Insaisissable, indignée, hétérogène… La génération Z rebat les cartes de la consommation

19/05/2022

Elle représente 4 % des dépenses des ménages en France, elle est difficile à déchiffrer… Et pourtant, de nombreuses marques n’ont d’yeux que pour la génération Z. Les moins de 25 ans constituent non seulement les clients de demain, mais dès aujourd’hui leur pouvoir d’influence est immense. Ils poussent les marques à s’engager sous peine de disparaître. Décryptage.

« Not your mother’s Tiffany ». Ce n’est pas le Tiffany de votre mère. C’est avec ce slogan choc que la marque de luxe a mené, aux États-Unis, une campagne de street marketing pour présenter sa nouvelle gamme de bijoux. Rompant avec ses codes habituels de communication, le joaillier emblématique de la 5e Avenue à New York a fait coller ses affiches dans des quartiers fréquentés par les moins de 25 ans, la génération Z, et a relayé sa campagne sur Instagram et Twitter.

En choisissant un message aussi clivant, Tiffany a naturellement pris le risque de s’aliéner une partie de sa clientèle existante. Ce qui n’a pas manqué, relate Marketing Week : la marque a dû faire face à une vague de vives critiques sur les réseaux sociaux venant de clientes se sentant rejetées car « trop vieilles ». Mais Tiffany, rachetée par LVMH, envisage désormais son avenir auprès de la génération Z. Elle constitue les clients de demain, et dès aujourd’hui, elle donne le ton. Certes en France, son pouvoir d’achat reste marginal : 4 % des dépenses des ménages d’après une étude d’OC&C, contre 13 % en Chine et 7,5 % au niveau mondial. « Mais si vous n’êtes pas une marque désirée par la jeunesse, les parents ne vous désirent pas non plus car la jeunesse est reine dans notre société », résume Éric Briones, auteur du livre « Le choc Z », que nous avons interviewé.  

Une génération insaisissable, pragmatique et activiste

La génération Z ? Ce sont 11,6 millions de personnes et 17 % de la population française. Elle est loin de constituer un groupe homogène. Certains entrent au collège, quand d’autres sont depuis plusieurs années sur le marché du travail. « La génération Z, en tant que génération, n’existe pas !, lance même Éric Briones. Elle est formée de nombreuses tribus, comme les écolo warriors ou les body positivistes qui regroupent principalement des jeunes femmes fières de leur corps. Un jeune peut appartenir à plusieurs tribus en toute fluidité. »

« Cette génération est relativement insaisissable », appuie Frédéric Dabi, Directeur général de l’Ifop et auteur du livre « La Fracture, comment la jeunesse d’aujourd’hui fait sécession ». Intervenant dans l’émission Soft Power de France Culture, il développe : « On a tendance à lui coller des épithètes. Génération Z, génération Greta Thunberg, génération Digital native… Mais on voit une très grande hétérogénéité. La jeunesse n’est pas un bloc monolithique. Toutefois, la crise du Covid a créé une sorte de conscience générationnelle. Cette jeunesse, que ce soit un étudiant, un lycéen, un startuper, une personne en recherche d’emploi, a vécu un peu de la même manière cette crise et a digéré les représentations qu’on lui a associées. Elle a été sacrifiée au profit des plus âgés, elle a été stigmatisée, elle va payer la dette (…). Et elle a perdu le sel de la vie. » La crise sanitaire, qui s’ajoute aux crises environnementale, sociale, terroriste, a contribué à rendre cette génération plus pragmatique, et plus activiste, que ses aînées. Les moins de 25 ans n’hésitent pas à prendre parti, à s’engager, à manifester pour défendre les causes qui leur tiennent à cœur.

En dehors des cases marketing

« En termes de cible marketing, la génération Z ne rentre pas dans les cases, déjà parce qu’elle ne supporte pas les stéréotypes qui lui sont légués par les plus anciens, reprend Éric Briones. Elle est, par exemple, complètement allergique à la notion de genre alors que la base du marketing a toujours été de séparer les hommes et les femmes. Cette génération est vraiment complexe à comprendre pour les marques. » Ses comportements peuvent en effet sembler paradoxaux. Alors que les moins de 25 ans sont profondément sensibilisés aux enjeux sociaux et environnementaux, ils font aussi le succès de sites d’ultra fast fashion comme Shein (lire notre article Comment la marque chinoise Shein est devenue le premier site d’achat de vêtements des 15-24 ans en France). « Ils ne sont pas dans une pensée binaire, décrypte Éric Briones. Et cela s’exprime dans leur consommation, qui peut être en même temps hyper écolo et hyper polluante. »

« Matérialistes et consommateurs responsables, narcissiques friands de selfies et soucieux de l’élan collectif, les Z fonctionnent en ‘et’ et non pas en ‘ou’ », abonde une enquête de la télévision suisse RTS. « C’est une génération remplie de paradoxes qui exige des marques ce qu’elle ne parvient pas toujours à faire : joindre les actions aux paroles, complète dans un article pour J’ai un pote dans la com Jane Henrion, Strategic planner au sein de l’agence Socialclub. Dans la revendication plus que dans l’action concrète, l’achat représente pour les Z un manifeste de leur engagement, de leurs convictions et de leurs valeurs. Les marques ont donc un réel rôle à tenir pour rester désirables et éviter le boycott. »

Répondre à l’exigence d’engagement

Rester désirable, cela signifie d’abord répondre à la demande d’engagements sociétaux et environnementaux de la génération Z. Cela doit se traduire dans les produits, dans leur impact environnemental, dans les conditions de travail des producteurs et des collaborateurs… Mais pas uniquement. Nike l’a bien compris. La marque s’est par exemple clairement prononcée en faveur du mouvement Black Lives Matter, dénonçant sur ses réseaux sociaux le racisme aux États-Unis. L’équipementier sportif a aussi matérialisé son soutien par un don de 40 millions de dollars au mouvement. Nike montre ainsi clairement que ses valeurs sont alignées sur celles du plus grand nombre de ses clients parmi la génération Z. Auparavant, la marque avait déjà choisi comme ambassadeur Colin Kaepernick, le joueur de football américain qui avait posé un genou à terre lors de l’hymne national pour protester contre les violences policières, et qui s’était retrouvé sans contrat avec un club. Nike avait traduit son engagement dans le slogan d’une campagne d’affichage (ci-dessus) : « Croyez en quelque chose. Même si cela exige de tout sacrifier. »

Mais gare au wokewashing, l’équivalent du greenwashing appliqué aux causes sociétales. La génération Z peut vite détecter les démarches non authentiques et les crucifier sur les réseaux sociaux. 

Comprendre les codes de la génération Z

Communiquer avec les moins de 25 ans nécessite naturellement d’en maîtriser les codes. Ainsi, d’après le carnet de tendances de l’agence Jin dont est tirée l’illustration ci-dessus, ils n’emploient plus les émojis de la même façon que les générations précédentes. Pour créer de la connivence avec cette génération, certaines marques semblent prêtes à tout. L’agence souligne notamment que « des marques font exprès de faire des fautes d’orthographe dans leurs vidéos TikTok pour que les contenus ne puissent être appréciés que par les initiés ». Ce qui n’est pas nécessairement un gage d’authenticité pour s’adresser à la génération Z.

En tout cas, si vous cherchez la génération Z, vous la trouverez principalement en ligne. Elle est née avec le numérique. Le premier iPhone est sorti en 2007 quand les plus âgés des Z avaient à peine 10 ans. Aujourd’hui, même quand ils regardent un film ou un contenu en streaming, ils gardent leur téléphone à la main : 72 % sont sur les réseaux sociaux tout en regardant la télévision, selon une étude de Vivendi Brand Marketing.

En moyenne, les Z passent plus de 3 heures par jour sur les réseaux sociaux. Avec en tête Instagram et Snapchat, utilisés par 89 % d’entre eux, suivis par YouTube (82 %) et TikTok (74 %). Pour communiquer avec eux, un conseil : faites court. D’après l’étude de Vivendi Brand Marketing, la capacité moyenne d’attention de la génération Z est de 8 secondes. Dans les années 2000, le temps d’attention sur la même tranche d’âge était de 12 secondes…

Attention toutefois au cliché de jeunes coincés dans le numérique et isolés du monde réel. La génération est non-binaire. « C’est physique et digital, observe dans Les Échos l’anthropologue Elisabeth Soulié, auteur du livre « La génération Z aux rayons X ». Cette génération fait des allers-retours incessants entre les deux mondes. Elle les unit. » La crise sanitaire a accru leur besoin de relations dans le monde réel. « Un besoin d’éprouver le corps de l’autre, dit-elle. Cette génération a été terriblement malheureuse d’être assignée derrière son écran. »

Le rôle des micro-influenceurs proches des Z

Ayez aussi en tête que la publicité traditionnelle n’a plus la cote chez les moins de 25 ans. Ils rêvent d’une communication plus authentique. Selon une étude réalisée aux États-Unis, plus de 8 jeunes sur 10 préfèrent que les marques mettent en scène de vrais clients. Ils apprécient notamment que les produits soient présentés par des influenceurs dont ils se sentent proches, avec lesquels ils ont le sentiment d’entretenir un rapport de confiance. Une stratégie dans laquelle Shein est passée maître, encourageant ses clientes disposant d’une petite communauté sur TikTok à filmer leurs essayages de vêtements. « Ce ne sont pas vraiment des vidéos d’influenceurs, plutôt des utilisatrices lambdas comme moi, estime une fidèle de la marque. Les vidéos ne sont pas sponsorisées, il y a un côté plus vrai, plus accessible… »

Edikted, une marque américaine de prêt-à-porter féminin, s’est inspirée de cette démarche pour émerger auprès des jeunes consommatrices. « Il y a de grandes chances que vous n’ayez jamais entendu parler d’Edikted, mais la génération Z connaît, elle, bien cette marque, pointe Glossy, un site dédié à la beauté et à mode. Le hashtag #edikted a été vu 183,6 millions de fois sur TikTok, alors que la marque a à peine un an. »

Pour créer le buzz, Edikted a envoyé en masse ses vêtements à des influenceurs sur TikTok, sans les rémunérer, et leur a suggéré de mettre en scène des « hauls », des vidéos de déballage de ses produits. Pour initier le mouvement, la marque a proposé d’accompagner les publications sur TikTok d’un code de promotion. Des micro-influenceurs pouvaient ainsi offrir un cadeau à leur communauté. « Sans que nous ayons besoin de leur demander, de nombreux clients ont rejoint le mouvement », se réjouit la PDG d’Edikted Dana Israeli. Comme ses vêtements sont dans l’air du temps et que leur packaging est rose flashy, faire des vidéos d’unboxing pour Edikted est devenu un phénomène viral.

Comment la marque Jennyfer s’est reconnectée avec les Z

En 2018, Jennyfer était en perte de vitesse, souffrant d’une mauvaise image. « Des vêtements de mauvaise qualité, pas très beaux, vendus dans des boutiques de petites villes de province ou dans les centres commerciaux des grandes villes », résume Slate. « Pour recruter à nouveau des acheteuses, il nous fallait redonner une identité et une pertinence à Jennyfer, la rendre cool et désirable pour sa cible, mais sans pouvoir compter sur son offre, ni son passé, ni même son nom », explique Sébastien Bismuth, qui a racheté la marque. C’est le début d’une grande campagne pour reconnecter l’enseigne avec les adolescentes, qui commence par un changement de nom pour démonter les clichés : Jennyfer devient Don’t Call Me Jennyfer. « À cette génération qui refuse toute assignation, nous avons parlé comme une marque qui refuse d’être réduite à son ‘prénom’. Nous avons choisi de faire du nom de la marque le symbole du refus des déterminismes et des étiquettes. Don’t Call Me Jennyfer était née », se souvient Georges Mohammed-Chérif, Président de l’agence Buzzman en charge de la campagne.

Pour prôner ce refus des étiquettes, les affiches publicitaires se couvrent des mots que l’on accole à la marque et à ses clientes : « cagole », « racaille », « boloss », « gamine »… Ils sont barrés d’un coup de peinture rouge rageur, avec en signature « Zéro étiquette ».

Ce renouveau de la marque s’accompagne de collaborations avec des influenceurs : Léna Situations, Bilal Hassani, Mayadorable ou encore Johan Papz, qui lancent leur collection avec DCM Jennyfer, et en font la promotion sur leurs réseaux sociaux. Pour Johan Papz (1,3 million d’abonnés sur YouTube, 950 000 sur TikTok, 780 000 sur Instagram), le fait de développer une collection avec des influenceurs que les jeunes connaissent et qui ont à peu près le même âge et les mêmes valeurs apporte une plus grande légitimité à la marque : « C’est bien beau de faire des collaborations avec Ariana Grande ou Billie Eilish, mais les personnes s’y identifient plus difficilement par rapport à des gens comme nous. »

En lien avec les valeurs de la génération Z, la plupart des vêtements lancés avec des influenceurs sont unisexes. « La clientèle de DCM Jennyfer est d’abord féminine, relève Johan Papz. Mais depuis, beaucoup de garçons ont acheté les tenues et les ont postées sur les réseaux sociaux. Avec ma sœur [avec laquelle il a travaillé pour DCM Jennyfer], on tenait vraiment à faire des vêtements mixtes. Donc, si on peut ouvrir la voie sur des fringues non genrées, c’est cool. »

DCM Jennyfer, c’est aussi une enseigne qui mise à la fois sur le e-commerce et sur un réseau de 240 magasins, en cours de transformation vers un nouveau concept autour de cabines TikTok, de caisses en self-checkout, d’un bar à licences regroupant les tee-shirts issus de licences diverses (Disney, Netflix…), etc. Signe que la génération Z ne déserte pas, loin de là, les magasins.

La stratégie fonctionne. Sur sa cible, entre 2018 et 2021, DCM Jennyfer est passée de 10 à 16 points de parts de marché, selon Kantar. Et déjà les yeux se tournent vers la génération suivante, la génération Alpha née après 2010. La relation aux marques est un éternel recommencement.