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Retail as a service : l’avenir de la consommation ?

23/05/2019

Les attentes des consommateurs évoluent : ils se disent prêts à acheter moins de produits, mais ils veulent toujours profiter de leur usage. De nouvelles offres émergent, privilégiant le service au produit. Le business model de Netflix inspire de nombreux secteurs. Décryptage.

Que recherchent vraiment les clients d’une marque de lessive ? Acheter des paquets de détergent… ou avoir des vêtements propres ? C’est cette seconde piste qu’explore Tide. Cette marque du groupe Procter & Gamble (près d’un cinquième des ventes de lessives liquides aux États-Unis) vient de lancer Tide Cleaners, un service de blanchisserie et de pressing. Son objectif : disposer de 2 000 boutiques aux États-Unis d’ici 2020. Tide possédait déjà un embryon de réseau de laveries. Mais la marque veut aujourd’hui structurer cette offre et l’étendre à tout le pays en apportant un réel service. Concrètement, Tide Cleaners s’appuiera sur des pressings traditionnels mais surtout sur des casiers de dépôts accessibles 24h/24 et 7j/7 dans des halls d’immeubles ou dans des commerces de proximité. Ces casiers sont utilisables via l’application Tide Cleaners, qui envoie une notification une fois les vêtements lavés et ramenés dans le casier.

« Nous constatons une évolution du marché, du produit vers le service »

Cet exemple, où une marque s’appuie sur son expertise produit pour en faire un service, n’est pas un cas isolé. En restant dans le même univers, le fabricant d’électroménager Miele vient de lancer en Europe un service équivalent à celui de Tide. Proposé depuis le début de l’année à Amsterdam, avant un déploiement vers d’autres villes, le Miele Laundry Club collecte les vêtements et les rend propres et repassés dans les 48 heures. « Nous constatons une évolution du marché, du produit vers le service », fait valoir Stefan Verhoeven, directeur général de Miele Pays-Bas.

Cette « servicisation » de la consommation, où le résultat prime sur l’acquisition d’un produit, est une tendance émergente qui touche tous les secteurs. Nous l’avons intitulée Retail as a service, en référence au modèle Software as a service (SaaS) qui veut que, schématiquement, le client n’achète pas un logiciel mais s’abonne pour en avoir l’usage sur un serveur distant. Ce principe de consommation a le vent en poupe car il répond à plusieurs attentes. Interrogés par l’Observatoire des consommations émergentes, 77 % des Français déclarent par exemple privilégier l’usage à la possession.

« Pour les gens, acheter un bien n’est pas une finalité, nous explique dans une interview Philippe Moati, cofondateur de l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo). Quand les entreprises mettent vraiment le client comme point de départ de leur réflexion stratégique, elles prennent conscience que le produit n’est qu’un intermédiaire. »

La dimension environnementale est par ailleurs de plus en plus prégnante dans les choix de consommation. Ce qui peut aussi se traduire par une moindre envie de consommer. Selon une étude de mars 2019 de l’Ademe, « 47 % (+10 points par rapport à 2017) des Français, toutes catégories de revenus confondues, déclarent désormais ‘consommer moins’. 34 % (+6 points par rapport à 2017) optent désormais pour des produits ayant moins d’impacts sur l’environnement ». Passer de la vente d’un produit à celle d’un service ou d’un usage permet de concilier ces différentes aspirations.

Devenir le Netflix du retail

Le business model qui inspire aujourd’hui est celui de Netflix. Un abonnement pour un usage illimité, avec une expérience client pilotée par la data. Les médias ont ainsi salué une prochaine offre d’Ikea avec ces titres : « Pourquoi Ikea s’apprête à lancer le Netflix du meuble » (BFM), « Ikea veut devenir le Netflix de l’ameublement » (Sud Ouest)…

Ikea vient en effet d’annoncer qu’il allait lancer dès 2020 un service de location de mobilier dans une trentaine de pays dont la France. « Quand la période de location est terminée, vous rendez le meuble et vous pouvez louer quelque chose d’autre, explique Torbjorn Loof, le PDG d’Inter Ikea au Financial Times. Et au lieu de les jeter, nous les rénovons un peu et nous pourrions les vendre, prolongeant ainsi la durée de vie des produits. »

« Nous avons mené beaucoup d’études, nous avons parlé à des gens, clients ou non d’Ikea, sur dix marchés différents et nous avons constaté que les attentes des consommateurs changeaient », notamment vis-à-vis de l’environnement, indique Pia Heidenmark Cook, responsable du développement durable au sein du groupe Ikea. Cette offre de location pourrait avoir un réel impact sur l’environnement : selon le site Pacific Standard, Ikea consommerait à lui seul 1 % de l'ensemble du bois utilisé sur la planète !

Des abonnements avec des services qui simplifient la vie

L’abonnement suscite l’intérêt de nombreuses marques. C’est d’ailleurs un des éléments de l’offre de Tide Cleaners : la marque de lessive américaine propose un abonnement mensuel aux étudiants pour le nettoyage de leurs vêtements. Avec un service global pour leur simplifier la vie : des camionnettes viennent sur les campus récupérer les sacs de linge sale et les ramènent après nettoyage. Tout le process s’organise grâce aux smartphones, pour connaître par exemple l’heure de passage des camionnettes.

Autre exemple de ces abonnements agrémentés de services qui arrivent : depuis la fin 2018, Bridgestone déploie des forfaits mensuels pour les pneus des voitures. Son offre Mobox, à partir de 7 € par mois, permet de profiter de pneus, de leur montage, d’une garantie complète en cas de détériorations, ainsi que de divers services : vérification et permutation des pneus, contrôle du parallélisme, etc.

Mais le secteur qui reste le plus prolifique pour les offres d’abonnement est celui de l’habillement. Cela concerne le haut de gamme. À Paris, le Bon Marché (photo ci-dessus) vient par exemple de lancer un service de location de vêtements de luxe en partenariat avec le site Armarium, relate FashionNetwork. Mais des gammes de vêtements plus casual sont aussi concernées. Depuis le début de l’année, American Eagle propose un abonnement à 49,95 dollars par mois permettant de bénéficier en permanence de trois articles, et en pouvant en changer de façon illimitée, détaille Business Insider. En France, Bocage vient de décider de déployer à grande échelle son offre de location de chaussures, à partir de 29 € par mois.

Des demandes paradoxales des consommateurs

Ces offres permettent de répondre à des demandes parfois paradoxales des consommateurs, qui cherchent des modèles de consommation plus respectueux de l’environnement, mais qui portent aussi de moins en moins longtemps leurs vêtements, en quête de renouvellement dans leur garde-robe. D’après un article de Bloomberg au titre explicite, The Future of Fashion Is a Rented Dress (L’avenir de la mode est dans la location de robe), le nombre de fois où un vêtement est porté avant d’être jeté a pratiquement été divisé par deux entre 2003 et 2016.

Avides de nouveautés, certains consommateurs indélicats se tournent vers le wardrobing, (contraction de wardrobe, la garde-robe, et robbing, voler) : ils commandent des articles en ligne pour les porter une ou deux fois, avant de les retourner et se faire rembourser. D’après une étude récente, c’est par exemple ce que feraient 21 % des consommateurs anglais entre 25 et 34 ans. Une offre structurée d’abonnement pour des vêtements pourrait être une réponse à ce type de pratiques. Pour revenir sur le parallèle avec Netflix, l’arrivée de son offre bon marché et très facile d’utilisation avait permis de freiner le piratage sur Internet.

Le boum des recettes en kit

La « servicisation » de la consommation peut prendre de nombreuses formes, y compris pour des denrées consommables. C’est l’exemple du marché des recettes en kit, actuellement en plein boum. L’idée de vendre des box avec les ingrédients exacts pour faire des recettes s’est développée sur Internet, souvent par abonnement. C’est ce que proposent en France Quitoque.fr, Foodette.fr ou encore HelloFresh.fr.

Les consommateurs américains adorent ce principe. Sur les six derniers mois de 2018, 14,3 millions de foyers aux États-Unis ont acheté un de ces kits. En progression de 36 % sur un an, d’après une enquête de Nielsen qui parle d’« enthousiasme des consommateurs » pour ces recettes en kit.

Aujourd’hui, l’engouement a gagné le offline : 60 % de la croissance du marché vient de l’achat de kits directement en magasin. Plutôt qu’acheter et peser les ingrédients un par un la recette à la main, les consommateurs se tournent vers des kits tout faits, sans risque d’oubli ou de gâchis. 187 recettes différentes sont arrivées sur les rayons en 2018.

Cette tendance émerge en France, et déjà une nouvelle étape se profile : des startups comme Jow, qui a un partenariat avec Monoprix, ou FlyMenu, qui a des accords notamment avec L’Atelier des Chefs et Franprix, proposent de transformer des recettes en listes de courses. Une recette vous plaît ? En un clic, les ingrédients nécessaires sont dans le panier d’un site de e-commerce pour être livrés à domicile. Une autre façon de voir le Retail as a service. 

La suite de notre dossier : 5 enseignes qui transforment leurs magasins pour apporter de nouveaux services.

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