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La révolution des points de contact

09/01/2020

Des marques qui s’invitent dans la chambre d’hôtel de leurs clients, qui déploient des établissements fantômes, qui innovent encore et toujours dans l’omnicanal… Les initiatives fusent pour se rapprocher du consommateur et le placer véritablement au centre de la relation. Le client ne doit plus faire d’effort : c’est le service qui doit venir à lui. Illustrations.

1Rent The Runway propose de louer sa garde-robe en même temps que son hôtel

« J’ai toujours rêvé de pouvoir voyager sans bagage », lance la PDG de Rent The Runway, Jennifer Hyman. Et c’est bien ce concept que le leader historique de la location d’articles de mode est en train de déployer. Depuis décembre 2019, Rent The Runway teste la location de vêtements en même temps que la réservation d’une chambre d’hôtel.

Ce service est lancé en partenariat avec quatre établissements de l’enseigne W Hotels du groupe Marriott. Il met en œuvre un parcours client très simple et très fluide : lorsqu’ils choisissent leur hébergement, les clients peuvent sélectionner quatre vêtements, qu’ils trouveront dans leur chambre à leur arrivée. Ils auront juste à les déposer à la réception en partant. Tarif tout compris pour ce service, et pour toute la durée du séjour : 69 dollars.

Les quatre hôtels retenus pour cette expérimentation sont situés dans des environnements bien différents : Miami, Washington, Hollywood et Aspen, une station de sports d’hiver dans le Colorado. À chaque fois, l’offre de location de vêtements et d’accessoires s’adapte. Ici, des maillots de bain ; là, des tenues de ski.

Cette initiative s’inscrit dans une vaste stratégie de diversification menée par Rent The Runway. Au départ spécialisé dans la location d’articles de luxe, le site aujourd’hui évalué à plus d’un milliard de dollars a élargi son offre à des vêtements plus quotidiens, à des tenues pour enfants, à des objets de décoration… Rent The Runway multiplie aussi les points de contact. Il vient d’installer des « drop box » (des boîtes de restitution pour ses vêtements) dans 27 magasins Nordstrom (l’équivalent des Galeries Lafayette) ainsi que dans 19 espaces de coworking WeWork.

Les hôtels constituent « un autre nouveau point d’accès » pour toucher une clientèle plus large, explique la PDG de Rent The Runway dans une interview à Bloomberg : « Être présents chez Nordstrom grâce à des drop box ou suggéré par W Hotels dans ses mails de confirmation de réservation nous permet de toucher des femmes qui n’avaient jamais vu la marque avant. »

2Déjà près de 500 « restaurants fantômes » sur les applis de livraison

Le digital s’étant immiscé dans les interactions avec les marques, les frontières se brouillent entre points de contact réels et virtuels. Illustration avec les repas proposés sur Uber Eats ou Deliveroo : ils ne viennent plus uniquement de restaurants classiques, mais aussi de « restaurants fantômes ». Des établissements sans table ni chaise, juste des cuisines qui ne reçoivent pas de client, mais fonctionnent exclusivement avec les applis de livraison de repas.

Le phénomène n’a rien de marginal : en 2019, France Inter a dénombré en France près de 500 restaurants virtuels sur l’application Uber Eats. Et face au boom de la livraison de repas à domicile (en progression de 20 % par an, d’après Food Service Vision), les ouvertures de restaurants fantômes devraient encore s’accélérer. Sans salle ni serveur, ils ont des coûts de fonctionnement bien moindres que les restaurants ayant pignon sur rue.

Plusieurs startups fructifient sur ce créneau, à l’instar de Taster créée en 2017 par un ancien cadre de Deliveroo. Cette jeune pousse a déjà levé 13 millions d’euros, comme le rapporte le journal Les Échos. Taster possède aujourd’hui six cuisines à Paris, cinq à Londres et deux à Madrid. « On ne se contente pas de déployer les cuisines, on élabore aussi des marques pensées uniquement pour la livraison », insiste Anton Soulier, jeune patron de l’entreprise. Taster s’inspire bien sûr des plats les plus commandés sur les plateformes de livraison. Il a notamment créé les restaurants virtuels Mission Saïgon, qui propose des bo-buns, et O Ke Kai, qui prépare des poke bowls. Mais si l’entreprise apprécie la restauration « à forte coloration asiatique », c’est aussi pour une autre raison : « Ce type de cuisine est parfaitement adapté à la livraison parce qu’elle voyage très bien », justifie Anton Soulier.

Taster doit également son succès à un algorithme qui lui permet d’anticiper de façon précise les commandes pour un midi ou un soir donné. Ce qui lui permet d’optimiser ses coûts, de limiter le gaspillage et de réduire les temps de préparation. La startup revendique une croissance mensuelle de 30 %, livrant fin 2019 50 000 repas par mois depuis l’ensemble de ses cuisines. À l’instar d’un restaurant traditionnel, les plateformes de livraison (Deliveroo, Uber Eats, Glovo…) prélèvent une commission de 30 % sur chaque commande.

Toujours en France, Dark Kitchen a été créée sur le même principe que Taster. Là où le modèle se complique, c’est que de « vrais » restaurants se mettent aussi à cuisiner dans des restaurants fantômes. Le Petit Cambodge, Santosha ou Tripletta ont par exemple rejoint la cuisine partagée créée par Deliveroo à Saint-Ouen pour livrer la capitale. Ils y disposent de services communs, comme la plonge ou la chambre froide, et y préparent des repas dans des versions conçues pour la livraison. Une évolution logique. Les plats servis en salle ne sont pas nécessairement les mieux pensés pour le transport et la dégustation à domicile.

3Les « dark stores » gagnent aussi les supermarchés américains

De grandes chaînes d’épicerie aux États-Unis, comme Walmart, Albertsons, Stop & Shop et Meijer, envisagent aussi d’intégrer à leurs supermarchés des « dark stores », des magasins fantômes, pour traiter les livraisons. Selon CNN qui a enquêté sur le sujet, un modèle intéresse aujourd’hui les retailers : doter l’arrière-boutique des magasins traditionnels d’une réplique quasi identique de leurs rayons pour les réserver aux préparateurs des commandes en ligne.

C’est une rupture avec le modèle incarné par Amazon et qui s’est historiquement imposé dans le e-commerce : la création d’immenses entrepôts uniquement dédiés à la logistique et à la préparation des colis. L’alternative ? C’est le « picking » en magasin : un préparateur parcourt les allées du supermarché au milieu des clients et collecte les articles commandés. Cette façon de faire regagne du terrain aux États-Unis du fait du développement des commandes en ligne de produits frais et d’épicerie. Elles représentent 5 % des ventes et devraient fortement se développer dans les années à venir. Les retailers américains voient dans ces livraisons d’épicerie un moyen de reprendre l’ascendant sur Amazon, dont les entrepôts sont souvent éloignés des lieux de vie des consommateurs. Les coûts de livraison depuis un entrepôt géant en périphérie seraient deux fois plus élevés que depuis un supermarché.

Walmart croit fortement à ce marché et a formé 30 000 collaborateurs pour préparer les commandes d’épicerie passées en ligne. Problème : en périodes de pointe, ces collaborateurs encombrent les allées, se gênant les uns les autres et perturbant les clients venus faire leurs courses. D’où la création de « dark stores » : des rayons interdits au public, souvent à l’arrière des magasins, automatisés pour faciliter la préparation des commandes.

4Cdiscount donne une enveloppe physique à son expertise dans le vin

Le point de contact que vient d’ouvrir Cdiscount au 55 rue de Turbigo à Paris est loin d’être un dark store : le site de e-commerce veut incarner dans cette boutique de 130 mètres carrés son expertise dans le vin. On le sait peu, mais Cdiscount est le premier caviste sur Internet, proposant 7 000 références de vins et spiritueux. « Nous vendons 4 millions de bouteilles chaque année, ce qui nous place comme le premier vendeur de vin en ligne », revendique dans Les Échos Laurent Lacluque, directeur des achats vins & spiritueux de l’enseigne.

Pour prendre pied dans le monde réel, Cdiscount mise sur un magasin fortement doté en technologies, mais qui se font discrètes face à la première innovation visée : réinventer l’approche client. La boutique baptisée « La Nouvelle Cave » casse en effet les codes du secteur pour séduire les néophytes mal à l’aise dans les caves plus classiques. « Entrer chez un caviste peut être assez anxiogène quand on n’est pas initié. On n’ose pas expliquer ce que l’on recherche et on se contente de donner son budget », observe Laurent Lacluque. Cette boutique lumineuse et colorée déploie à l’inverse une communication décomplexée. Un message en vitrine donne le ton : « La cave traditionnelle avec le kiff en plus ». Sur les sacs en papier, une phrase : « J’ai fait une super affaire, et pas vous ».

Rendre l’achat de vin plus accessible nécessite bien sûr de démocratiser l’offre : 43 % des bouteilles sont ici à moins de dix euros. Et les 400 références proposées ne sont pas classées par cépage ou par région, mais par grands univers très compréhensibles par les consommateurs : « vins blancs », « vins rouges », « bulles »… En rayon, des étiquettes indiquent ici ou là les bouteilles ayant reçu les meilleurs avis sur Cdiscount.

Côté technologies, les clients peuvent se faire guider par un sommelier virtuel grâce à des tablettes à leur disposition. Ils indiquent ce qu’ils recherchent, par exemple un vin rouge à moins de 8 euros pour accompagner un rôti, et une LED s’illumine au-dessus de la bouteille correspondante. Une expérience qui peut aussi être menée grâce à son smartphone, même si deux ou trois cavistes sont sur place pour renseigner les clients. Naturellement, les tablettes permettent de commander l’ensemble des références disponibles sur le site.

Il est également possible de tester dans le magasin le vin avant de l’acheter. « Chaque semaine, douze bouteilles sont sélectionnées pour des dégustations. Cela permet au client de repérer le profil de vin qui lui plaît et, grâce à un système de pastilles colorées sur les bouteilles, de trouver d’autres références du même profil », poursuit Laurent Lacluque. Des animations comme des cours d’œnologie sont aussi prévues. Cdiscount ne cache pas son ambition d’ouvrir d’autres boutiques sur le même modèle.

5Air Asia ouvre un restaurant qui propose les plateaux repas servis dans ses avions

Les plateaux repas servis en vol n’ont pas toujours bonne réputation. Qu’importe pour la compagnie aérienne à bas coût Air Asia. Elle est convaincue de la qualité des plats qu’elle sert à bord de ses avions et elle les a mis au cœur de son nouveau point de contact : un fast-food ouvert depuis décembre 2019 à Kuala Lumpur (Malaisie) et baptisé Santan, « lait de coco » en malais, qui est aussi le nom des menus distribués dans les avions d’Air Asia. « Nous sommes la première compagnie aérienne à commercialiser notre propre carte », fait valoir Tony Fernandez, le fondateur de la compagnie aérienne, cité par Courrier International.

Dans une logique de fast-food, les plats sont proposés à des prix très abordables, entre 2,60 et 3,20 euros. L’affluence lors du lancement (photo ci-dessus) et les commentaires sur les réseaux sociaux semblent montrer que le public adhère au concept. « Nous ne voulons pas seulement être une compagnie aérienne mais une société qui promeut un véritable art de vivre », insiste Tony Fernandez. Air Asia annonce déjà la création de 5 autres restaurants Santan d’ici la fin de l’année 2020 et le lancement d’une franchise visant l’ouverture de 100 restaurants et cafés dans le monde entier au cours des 5 prochaines années. Pour développer cet « art de vivre Air Asia », la compagnie envisagerait aussi la création d’une néobanque.

6Instagram booste l’expérience d’achat avec la réalité augmentée

Si les marques diversifient leurs points de contact physiques pour se rapprocher des consommateurs, elles continuent naturellement aussi d’enrichir leurs points de contact digitaux. Et pour nombre d’enseignes, la nouvelle frontière se trouve dans la réalité augmentée. « Un des écueils du e-commerce réside dans le fait qu’il n’est pas possible de tester un produit, mais grâce à la réalité augmentée, nous pouvons en partie combler cette lacune », pointait Guillaume Cavaroc, Retail Manager chez Facebook/Instagram, lors d’un récent Atelier du Hub de La Poste.

Depuis la fin 2019, Instagram expérimente une nouvelle fonctionnalité de réalité augmentée avec quelques enseignes, dont les marques de cosmétiques MAC et NARS ainsi que les lunetiers Ray-Ban et Warby Parker, détaille L’Usine Digitale. Objectif : permettre aux internautes d’essayer un article grâce à leur smartphone avant de le commander, comme une paire de Ray-Ban sur les images ci-dessus. La nouveauté qu’apporte Instagram, c’est l’intégration de cette fonctionnalité à son bouton d’achat « Instagram Shopping ». L’article peut être commandé sans quitter l’application. Tout devient plus fluide.

Les marques devraient être séduites. D’une part, car la réalité augmentée rend l’expérience d’achat plus ludique et incite à découvrir de nouveaux produits, mais aussi, d’autre part, car elle peut permettre de réduire le taux de retour. En visualisant le produit dans son contexte, le consommateur a moins de chance de se tromper ou de regretter son achat.

Toutes ces nouvelles expériences devraient se combiner à terme : demain, nous devrions pouvoir essayer notre garde-robe Rent The Runway en réalité augmentée avant de rejoindre notre chambre d’hôtel sans autre bagage que notre téléphone !

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