectifs. » Parole de marin.

* Contrairement au spi, voile fixée au mât utilisée en vent arrière, le kite vole en altitude, où le vent est plus fort et stable, ce qui lui permet de tracter un navire même quand il navigue dans la direction du vent .