Quel commerce pour la prochaine décennie ?
28/02/2024Le dernier rapport de l’Échangeur BNP Paribas Personal Finance décrypte les tendances du Retail pour les dix prochaines années. L’enjeu business sera de réinventer la rentabilité du commerce. Le moteur technologique ne sera plus internet mais l’IA et le Web3, qui permettront une relation enfin individualisée. Décryptage des tendances avec Élisabeth Menant, Innovation Trends Manager, co-autrice du rapport.
Quels sont les points clés à retenir du rapport « Innovate Service Centric » ?
Élisabeth Menant – Je retiendrais quatre grands enseignements. Le premier, c’est que la révolution internet est terminée. La fusion entre e-commerce et point de vente a bien eu lieu, les sites web se sont humanisés, avec de la personnalisation et du conseil live, tandis que la boutique s’est digitalisée.
En conséquence – et c’est le deuxième point –, le retail doit réinventer sa rentabilité globale. La conjoncture est instable, l’e-commerce est entré dans la normalité, le quick commerce a échoué à créer un relais de croissance… Les enseignes priorisent tout ce qui restaure la marge : Zalando arrête la gratuité des retours produits, mais vient apporter en compensation une meilleure expérience d’essayage virtuel. Hopla, le service de liste de courses proposé par Carrefour suggère un choix de produits sur la base d’un budget familial, et délivre les recettes associées.
Troisième point, l’IA va enfin permettre une pleine valorisation de la data. Les distributeurs ont accumulé un grand volume de données. L’IA prédictive et analytique, celle qui permet d’optimiser les process, est là depuis trois ans. L’IA générative vient en plus libérer la créativité et permet l’individualisation massive des messages. Les deux formes vont se compléter.
Dernière tendance, les réseaux sociaux et plateformes de streaming, comme TikTok ou Pinterest, veulent s’appuyer sur leurs audiences pour désintermédier la relation avec le consommateur et lui faire des propositions commerciales personnalisées. La marque de peinture Liks a ainsi interfacé son moteur de recommandation avec Pinterest pour préconiser des teintes, envoyer des échantillons et transformer la vente. À qui appartient la relation client ? Elle devient sans couture, à l’image des super Apps asiatiques. Cela va dans le sens d’un client qui veut être de plus en plus maître de sa consommation.
Les retailers ont-ils aujourd’hui tiré parti du meilleur des deux mondes, entre points de vente et commerce en ligne ?
E. M. – Il y a toujours des marges de progression, mais là encore, la disruption est derrière nous. Chaque retailer doit aujourd’hui créer son propre « mix » entre digital et magasin, en fonction de ses spécificités. C’est par exemple Primark qui a dit non à l’e-commerce, ou Lidl qui développe une stratégie online inédite sur le non-alimentaire en élargissant ses cibles.
Quel sera le rôle concret des IA dans la transformation du commerce ?
E. M. – À court terme, on va se concentrer sur les gains de productivité sur toute la chaîne de valeur. Mais en plus, l’IA générative va permettre d’améliorer le dialogue avec le consommateur, par exemple de mieux décrire les produits, d’individualiser les messages. Amazon relance le voice commerce, car les progrès de l’IA offrent aux assistants vocaux une bien meilleure qualité de conversation, en voiture par exemple.
Quels sont les pays les plus innovants ?
E. M. – En Asie, on peut s’attendre à l’intégration forte des réseaux sociaux. C’est bien l’audience qui crée l’interaction, puis la vente. En Inde, de plus en plus de particuliers créent leur plateforme en ligne en s’appuyant sur leur capacité à créer de la relation humaine. Aux États-Unis, Walmart reste numéro 1 grâce à son réseau de magasins sur lequel il a su capitaliser, notamment sur la force des vendeurs qui sont des ambassadeurs. Un client peut ainsi être livré chez lui par la personne de son choix.
Les critères RSE sont-ils véritablement intégrés au cœur des stratégies ?
E. M. – La « nouvelle recette » du commerce devra intégrer les enjeux environnementaux. On est au début d’un processus fait de petits pas, mais ce sera un facteur fort de différenciation pour les marques dans les prochaines années. Il faudra l’intégrer dans les modèles d’affaires en sortant des KPI classiques, en réinventant son modèle et en accompagnant un consommateur parfois perdu dans les injonctions contradictoires. Dans cette démarche, les Européens sont plutôt en avance.
La bio d’Élisabeth Menant
Élisabeth Menant est Innovation Trends Manager de l’Échangeur BNP Paribas Personal Finance. À ce titre, elle porte un regard prospectif sur les tendances et innovations du secteur du commerce depuis plus de quinze ans, d’abord au groupe Galeries Lafayette, puis, depuis 2005, à travers différentes fonctions au sein de la structure LaSer puis de Échangeur BNP Paribas Personal Finance. Elle cosigne avec Matthieu Jolly le rapport « Innovate Service Centric », dont c’est la dixième édition.
Crédits : © Adobe Stock
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