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La sobriété numérique, prochain enjeu RSE des marques ?

24/08/2023

Le rythme actuel de croissance du digital pourrait ne pas être tenable. Sans inflexion, l’empreinte carbone du numérique serait amenée à tripler d’ici 2050. Et les ressources nécessaires à la fabrication des terminaux s’amenuisent. La sobriété numérique va inévitablement s’inviter dans les stratégies RSE et dans les pratiques des marques. Décryptage et solutions.

La sobriété numérique sera-t-elle demain un argument de préférence de marque ? Aujourd’hui, le sujet est surtout traité par les opérateurs télécoms. Orange a notamment lancé son programme « Re » de recyclage et de reconditionnement des smartphones. Free est également engagé dans l’économie circulaire, rachetant les smartphones de ses clients pour les reconditionner. L’opérateur a également installé des boîtes de collecte dans ses boutiques pour récupérer les mobiles les plus anciens afin de les réparer ou de les recycler. Son offre Free Flex permet par ailleurs de dissocier le prix du forfait de l’acquisition d’un nouveau smartphone, afin de responsabiliser les clients et les inciter à ne pas renouveler de manière anticipée leur téléphone mobile. De son côté, Bouygues Telecom se distingue en mettant à disposition de tous l’application Mon empreinte smartphone pour sensibiliser le grand public et lui permettre de mesurer les émissions de gaz à effet de serre liées à sa consommation numérique mobile.

Mais en dehors des initiatives des opérateurs télécoms, la sobriété numérique fait encore rarement partie des engagements RSE sur lesquels communiquent les marques. Dans leur grande majorité, les consommateurs ne semblent d’ailleurs pas vraiment demandeurs. L’an dernier, pour le lancement de sa nouvelle application SNCF Connect, l’entreprise avait opté pour un affichage en mode sombre, synonyme d’économies d’énergie pour les batteries des smartphones. Mais ce choix n’avait pas fait l’unanimité chez les utilisateurs, jugé trop sombre par certains. La SNCF avait dû ajouter la possibilité de repasser en mode clair.

La situation devrait toutefois évoluer à l’avenir. Il semble même inéluctable que la réduction de l’impact environnemental du numérique prenne une place de plus en plus importante dans les stratégies RSE et dans les pratiques des marques. Pourquoi ? Parce que le rythme actuel de croissance du digital n’est pas tenable. Sans inflexion, l’empreinte carbone du numérique pourrait tripler d’ici 2050, d’après une étude publiée ce printemps par l’Ademe et l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques. « Si ce développement du numérique permet en partie de réduire d’autres impacts environnementaux dans d’autres secteurs (mobilité par exemple), les consommations qu’il engendrerait en électricité et en ressources posent la question de leur faisabilité : sera-t-il possible de produire autant d’électricité ou de consommer autant de matières premières dans un monde où les tensions s’accroissent ? », pointe l’étude. 

79 % de l’impact environnemental vient de la fabrication des terminaux

 

79 % de l’impact environnemental vient de la fabrication des terminaux

Le principal responsable de l’impact environnemental du numérique n’est pas à chercher du côté de l’utilisation de nos équipements, mais de leur fabrication : elle représente 79 % de l’empreinte carbone du numérique. « Autrement dit, avant même que nous n’utilisions notre dernier smartphone, téléviseur ou ordinateur flambant neuf, il a déjà produit près de 80 % des émissions de gaz à effet de serre qu’il émettra durant sa (trop courte) vie », illustre l’étude de l’Ademe et l’Arcep. Et les émissions de gaz à effet de serre ne sont qu’un élément de l’impact environnemental des terminaux. Leur production nécessite de vastes ressources en métaux, minéraux et terres rares, qui sont loin d’être inépuisables. « Nous pourrions être la dernière génération à profiter sans contrainte du numérique, estime l’expert de la sobriété numérique, Frédéric Bordage, dans l’interview qu’il nous a accordée. Il nous reste au mieux quelques décennies, et non quelques siècles, de stocks de matériaux avec lesquels on fabrique le numérique et la technologie en général (…) Que cela nous plaise ou pas, le monde de demain sera plus low tech qu’aujourd’hui. »

Les études se multiplient pour alerter sur les impacts environnementaux du digital. « Mais changer de comportement est difficile, poursuit Frédéric Bordage. Le numérique est tellement pratique pour tout gérer, le travail, les enfants, les loisirs… » La prise de conscience est aussi rendue complexe car le virtuel peut sembler déconnecté du monde réel. Difficile de s’imaginer les conséquences environnementales de la consultation de son fil Instagram ou de la lecture de vidéos. Avec des impacts que l’on ne soupçonne pas toujours. Une étude menée par deux universités américaines vient par exemple de calculer la consommation en eau des intelligences artificielles. Les chercheurs estiment qu’une simple conversation avec le chatbot ChatGPT équivaut à vider par terre une bouteille d’eau de 50 cl ! Les auteurs de cet article universitaire intitulé « Making AI Less Thirsty » (Rendre l’IA moins assoiffée) indiquent par ailleurs que les data centers de Google aux États-Unis ont consommé à eux seuls 12,7 milliards de litres d’eau douce en 2021, dont environ 90 % étaient de l’eau potable.

Une loi pour réduire l’empreinte environnementale du numérique

L’empreinte grandissante du digital a conduit la France à adopter en novembre 2021 la loi REEN, visant à Réduire l’Empreinte Environnementale du Numérique. Parmi ses objectifs : faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique, grâce notamment à des modules de sensibilisation au numérique responsable dans les écoles. Les formations d’ingénieur doivent également intégrer un module sur l’écoconception des services numériques et la sobriété numérique.

Au-delà, la loi REEN entend limiter le renouvellement des appareils numériques. C’est le moyen le plus efficace pour réduire l’empreinte environnementales du digital. « Allonger la durée d’usage de nos mobiles de 2 ans (durée moyenne durant laquelle nous conservons nos smartphones) à 4 ans améliore déjà de 50 % leur bilan environnemental », souligne l’Ademe. La loi va notamment rendre plus opérationnelle le délit d’obsolescence programmée et renforcer la lutte contre l’obsolescence logicielle. Pour allonger la durée d’utilisation des smartphones, il faut en effet également allonger la durée de fonctionnement des applications.  

Parmi les autres mesures qui vont se mettre en place : l’instauration d’un référentiel général d’écoconception des services numériques, fixant à partir de 2024 des critères de conception durable des sites web. Une première version de ce référentiel a été publiée fin 2022, conçue autour de 79 questions à se poser lorsque l’on conçoit un service numérique. Par exemple : « Le service numérique est-il utilisable sur des terminaux âgés de 5 ans ou plus ? », « Le service numérique utilise-t-il majoritairement des polices de caractères du système d’exploitation ? » ou encore « Le service numérique utilise-t-il un hébergement dont la localisation géographique est en cohérence avec celle de ses utilisateurs et de ses activités ? ».

Des pistes d’actions dans la relation avec les consommateurs

Pour les marques, dans leurs échanges avec leurs clients, l’écoconception des services numériques fait bien sûr partie des premières mesures à mettre en place. C’est une démarche qui profite à la fois à la planète, aux entreprises et aux consommateurs, pointe Ivan Beczkowski, Chief Creative Officer de BETC Fullsix, dans l’interview qu’il nous a accordée : « L’écoconception des sites va très souvent de pair avec une plus grande efficacité des services, notamment en e-commerce. La sobriété, c’est de l’aérodynamisme. Ce sont des sites plus légers, qui vont plus vite pour afficher les réponses, et qui vont aussi plus vite à l’essentiel. Cela intéresse à la fois les e-commerçants et les clients. »

« Être plus raisonnable, cela commence par se demander si le numérique est indispensable pour résoudre un problème, lance Frédéric Bordage. Et s’il est incontournable, il faut réussir à trouver les moyens les plus sobres pour le mettre en œuvre. Envoyer un mail coûte par exemple moins cher, d’un point de vue environnemental comme économique, que de développer une application mobile. »

Parmi les autres leviers pour réduire l’empreinte environnementale : améliorer le ciblage. « Cela veut dire envoyer moins de messages et se concentrer là où il y a de la valeur ajoutée, illustre Ivan Beczkowski. La performance data profite, ici aussi, à la planète, à l’entreprise et au consommateur qui est moins inondé. »

Frédéric Bordage conseille lui aussi d’éviter la surabondance de sollicitations : « Beaucoup d’entreprises privilégient le matraquage publicitaire. Mais la solution de fond n’est pas d’ajouter le 1 001e ou le 1 002e message en espérant que cela finisse par passer, alors que l’on peut construire une marque par la qualité de la relation et du service rendu. » L’expert rappelle par ailleurs qu’un affichage environnemental sera dans les années à venir obligatoire sur tous les produits et services, dont le numérique (voir notre dossier La transparence s’impose aux marques) : « Les consommateurs seront sensibles à ce ‘NutriScore’ environnemental. Autant s’y préparer dès à présent. »

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