Les consommateurs en quête de sens
18/10/2018Consommer mieux, c’est acheter moins, affirment les Français. Et c’est notamment acheter moins de grandes marques, qui ont perdu leur valeur statutaire. Désormais, l’expérience de consommation l’emporte sur le poids de la marque. Pour reprendre la main, les marques n’ont d’autre choix que de miser sur la qualité et l’authenticité.
Pour 8 Français sur 10, « consommer mieux, c’est consommer moins ». C’est l’un des enseignements d’une étude réalisée par l’Ipsos auprès d’un panel représentatif de 2 000 personnes pour l’Observatoire E.Leclerc des Nouvelles Consommations. Le sociologue de la consommation Patrice Duchemin résume en une formule, dans Influencia, le sentiment des Français : « La consommation ne rime plus avec accumulation. »
Cette prise de distance avec la fièvre acheteuse commence à trouver une traduction concrète dans les chiffres de vente, notamment dans la grande distribution. « La France devient une société de déconsommation », titrait en septembre 2018 le journal Les Échos, qui résume ainsi la situation : « Les études montrent que les Français mettent de moins en moins de produits dans leur panier. Ils privilégient la qualité. » Sur le premier semestre 2018, la société d’études IRI note dans les grandes surfaces « une baisse des volumes d’un niveau jamais atteint en cinq ans » : les ventes de petits pois, de lessives et autres shampoings ont trébuché de 1,2 %.
« Une véritable révolution dans les arbitrages de consommation »
Cela traduit une nouvelle façon de consommer des Français. « Dans les grandes villes, on voit revenir des crémiers, traiteurs, cavistes, épiceries fines, etc., qui incarnent, aux yeux d’une certaine catégorie de consommateurs, la convivialité, l’authenticité, un lien social avec des ‘vrais gens’ sur des ‘vrais territoires’ », fait entre autres valoir dans Atlantico Philippe Moati, cofondateur de l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo).
« On assiste à une véritable révolution dans les arbitrages de consommation : le prix n’est plus le seul critère déterminant et ce, même chez les plus petits budgets », observe l’Observatoire E.Leclerc des Nouvelles Consommations. Les consommateurs privilégient notamment les achats qui correspondent à leur vision de la société, autour de valeurs plus sobres et moins consuméristes.
Que deviennent les marques dans ce nouveau paysage ?
Alors que les consommateurs s’interrogent sur le sens de leurs achats, ils s’en remettent de moins en moins aux grandes marques pour les aider à faire leurs choix. D’après une étude publiée cet été par OpinionWay, au moment d’acheter, les Français privilégient avant tout la qualité (à 95 %), juste devant le prix. La marque arrive loin derrière : seuls un quart des consommateurs établissent un rapport entre la marque et la qualité du produit.
Cette proportion de Français qui se fient aux marques semble vraiment faible. Mais elle est confirmée par d’autres études, comme l’enquête 2018 de LSA sur la relation entre marques et consommateurs : ici aussi, seuls 24 % des Français interrogés considèrent la marque comme un critère de choix essentiel lors de leurs achats.
En cause : la succession de scandales alimentaires et industriels qui a profondément marqué les esprits et affecté le lien de confiance. Mais les liens se distendent aussi car les grandes marques perdent de leur pouvoir dans l’imaginaire des consommateurs.
Les grandes marques ne sont plus des marqueurs sociaux
« Hormis une part assez limitée de la population, chacun accède aujourd’hui à tout ou presque, analyse Philippe Goetzmann, directeur des relations institutionnelles chez Auchan, dans une interview au site Air of Melty. Des produits chers ne sont plus en soi des marqueurs sociaux. Qu’il s’agisse d’un sac Louis Vuitton ou du dernier iPhone, ou encore de produits haut de gamme en hyper, aucun n’est en soi un marqueur de classe sociale. Chacun arbitre désormais ses choix d’investissement selon ses domaines d’intérêt. (…) Les marques de grande consommation premium n’ont plus de vocation statutaire. »
Pour l’Observatoire E.Leclerc des Nouvelles Consommations, « c’est le grand retour de l’individu, qui s’émancipe et fait pleinement usage de son libre arbitre, par-delà les modes et par-delà même son appartenance à un groupe social ».
« Aujourd’hui, chacun vise à acquérir un statut personnel qui le distingue et cherche donc des marqueurs sociaux (des marques) qui expriment cette différence, poursuit Philippe Goetzmann. En parfumerie, cela passe par exemple par le succès de Nyx ou de nombreuses petites marques plus identitaires que L’Oréal ou Gemey. En bière, on note une croissance hallucinante des petites brasseries. En automobile, on voit les déclinaisons multiples des modèles et des options dans les modèles. On est loin de la R5 des années 70. »
Et cela se manifeste nettement dans le panier des consommateurs. « Presque 100 % de la croissance PGC en 2017 en France est le fait des petites marques », indique le directeur des relations institutionnelles d’Auchan, qui développe : « La croissance est le fait des marques ‘locales’ ou à mon sens plus clairement des marques ‘incarnées’ par des vrais gens, et qui sont porteuses de sens. »
Retour au rôle originel des marques comme gage de confiance
Les marques traditionnelles sentent bien le danger, d’autant qu’Internet facilite l’éclosion de nouveaux acteurs. Regroupées sous l’acronyme DNVB (Digital Native Vertical Brands), ce sont des marques comme Le Slip Français ou Sézane, très identitaires, faisant le pari de la qualité avec des frais de distribution moins importants car vendues en direct (voir notre article : Les recettes de ces marques qui cartonnent sur Internet).
Pour profiter de la croissance de ces jeunes marques, les groupes traditionnels n’hésitent pas à les racheter. Sur le marché des cosmétiques, L’Oréal a pris le contrôle de Nyx, mais aussi de Urban Decay ou encore de IT Cosmetics.
Et sur leur cœur d’activité, les grandes marques sont contraintes à plus d’authenticité et de transparence. Leur valeur ne réside plus dans le statut ou la symbolique qu’elles portaient. « La marque retrouve son rôle originel, celui de caution et de gage de confiance », décrypte Influencia.
Cela passe parfois par des transformations en profondeur de leurs produits et de leurs pratiques. Dans de nombreux secteurs, la tendance est désormais de proposer des produits « sans ». Sans paraben, sans additif, sans gluten… Dans l’alimentaire notamment, les marques sont sous le feu de l’application Yuka : déjà téléchargée par 5 millions de personnes en France, selon France Info, elle permet en scannant le code-barres d’un produit de tout connaître de sa composition, et d’être alerté en cas de présence d’additifs ou d’une trop faible qualité nutritionnelle. Gare aux produits qui font virer l’application au rouge…
Pour s’adapter aux attentes des consommateurs, Danone vient de reverser la totalité de son chiffre d’affaires réalisé le 21 septembre dernier (soit environ 5 millions d’euros) à des projets favorisant la transition vers une agriculture régénératrice, préservant les sols et la biodiversité, respectant le bien-être animal et soutenant les agriculteurs. C’est un des aspects d’un vaste plan annoncé par le groupe en début d’année visant à développer le bio dans toutes ses gammes (jusqu’à 100 % en 2020 pour les marques pour enfants). Le groupe promet également que 100 % de ses produits cultivés en France seront issus d'une agriculture durable en 2025.
La mode veut redorer son blason
La mode est aussi en train de revoir ses pratiques pour devenir plus écoresponsable. « Après le pétrole, c’est l’industrie la plus polluante au monde », souligne La Minute Conso. Le tissu vient en effet, dans 58 % des cas, de la pétrochimie. Ou sinon du coton, très gourmand en eau, pesticides et engrais. Sans parler des matériaux d’origine animale.
En septembre dernier, la maison de couture britannique Burberry a annoncé qu’elle mettait fin à la destruction des vêtements invendus, qui seront désormais soit recyclés soit donnés. Dans le prêt-à-porter, H&M met également l’accent sur une production plus responsable, et propose de recycler les vêtements de ses clients : ceux qui apportent un sac de vêtements usagers, quelle qu’en soit la marque, reçoivent un bon de réduction de 15 % à valoir sur l’article de leur choix. L’enseigne teste même un service « Take care » pour réparer gratuitement ses articles abîmés (voir notre Tendance : L’économie circulaire, nouveau levier d’expériences client).
Les distributeurs se mobilisent aussi pour guider leurs clients dans leur quête de produits responsables et durables. Les Galeries Lafayette ont lancé en cette rentrée 2018 l’initiative Go for Good pour mettre en avant une sélection d’articles de 500 marques dans le domaine de la maison, de l’alimentation et de la mode, qui participent « au respect de l’environnement, au développement social et/ou à la production locale ».
Et à partir du 5 décembre, pour les fêtes de fin d’année, Monoprix mettra en avant le made in France dans ses rayons avec l’opération « Le Patrimoine Français » (image ci-dessus), proposant des marques comme Armor Lux, Le Slip Français ou encore Opinel. Avec l’objectif de redonner envie de consommer à des clients qui s’interrogent sur leurs achats.
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« Go for Good », le label éthique et chic des Galeries Lafayette
Partant du constat que l’industrie de la mode est la deuxième plus polluante au monde, les Galeries Lafayette veulent devenir une vitrine pour une mode plus éthique. Le groupe a ainsi inauguré le 5 septembre son label « Go for Good » via un espace éphémère (jusqu’au 10 octobre) de 300 mètres carrés dans son magasin de Paris-Haussmann. Près de 500 marques, dont Louis Vuitton et Stella McCartney, participent à cette opération et plus de 10 000 références bénéficient du label. Pour y avoir droit, les produits – majoritairement de mode, mais aussi dans l’alimentaire et la beauté – doivent répondre à au moins 1 des 38 critères sociaux et environnementaux sélectionnés, tels que le choix des matières premières ou la promotion de produits qui œuvrent au bénéfice de l’environnement, au développement social ou au « Made in France » par la préservation d’emplois locaux. « Il ne s’agit pas d’un coup de com’ mais d’un engagement ancré dans notre culture d’entreprise, précise dans Le Figaro Guillaume Houzé, directeur de l’image et de la communication des Galeries Lafayette. Désormais, à notre slogan ‘Rendre accessible le beau et le bon’, nous ajoutons la notion de bien. »