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Entre live shopping et quête de sens, quelles réponses à des clients plus rationnels ?

24/03/2022

De plus en plus de consommateurs réfléchissent à deux fois avant d’acheter. Sous la contrainte environnementale ou économique, les achats d’impulsion se font plus rares. En réponse, les marques cherchent les moyens de redonner du plaisir à consommer. Mais elles veillent aussi à accompagner les clients dans leurs attentes d’une consommation plus réfléchie. Décryptage.

« Nous ne sommes pas dans les années folles. » Dans l’interview qu’elle nous a accordée, Pascale Hébel, Directrice du pôle Consommation du Crédoc, le Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie, résume d’un trait le sentiment actuel des Français vis-à-vis de la consommation. Au moment de réaliser un achat, ils adoptent une attitude de plus en plus réfléchie et rationnelle. Plusieurs facteurs l’expliquent. À commencer par le retour de l’inflation et les tensions sur le pouvoir d’achat provoquées par la hausse du prix de l’énergie. « Nous ne voyons pas encore de course effrénée vers les premiers prix », tempère Gaëlle Le Floch, Strategic Insight Director chez Kantar Worldpanel France, que nous avons aussi interviewée. Ses études réalisées auprès des consommateurs montrent toutefois que le prix est devenu le premier critère de choix des produits du quotidien.

Le succès d’enseignes discount comme Lidl ou Aldi le montre bien. Aldi, qui a racheté Leader Price, a vu son nombre de clients progresser de 25 % en 2021, indique LSA. « Les clients apprécient de faire leurs courses dans ces enseignes car ils y ont aussi moins de tentations, décrypte Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce (lire son analyse 2022, l’année des injonctions contradictoires). Chez Aldi, il y a moins de marques nationales et moins de références que dans d’autres réseaux. Cela aide à dépenser moins. »

Pour d’autres catégories de consommateurs, globalement plus aisés, la réflexion avant l’achat vient aussi de préoccupations environnementales. Ai-je vraiment besoin de ce produit ? Le Crédoc parle de « frugalité volontaire ». 6 Français sur 10 estiment aujourd’hui que consommer de manière responsable, c’est d’abord supprimer le superflu et réduire sa consommation, selon une récente étude de l’Ademe. Quand l’achat est nécessaire, ces consommateurs privilégient des produits durables et éthiques. Ils ont aussi totalement intégré l’achat de produits de seconde main. « 60 % des Français achètent des vêtements d’occasion », illustre Pascale Hébel.

La digitalisation de la consommation a aussi contribué à une plus grande rationalisation des achats. Sur Internet, les consommateurs peuvent plus facilement comparer les offres et les prix. Et pour les courses du quotidien, « au fur et à mesure que les clients remplissent leur panier virtuel, ils voient augmenter le montant du ticket de caisse. Ce qui peut freiner certains achats, pointe Gaëlle Le Floch. L’organisation des linéaires digitaux ne pousse pas par ailleurs aux achats d’impulsion ».

Les changements de comportement des consommateurs ne se limitent pas à Internet. Les Français se font plus rationnels quand ils se rendent en boutique. Avec deux phénomènes qui se combinent : ils se déplacent moins en magasin et y effectuent moins de shopping plaisir ou d’achats d’impulsion. C’est l’un des enseignements de l’Observatoire de la fréquentation des magasins publié début février par Procos, la fédération du commerce spécialisé. L’an dernier, la fréquentation des commerces a plongé de 19,4 % par rapport à 2019. Leurs ventes n’ont pourtant reculé que de 8,7 %. Car si les consommateurs viennent moins en magasin, ils se déplacent pour un besoin bien identifié. L’achat est préparé, le client sait ce qu’il recherche. Il prend de moins en moins le temps de flâner.

Le live shopping pour recréer les conditions du plaisir d’achat

Face à des Français qui réfléchissent à deux fois avant d’acheter, un canal de vente s’est imposé pour événementialiser la consommation : le live shopping. Il a émergé chez nous dans le contexte des confinements, permettant de proposer une expérience attractive reposant sur des vidéos interactives en direct. Le soufflé n’est pas retombé avec la levée des restrictions sanitaires. Les consommateurs restent séduits par cette nouvelle expérience d’achat qui emprunte aux codes du divertissement. Les lives sont en effet le plus souvent co-animés par un influenceur pour la dimension « entertainment », et par un représentant de la marque pour l’expertise. Ils sont aussi l’occasion de favoriser la fièvre acheteuse grâce à des promotions.

Une donnée explique l’engouement des marques : « Le taux de transformation sur un live est de 15 à 35 %, contre 1 à 1,5 % sur un site e-commerce selon les benchmarks d’iResearch, Gartner ou Deloitte », fait valoir e-marketing.fr. Leroy Merlin, Conforama, Decathlon, Ikks, H&M, Gemo, Yves Rocher, Sephora, les Galeries Lafayette, Cdiscount… Toutes les enseignes ou presque ont cédé aux sirènes de ce nouveau canal de vente. À lui seul, le groupe Fnac Darty a organisé 150 lives shopping ces deux dernières années. Les marques sont encouragées dans cette direction par les plateformes digitales qui, de YouTube à TikTok, en passant par Instagram, Facebook ou encore Snapchat, développent des formats dédiés au live shopping.

Nous ne sommes encore sûrement qu’au début du phénomène en France. Brut., le média digital qui s’est fait connaître par ses vidéos au format court, et le groupe Carrefour, qui revendique près de 50 lives réalisés en 2021, viennent d’annoncer qu’ils mettaient leurs expertises en commun pour créer une co-entreprise, Brut Shop, dédiée au live shopping. « Brut Shop se fixe pour objectif de réaliser 1 000 lives par an dès l’année prochaine », indique Le Figaro. Face à l’efficacité de ce canal de vente, Guillaume Lacroix, cofondateur et CEO de Brut., pose toutefois des garde-fous : « Notre ambition est d’inscrire tous nos développements dans les valeurs d’ouverture et de responsabilité sociale et environnementale qui fondent l’identité de Brut. » En Chine, 65 % des consommateurs ont commandé un produit grâce au live shopping.

De nouveaux business models pour intégrer une plus grande frugalité

Les consommateurs se montrant plus rationnels dans leurs choix, les marques adaptent aussi leur stratégie pour accompagner leurs clients vers plus de frugalité. Cela passe notamment par le développement de la seconde main. Signe des temps, Petit Bateau vient d’ouvrir sa première boutique dédiée à la seconde main. Cela fait plus d’un an que les magasins de la marque rachètent aux clients leurs anciens vêtements contre des bons d’achat. D’ailleurs, ce magasin situé près de Troyes était auparavant un magasin d’usine avec un corner pour la seconde main. Mais aujourd’hui, les proportions se sont inversées : pratiquement 100 % est consacré à l’occasion, avec près de 25 000 pièces en vente, et il ne demeure qu’un simple espace consacré à la nouvelle collection. Bientôt, Petit Bateau pourrait sa lancer dans une autre tendance forte permettant de rationaliser la consommation : la location de vêtements. Kiabi s’y est lancé l’an dernier en expérimentant un service de location de vêtements de maternité.

La seconde main gagne tous le secteurs. Leroy Merlin a lancé fin 2021 un site permettant aux particuliers d’évaluer le prix de leurs perceuses, visseuses et perforateurs. Si le prix leur convient, ils n’ont plus qu’à expédier gratuitement leur appareil via un relais Pickup Chronopost pour recevoir leur paiement en bons d’achat. Des bons d’achat à valoir naturellement chez Leroy Merlin.

Sur le même secteur, Castorama vient de nouer, en février 2022, un partenariat avec Back Market, la place de marché de produits reconditionnés. Une fois réparés, nettoyés et dotés d’une garantie 12 mois, les appareils concernés par cette offre seront proposés sur le site de Back Market, dans un espace dédié à Castorama, et sur le site de Castorama, dans un espace dédié à Back Market. Ici, l’enseigne ne rachète pas (encore) les produits à ses clients : les appareils proviennent du stock de produits retournés au service après-vente de Castorama. Le distributeur ne cherche plus aujourd’hui à les écouler discrètement : il veut être identifié comme un acteur de l’économie circulaire, sans craindre que les ventes de produits d’occasion ne cannibalisent les ventes de produits neufs. Il privilégie l’accompagnement de ses clients dans leurs nouvelles aspirations.

Comme nous le décryptons dans notre dossier Au revoir les produits, bonjour les services et les solutions, Fnac Darty a aussi intégré qu’il vendrait à l’avenir de moins de moins de produits neufs. Pour compenser la baisse de ces ventes, le groupe mise sur son abonnement Darty Max qui apporte une prise en charge de tous les appareils en cas de panne, même s’ils n’ont pas été achetés chez Darty. « Nous avons décidé de devenir les champions de la réparabilité. C’est une démarche citoyenne que demande le consommateur », pointe Enrique Martinez, Directeur général de Fnac Darty. Fnac Darty vise d’ici 2025 deux millions d’abonnés à Darty Max, « le Contrat de confiance du XXIe siècle ».

Apporter les preuves de sa proposition de valeur

Plus que jamais, les clients qui se lancent dans un achat veulent être sûrs de faire le bon choix. Et ils se montrent très méfiants vis-à-vis des entreprises. Seuls 34 % des consommateurs pensent que les entreprises sont de bonne foi quant à leurs engagements et à leurs promesses, selon l’étude Meaningful Brands 2021 d’Havas Group. « Les clients cherchent des preuves, de quoi se rassurer et répondre à leurs nombreuses aspirations et inquiétudes. De quoi est fait ce produit ? Est-il fabriqué en France ? Contient-il des substances indésirables ou des allergènes ? Respecte-t-il le bien-être animal ? Quel est l’impact social et environnemental des produits que j’achète ? », estime Thierry Spencer, Directeur associé de l’Académie du Service et auteur du blog Sensduclient.com.

La réglementation se fait de plus en plus exigeante pour donner aux consommateurs plus de transparence sur les produits qu’ils achètent. Sur le modèle du Nutri-Score, l’affichage d’un score carbone devrait par exemple être prochainement rendu obligatoire pour les vêtements, en application de la loi Climat votée en 2021. Plusieurs enseignes ont décidé de ne pas attendre cette obligation pour éclairer les clients sur l’impact environnemental de leurs vêtements. Camaïeu a mis au point une « éco-note » qui sera affichée, dans un premier temps, sur 170 articles dans les 512 magasins de l’enseigne à partir du premier trimestre 2022. Decathlon fait aussi du score carbone un argument de vente de ses produits textiles. Fin 2021, 63 % des vêtements et des chaussures de l’enseigne affichaient une note allant de A à E. L’étiquetage sera étendu à tous les produits de la marque en 2022. Autre illustration : La Poste a développé un système de calcul du score écologique de l’envoi d’un courrier ou d’un colis. Mieux : elle propose un outil pour calculer cet impact environnemental en fonction de ses propres critères.

Même une enseigne discount comme Lidl ne peut pas seulement compter sur des prix bas pour séduire les clients. Elle doit aussi contribuer à apporter du sens à la consommation. Dans ses rayons, elle met en avant le soutien aux producteurs locaux. Pour en apporter une preuve, Lidl a décidé d’ajouter une nouvelle étiquette sur les barquettes de viande : le « rémunéra-score ». Objectif : informer les clients sur la part du prix de vente qui revient aux producteurs. Ici aussi, le distributeur anticipe sur une future obligation légale. Cette pression réglementaire traduit les attentes de la société. « Les consommateurs ne sont plus des enfants dociles et insouciants », souligne Gaëlle Le Floch. Les marques doivent s’inscrire dans une relation plus mature, donnant les moyens de s’inscrire dans une consommation plus rationnelle.

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