En ce mois d’août 2024, Alain Thébault, marin au long cours et entrepreneur, est difficile à joindre. Il est préoccupé par une opération exceptionnelle que sa femme a subie : une transplantation du cœur. « On lui a changé le cœur ! Quand on y songe, c’est complètement irréel. Pendant quelques instants, au bloc opératoire, sa cage thoracique était vide ! », s’émerveille-t-il. 

Une épreuve de plus pour un homme que les tempêtes n’ont pas épargné, sans jamais l’empêcher d’arriver à bon port. « Je me suis pris pas mal de râteaux dans ma vie, c’est vrai. Mais ce qui ne m’a pas tué m’a rendu plus fort, je me reconnais bien dans cette phrase de Nietzsche ! », confesse-t-il en souriant. « Un jour j’ai croisé Boris Cyrulnik qui avait lu mon premier livre. Il s’est exclamé : tu es l’incarnation de la résilience ! Tu remontes le caillou et quand tu arrives en haut, il retombe en bas de la montagne, comme Sisyphe ! » 

Ces épreuves, il les raconte dans un nouveau livre optimiste et émouvant, Les sillages de l’audace, aux éditions Solar, qui sort en septembre. On apprend ainsi au détour d’une page qu’il a fait la douloureuse expérience des nuits dans la rue, à l’adolescence. Quelques décennies plus tard, en février 2005, il battait de deux minutes trente-six secondes le record du monde de traversée de la Manche établi par Louis Blériot en 1909. « Je veux livrer un message d’espoir et montrer aux jeunes que même sans famille fortunée et sans réseau, on peut aller loin. Quand vous n’avez pas de parents pour vous fixer un cadre, vous allez à l’essentiel. »

Sa rencontre avec Éric Tabarly fut déterminante : avec son soutien, il dirige la construction de l’Hydroptère, un bateau multicoque à foils qui a raflé plusieurs records de vitesse (95 km/h), avec une équipe d’ingénieurs de l’aéronautique. « Notre bateau se cassait tout le temps sur la mer. On a donc voulu le faire voler à l’aide de foils pour le soulever. Tout le monde nous a ri au nez ! Heureusement, Éric était un mythe vivant, ça nous a aidés à mener à bien des projets, se souvient-il. Nous avons battu le record mondial de vitesse à la voile en 2009 à plus de 51 nœuds. »

Avec le succès de l’Hydroptère, ses filles le poussent à mettre ces innovations au service de la collectivité. « La performance doit servir à tous. Battre un record en faisant voler un bateau, c’est bon pour l’ego, mettre cette idée au service de la collectivité, c’est bien plus puissant », reconnaît-il.

Il applique l’idée au transport de passagers avec Seabubbles en 2019, un concept de navettes fluviales qui conjugue l’électricité et les foils. Les politiques sont séduits, mais la mise en œuvre du projet se heurte à des obstacles réglementaires. Ayant préféré revendre Seabubbles, le concept a été repris et développé en Suède et en Angleterre. Avec obstination, Alain Thébault rebondit sur une nouvelle idée, Fly Box, cette fois pour faire voler des conteneurs de fret sur l’eau. En septembre, il lance la première ligne pilote en Méditerranée. « C’est un moyen de transport très green pour décarboner et décongestionner les voies routières. Si on arrive à faire voler des milliers de conteneurs dans les ports du monde entier, j’aurai accompli ma part pour un monde meilleur, comme le colibri de Pierre Rabhi, que j’aimais beaucoup. »